TGI de Lille, jeudi 22 mai, 8h30. Ce matin sept personnes sont jugées. Elles sont accusées de n’avoir pas payé plus de dix amendes Transpole ou SNCF sur une période d’un an. La procédure est inédite. Frédéric Fèvre, procureur de Lille, a décidé cette audience commune « pour marquer le coup ». Après les arrestations de deux membres présumés de la Mutuelle des fraudeurs le 16 avril dernier, c’est un nouveau coup dans la guerre contre les fraudeurs dont deux ont écopé de prison ferme.
Dans la salle d’audience, le ballet habituel des robes d’avocats et des talons qui claquent. Sur les premiers bancs, les discussions des journalistes venus couvrir les jugements. C’est Angélique qui s’avance la première. Elle est arrivée avec son tuteur et son enfant dans les bras. Son tort : avoir voyagé plus de dix fois sans ticket (et s’être fait prendre) entre le 18 février et le 2 décembre 2010 et entre le 22 décembre et le 14 août 2012. « Le préjudice pour la société de transport est de 3516 euros, explique le juge. Comment l’expliquez-vous ?
– Je n’avais pas d’argent pour payer les tickets, répond-elle timidement. J’avais une carte de transport mais pas rechargée. À cette période-là, j’étais en foyer...
– Pourquoi vous vous déplaciez ?
– Pour des papiers, pour le lycée...
– Vous êtes sous tutelle, mais le tuteur n’est pas encore disponible... »
Les regards se tournent vers la porte de la salle. Le tuteur n’arrive pas. Le juge reprend : « Une expertise psychiatrique a constaté des altérations des facultés mentales, le jugement devra en tenir compte ». Pour les remboursements ? « J’ai payé 100 euros tous les mois, j’ai fait un dossier de surendettement et maintenant, ça y est, j’ai ma carte. » Le tuteur est enfin arrivé et précise : « Il y a eu des accords avec la SNCF et Transpole. Elle a payé quand elle a pu... »
Le fléau
C’est au tour de Maitre Lombard, avocate de Transpole, de prendre la parole. Elle confirme des paiements mais pas pour ces infractions-là et se lance dans sa première envolée : « La fraude est un vrai fléau. Aujourd’hui c’est entré dans les mentalités. Et il faut pouvoir dire à ces gens qu’on n’utilise pas les transports sans payer. Il existe des politiques sociales, pour les moins de 25 ans, pour les demandeurs d’emploi, c’est gratuit, etc. Mais il faut faire des démarches, c’est contraignant. » Angélique veut la couper pour essayer de répondre. La réponse est immédiate : « Chut ! » Et le flot de parole reprend : « Il y a une politique sociale d’aménagement et le ticket est à 1,40. La fraude est un fléau car cela nuit aux usagers qui sont en règle et que ça coûte des millions d’euros à l’entreprise. Je demande donc le remboursement de la dette : 1907 euros sur la première période et 1546 euros sur la deuxième. » Le juge donne la parole au procureur qui commence et s’embourbe directement : « Le ticket est à 1,10... euh 19... [On lui souffle dans la salle] 1,40 ! » Manifestement, il ne prend pas souvent le métro. Le casier vide d’Angélique et sa situation de curatelle renforcée font pencher le proc’ vers une condamnation « à titre d’avertissement » : paiement des amendes et surplus de 600€. L’avocate d’Angélique prend le relais : « Elle est fragile, elle est sous curatelle renforcée et elle a notamment des difficultés de gestion de son budget. Ces amendes, c’était pour aller au lycée. Pour elle, ce n’était pas si grave que ça. À ces moments-là, elle avait une carte d’abonnement mais elle n’était pas valide. Aujourd’hui, elle a un abonnement par prélèvement mensuel. » Angélique a perdu son boulot d’agent d’entretien au moment de la naissance de son bébé et le père est incarcéré en Belgique. Ça ne fera pas sourciller le juge qui la condamne au paiement des 3516 €, à 600 euros d’amende avec sursis et à 500 euros supplémentaires pour les frais de justice de la partie civile (article 475-1 du code pénal).
