« Il y a énormément de préjugés et d’idées reçues sur l’accouchement à domicile »

entre leurs mainsLa Brique a interviewé Céline Darmayan, réalisatrice du documentaire « Entre leurs mains » (2013), dans lequel elle suit quatre sage-femmes accompagnant des parents – et plus particulièrement des futures mères – qui souhaitent accoucher « au naturel ». Au passage, le film décortique les représentations erronées de l’accouchement construites par la suprématie masculine du milieu médical. L’accouchement est l’enjeu d’un combat pour la liberté à disposer de son corps.

 

« Entre leurs mains » sera diffusé le 19 avril 2014 au cinéma indépendant L’Univers, à Lille, rue Danton. La projection sera suivie d’une discussion en présence de deux membres de l’équipe de tournage dont Céline Darmayan, la réalisatrice. Ouverture des portes et du bar à 19 heures.

La Brique : Peux-tu déjà nous dire comment est né le projet de ce docu, ce sujet de l’accouchement non médicalisé et forcément à domicile ? Sauf une très rare exception, aucun lieux officiels ne le permet... ?

Céline Darmayan : Cela faisait un moment que je m’intéressais à la manière dont la naissance et la fin de vie sont envisagées et accompagnées dans nos sociétés occidentales. J’avais envie de réfléchir à ces questions, surtout la manière dont nous avons complètement évacué ces moments de l’espace familial et personnel. Puis j’ai fait la rencontre d’une femme qui m’a parlé de son accouchement à domicile avec une sage-femme en France. À ce moment-là, je ne savais même pas que ça existait, je ne savais même pas que les sages-femmes existaient toujours. Si j’avais été enceinte, je crois que j’aurais été chez un gynécologue sans me poser de questions. Elle m’a parlé des nombreuses difficultés que rencontrait sa sage-femme dans sa pratique et de l’absence de choix qui est laissé aux femmes dans la manière d’accoucher et pour le lieu de naissance en France. Et j’ai décidé de m’y intéresser de plus près. En Belgique, il est existe plus d’alternatives. [Céline vit entre la Belgique et la France]

Est-ce que cela a été difficile de rencontrer les sages-femmes que tu as filmées ? Peux-tu raconter un peu ces rencontres et nous parler de ces femmes ?

J’ai rencontré les sages-femmes assez simplement, en en parlant autour de moi, par bouche à oreille, ou bien en faisant des recherches sur Internet. Elles ne sont pas cachées. Par contre il y en a très peu sur le territoire français. J’en ai appelé et rencontré une quinzaine. Et le choix des quatre sages-femmes pour le film s’est ensuite fait naturellement, en fonction de leur intérêt pour le projet et de mon ressenti. Dès que je les ai rencontrées, j’ai été convaincue de l’intérêt de faire un film sur elles, aussi pour pouvoir passer du temps à leur côté et apprendre de leur pratique. Ce sont des personnes qui ont réfléchi à fond sur leur pratique et sur toutes les questions de réappropriation de leur corps par les femmes. C’est passionnant de les écouter.

Le film suit des moments exceptionnellement intimes de parents et de femmes qui accouchent. Comment s’est réalisé l’approche de ces instants avec ces parents et avec les professionnelles que vous avez suivis ? 

Le tournage s’est très bien déroulé. Une des difficultés aurait pu être le fait que les gens devaient accepter notre présence lors de consultations, ceci sans nous avoir rencontrés au préalable. Or, cela n’a pas vraiment été un problème, car la relation de confiance qui existe entre les sages-femmes et leurs patients le permettait. De plus, beaucoup d’entre eux avaient déjà entendu parler du film par Internet ou bouche à oreille, ce qui facilitait beaucoup la rencontre. Nous avions mis en ligne une bande-annonce qui permettait aux gens de voir quelle était notre démarche. Pour les accouchements, tout était très clair avec les parents dès le début, le fait que je serais la seule personne dans la pièce, que jusqu’au dernier moment ils pourraient changer d’avis ou nous demander de sortir. Encore une fois, la très grande relation de confiance entre eux et la sage-femme a permis que l’on puisse être acceptés assez facilement. La plus grosse difficulté a été de pouvoir être présents lors des accouchements. Nous avons facilement trouvé des parents qui étaient d’accord, mais le principe d’un accouchement non déclenché est que l’on ne sait jamais quand il va avoir lieu, ni combien de temps il va durer. Nous devions donc rester de très longues périodes dans chaque région, avec notre matériel toujours sur nous, en cas si nous étions appelés. Nous avons vraiment vécu la vie de ces sages-femmes, l’attente et les départs en pleine nuit. C’était en même temps magique et éprouvant.

Comment s’est opéré le choix de ne pas confronter ou rencontrer des responsables de cliniques/hôpitaux, des responsables politiques ou syndicaux ?

