Cette semaine, la société de transports métropolitains a déclaré la guerre aux fraudeurs. Un dépôt de plainte a entraîné la mise en garde à vue de deux personnes appartenant à la Mutuelle des fraudeurs de Lille.
C’est en partant au travail qu’un membre de la mutuelle des fraudeurs est arrêté. Il est emmené à son domicile pour une perquisition. L’appartement est retourné, ordinateurs, argent liquide, archives sont saisis. Cette personne est rapidement placée en garde à vue dans les locaux de la brigade financière à Marcq-en-Barœul. Le motif invoqué : « incitation à commettre des délits ou des crimes par voie de presse ou tout autre moyen de communication ». (Art. 23 ou 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Les fonctionnaires qui interviennent précisent que la police répond à une plainte de Transpole à l’encontre de la mutuelle. Transpole nie aujourd’hui toute implication [1] et, malgré nos appels réitérés, refuse de répondre à nos questions. Son nom figure pourtant en belle place sur les PV de police. Son PDG, François-Xavier Castelain, appelle lui-même la brigade financière pendant la garde à vue. Sans doute afin de préserver l’indépendance de l’enquête.
« La solidarité est notre arme »
L’enquête porte sur le blog de la mutuelle des fraudeurs [2], les flics cherchent l’administrateur du site. Les premières auditions ne donnant rien de probant à la police, une deuxième personne est convoquée afin d’être entendue. Elle sera aussitôt placée en garde à vue elle-aussi. Cette perquisition fait suite à une enquête approfondie, commencée plusieurs mois auparavant : surveillance de leur domicile, de leur connexion internet, passage au crible de leur compte en banque. Un tel déploiement de force n’a qu’une seule motivation : l’intimidation. Dans les faits, la fraude n’est ni un délit et encore moins un crime. La fraude est soumise à une contravention. Le seul délit existant est celui « d’habitude ». Pour être caractérisé, une personne doit contracter dix amendes impayées en 12 mois. Ce sera au substitut du procureur de Lille de décider de la poursuite (ou non) en justice et des suites à donner à l’enquête. La solidarité est d’ores-et-déjà en marche, au sein de la mutuelle et entre mutuelles d’autres villes. Des soutiens extérieurs se manifestent aussi. La répression a, jusqu’ici, surtout permis de rassembler.
« Vive la fraude ! »
La mutuelle des fraudeurs est un collectif qui revendique la libre circulation et la gratuité des transports sur la métropole lilloise. Elle a pour objectif de créer une entraide entre ses membres, au-travers une cotisation permettant d’aider celles et ceux qui ne peuvent faire face au paiement d’une amende. La mutuelle apporte son soutien politique ou financier en cas d’endettement auprès de Transpole. Les responsabilités au sein de la mutuelle, communication, secrétariat, trésorerie, sont tournantes. La mutuelle n’a pas de salarié, ne fait pas de profits, n’a pas de chef, l’argent sert uniquement à la solidarité entre fraudeurs et à payer des tracts, des affiches portant son message politique. Au-delà de prôner la gratuité, la mutuelle s’oppose également au fichage des voyageurs (avec la carte pass-pass par exemple), et à la mise en place de caméras de vidéosurveillance toujours plus nombreuses (il y en a déjà 3700) dans les transports en commun. La mutuelle s’inspire du mouvement « Ne plus payer » grecque, dont l’action comprend également les transports ferroviaires et la remise en route de compteurs électriques. Elle est née dans un contexte de « crise économique » et répond localement à la politique tarifaire de Transpole dont l’augmentation des prix semble ne pas avoir de limites. La mutuelle lilloise va bientôt fêter ses cinq ans. Elle regroupe environ une centaine de membres, des chômeurs, des étudiants, des salarié-es, des personnes et des « précaires » de tout horizon.
Hasard des coïncidences arrangées
Le jour des interpellations, un article propagandesque et sécuritaire est publié dans La Voix du Nord. François-Xavier Castelain (directeur du contrôle) et Gilles Fargier (directeur général) sont interviewés et légitiment le recours à encore plus de caméras de surveillance [3]. On y apprend que, très bientôt, les caméras seront à-même de repérer les personnes qui ne valident pas un titre de transport « pour contrôler les flux, et non les personnes », prétextent les intéressés, afin de « juguler la fraude dont elle (Transpole) est massivement victime » (sic). Pendant que ces messieurs se victimisent dans la presse, en garde à vue, des échanges entre les flics éclairent le contexte des arrestations : « On devait faire ça demain mais avec l’actualité, on a fait ça aujourd’hui ». Ou quand le privé, la police et la presse marchent main dans la main.
[1] 20minutes, le 18/04/14.
[2] Le blog de la mutuelle : mutuelledesfraudeursdelille.over-blog.org
[3] La Voix du Nord, 18/04/2014, « Lille : pour lutter contre la fraude, Transpole souhaite s’appuyer sur la vidéosurveillance ».