L'idée est née quelques jours plus tôt, place de la République, de s'attaquer frontalement à nos chers patrons du CAC 40. Avec l'affaire des Panama's Papers, l’occasion était trop belle. Récit d’une journée d’actions dans les beaux quartiers lillois.
Les passant.es sont épars.es et gardent les mains dans leurs poches en ce samedi matin. La distribution de billets de banque panaméens, à échanger contre des euros auprès de sa banque, peine à faire tendre les mains. Panama, on voit ce que c'est. La mention fait parfois sourire mais beaucoup de visages restent fermés. Une famille s'arrête pour partager quelques mots d'indignation au sujet des millions qui échappent à l'imposition en se réfugiant dans les paradis fiscaux grâce à la complaisance des pouvoirs publics envers le système bancaire.
Il est 10 h Grand Place, « zone de rencontres » pour touristes, voisin.es guindé.es du Vieux-Lille ou visiteurs/ses en ville pour la journée. Une trentaine de militant.es s'est réunie pour réchauffer l'ambiance et faire fermer les banques : BNP, Société générale, HSBC, pour les moins recommandables, font tomber le rideau à l'arrivée des troupes. Qu'importe, il reste la façade pour afficher des slogans rageurs et ironiques : « Fraude fiscale, enfer social », « Cahuzac was here », « Perçons leurs parachutes dorés ». Les agences auront quelques heures pour nettoyer les dégâts avant que syndicalistes, étudiant.es en grève et participant.es de la Nuit debout ne viennent recouvrir une nouvelle fois leurs vitrines.
Distribution de faux billets panaméens
Rebelote dans l’aprem, sauf que cette fois, ils ont prêché la bonne parole à l'entrée du temple lillois de la consommation. Le rendez-vous est donné à 15h pour mettre en place une attaque sournoise du souk capitaliste. L'idée est simple, créer un peu d'agitation afin de sensibiliser la populace venue faire du lèche-vitrine ou faire péter le compte en banque aux trois étages de l'ancienne affaire du PDG François Pinault.
Un premier groupe se détache et entre dans le grand magasin comme simples client.es. À l'intérieur, les infiltré.es se reconnaissent, sourire aux lèvres. Si l'action est principalement menée par les interluttant.es et des syndicalistes, de nombreux.ses participant.es des Nuits debout sont de la partie. À 16 h, le deuxième groupe allume un pétard à l'entrée, rue Nationale, pour sonner le début de l’action. Les vigiles se précipitent à l'extérieur du magasin et la grille se ferme pour empêcher l'entrée massive de la cinquantaine d'impétrant.es venue perturber la grand-messe capitaliste du samedi après-midi. C'est sans compter sur le bordel que la deuxième équipe, dans la gaieté la plus militante, s'applique à mettre dans le magasin. Les premiers slogans fusent, les billets à l'effigie du Panama sont jetés au-dessus des con-sommateurs et fourrés dans les portefeuilles en croco en rayon. Les vigiles, pris entre deux feux, ne savent plus où donner de la tête. Une bonne partie des activistes se fait vider manu militari. Un gros bras printanier glisse d'ailleurs à l'oreille d'un camarade : « Laisse-toi sortir, sinon je vais devoir te taper ». Ironie du sort, ce sont des précaires, victimes de l'évasion fiscale des grands patrons, employé.es sur des contrats plus que précaires, qui font le sale boulot. D'ailleurs leur bonne volonté s'émousse au fil de l’action.
Alors qu'en bons trublions, la petite troupe chante : « De l’argent, il y en a, dans les caisses du Panama »… la maréchaussée fait son apparition. Une petite dizaine de molosses à rangers s'intercalent entre les manifestant.es et le magasin. On lit dans leurs yeux l'ambivalence de leur position : « Faudrait qu'on tape, mais pas les premiers ». Malheureusement pour eux, la violence du groupe se réduit à quelques pétards, plusieurs salves de confettis et un saxophone pour unique bélier. Quelques badauds s’agrègent au groupe d'une cinquantaine de militant.es. Au bout d'une demi-heure, les keufs s'en vont. Ironie de l'histoire, un flic s'adresse à ses collègues, comme épuisé par plusieurs mois d'état d'urgence ou peut-être animé d’un début de conscience politique de gauche : « Venez les gars, on se casse, ils peuvent péter des trucs, je m'en fous ». La grille reste fermée, obligeant les clients à faire le tour. L'action est en partie réussie, les portes du Printemps sont à moitié closes.
Les manifestant.es font alors le tour, histoire de continuer à distribuer leurs faux billets panaméens. Les condés, eux, ne suivent pas. Une action qui ne fait pas peur à grand monde ? Et puis, si le saxophone ne fait pas de fausses notes, la clientèle, elle, ne chante visiblement pas le même refrain que les manifestant.es. La distribution reçoit au mieux quelques sourires complices, au pire des « va travailler » de la part de mâles blancs engraissés par l'argent du capital. Si les Panama's Papers pouvaient apparaître comme un sujet politique consensuel susceptible de joindre dans la lutte les fameux 99 %, il semble que l'acte d'achat, opium du peuple, incarne davantage l'esprit de communion de notre temps. Mais il est des signes encourageants, comme ce vigile qui glisse à un militant : « Vous n'êtes pas tout seul, on est avec vous ».
On a mérité notre temps de merde, on a fait fermer le Printemps !
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