Ma volonté était de faire un portrait d’une profession très méconnue. Et non pas de faire un film contradictoire pour-contre. Les sages-femmes qui accompagnent les couples qui désirent donner naissance à domicile sont des spécialistes de la physiologie. C’est à dire des naissances sans intervention médicale. Elles n’accompagnent pas les naissances de jumeaux, elle ne placent pas de péridurale et n’injectent aucun médicament pour accélérer le travail. Si une pathologie survient pendant la grossesse ou au cours de l’accouchement, elles sont formées pour la dépister suffisamment en amont, ceci afin de transférer les parents vers un centre hospitalier pour que des spécialistes de la pathologie prennent le relai. Ces deux métiers sont donc très différents. Si j’avais décidé de faire un portrait de gynécologue, je ne serais pas allée demander à une sage-femme ce qu’elle pense de la manière dont les gynécologues travaillent. Il est écrit dans les textes qu’il ne doit pas y avoir de lien de subordination entre une sage-femme et un médecin. Même si on a l’impression que c’est souvent le cas. Je suis convaincu qu’avec ce film, pour lequel nous avons suivi quatre sages-femmes pendant une longue période, le spectateur peut mieux comprendre ce qu’est ce métier. Il y a énormément de préjugés et d’idées reçues sur l’accouchement à domicile. Les sages-femmes qui le pratiquent n’ont pas assez souvent l’occasion d’expliquer réellement leur métier. À la télé, on ne voit que l’avis des médecins et symboliquement, à temps d’antenne égal, le poids de la parole d’un médecin est beaucoup plus forte que la parole d’une sage-femme. Pour moi l’objectivité journalistique est un leurre, il y a forcément un point de vue.

Je crois que des maisons de naissance existent en Belgique… Pourquoi pas en France ? Y a-t-il des raisons notables qui expliqueraient cette différence ?

C’est une question culturelle également. Ça en dit beaucoup sur la sur-médicalisation et la place des sages-femmes dans l’accompagnement de la naissance en France. La Belgique est influencée également par la Hollande où l’accompagnement à domicile est beaucoup plus présent. En France, le corps médical dans son ensemble refuse l’idée de l’accompagnement de la naissance en dehors de la structure hospitalière. Même l’expérimentation des maisons de naissance qui va avoir lieu dans les cinq ans à venir sera en intra-hospitalier alors que la définition internationale des maisons de naissance est une structure indépendante de l’hôpital. Il y a très peu de plateaux techniques également (chambre non médicalisée au sein de l’hôpital où une sage-femme libérale peut venir avec des couples qu’elle a accompagnés pour accoucher de manière physiologique), ceci dû essentiellement au fait que les chefs de services ne font pas confiance aux sages-femmes pour réaliser l’accompagnement.

Le film donne une critique très construite et très forte de la pratique de l’accouchement telle qu’elle est répandue et du milieu médical qui l’entretient… Sais-tu où en est le combat de ces sages-femmes et ces femmes aujourd’hui ?

Les sages-femmes tentent de trouver des solutions pour leur problème d’assurance, mais la remise en question plus générale de la manière dont on laisse le milieu médical décider ce qui est bon pour nous ne pourra venir que des personnes qui y sont confrontées. Il y a une très grande acceptation de cette réalité actuellement. Or, un médecin peut difficilement forcer une femme à faire ce qu’elle n’a pas envie de faire si elle est bien préparée et décidée. Je pense que c’est effectivement en discutant plus et en remettant en question la toute puissance médicale à notre niveau que les choses pourront changer.

Le film oscille entre certains moments très oniriques et la réalité, et puis – toujours dans ces alternances – on s’enfonce petit à petit dans une "descente aux enfers" vers les entraves législatives... Le dernier accouchement, qu’on ne fait qu’entendre avec les images de la pluie, presque comme si c’était déjà un souvenir lointain… Ça laisse un profond sentiment d’alerte…

Pour moi le plus important était de montrer la réalité du métier de sage-femme, dans ces moments de beauté, comme dans ses difficultés. Je dois dire que le cliché est vrai, ça doit être un des plus beaux métiers du monde, car l’émotion qui est là lors de l’arrivée d’un enfant est inégalable. Mais actuellement, la situation de ces sages-femmes est de plus en plus dure, quand nous avons arrêté le tournage, elles étaient plusieurs à arrêter de pratiquer sous la pression. Du coup, nous voulions finir sur ce sentiment qu’elles ont de frustration immense. Elles savent ce qu’elles veulent faire et ce qui est important dans leur pratique, mais elles ne peuvent pas le mettre en place. Je ne voulais pas faire un film mignon sur la naissance, c’est l’aspect politique et d’engagement qui m’a encouragée à faire ce film. Nous avons donc mêlé l’un et l’autre intimement.

Je crois que le film tourne beaucoup, comment se passent la diffusion, l’accueil du public ? Quels sont les retours ? Y a-t-il eu une projection plus marquante que les autres ?

Le film tourne très bien car les personnes qui nous ont soutenus ont pris en main la diffusion et sont allées voir leurs cinémas pour leur demander de passer le film. Les retours sont de manière générale très positifs. Ce qui est agréable, c’est que même les personnes qui ne voudraient pas accoucher à domicile se sentent concernées par le film et le sujet. Nous avons eu des expériences intéressantes dans une ou deux projections où des gynécologues ou sages-femmes hospitalières étaient présentes dans la salle. Il y avait des échanges intéressants et ça permettait aux gens de se rencontrer et de pouvoir discuter plus sereinement.

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