Punis pour leur absence
Les autres affaires s’enchaînent plus vite. Aucun des prévenus ne s’est déplacé et aucun avocat pour les défendre. Les condamnations tombent plus vite et plus durement les unes que les autres. C’est d’abord Alison, 24 ans, célibataire, sans profession, sans casier judiciaire, sans enfant. Son amende se monte à 1253 € pour 14 amendes entre le 11 juin 2012 et le 23 mars 2013. Lombard, l’avocate de Transpole, déplore « qu’elle ne vienne pas s’expliquer » et demande le paiement des amendes et deux mois de prison avec sursis. Le proc’ renchérit : « Elle n’est pas là pour expliquer la situation qui est la sienne ». Résultat, il réclame deux mois avec sursis et 1000€ d’amende. Petit silence et le juge ordonne : deux mois de prison avec sursis, remboursement des amendes et 500 euros pour les frais de justice de Transpole.
« Montée en puissance »
Le rythme s’accélère. C’est au tour de Cindy. Elle doit 1342,50€ pour 17 prunes sur une période à cheval entre 2010 et 2011 et 1979€ pour 24 PV en 2012. Aux flics qui l’ont entendue elle a expliqué que « son ex-mari lui prenait tout son argent. » Elle indique également avoir pris une carte et remboursé 55€ par mois. Pour Lombard : « Le fait de ne pas avoir d’argent n’est pas une excuse. Quand on n’a pas d’argent on n’utilise pas les transports. Et surtout elle n’explique pas la multiplicité des faits. » Le proc’ demande deux mois de sursis et 800€ d’amende pour la première vague et deux mois de sursis et 1000€ d’amende pour être « montée en puissance » sur la deuxième. Le juge tranche : pour les deux affaires, ce sera 1000 euros de frais de justice, le remboursement des deux amendes, soit 3321,50€ auxquels on rajoutera 500€ d’amendes en plus. Au suivant !
Le suivant c’est Mehdi qui est handicapé mental, invalide à 80% et déjà condamné pour vol : il est en sursis. Il doit 1548 euros pour 20 amendes en 2010. Il aurait reconnu les faits et se serait justifié en disant « qu’il n’avait pas envie de payer ». Pour Lombard : « C’est très inquiétant ! » Et de nous refaire une énième fois son couplet : « la fraude est un fléau ». Elle demande 1500€ d’amende en plus des 1548. Le procureur constate le sursis et demande un mois ferme et 700€. Le juge entérine : 1 mois ferme, remboursement des dettes et 1000€ en plus. Anissa doit, elle, 1705€ mais ne reconnaît pas toutes ses amendes. Elle prendra deux mois avec sursis et remboursement de sa dette et 1300€ en plus.
Quatre mois fermes
Les deux dernières affaires concernent la SNCF. Maître Lombard s’éclipse et c’est un jeune premier de la classe qui prend sa place. Alain doit 1362€ à la SNCF pour plusieurs voyages entre Lille et Montpellier entre l’été 2012 et l’été 2013. Il reconnaît les faits. Il a déjà un petit casier (vol, destruction, etc.) et explique que les voyages étaient des vacances. L’avocat de la SNCF exulte : « C’est une position parfaitement inacceptable. Il nous dit sans honte que c’est pour partir en vacances. C’est une insulte aux gens qui payent leurs billets, aux gens qui ne peuvent pas partir en voyage. Il faut qu’il se rende compte que dans cette société il y a des règles. » Il demande donc de régler les amendes, de payer 1000€ de dommage notamment pour les relances faites par courrier, 500€ supplémentaires pour les préjudices en terme d’image pour la SNCF et une dernière somme de 1500€. Résultat 4362€. Prétextant que contrairement aux autres, Alain est « jeune et se porte très bien », le procureur demande quatre mois fermes et 1000 euros d’amende. Ce qu’il obtiendra. Alain est condamné à quatre mois de prison ferme et plus de 3000 euros d’amendes diverses. Le dernier, Christophe, prendra deux mois avec sursis et 1500 € d’amende.
Il y a une semaine, Frédéric Fèvre, le procureur de Lille, déclarait : la « priorité est donnée à la prévention ». Et se justifiait : « Il serait aberrant de poursuivre quelqu’un dans le besoin. » Ce sont pourtant des pauvres qui ont été criminalisés, foutus en taule, ce matin. C’est à eux que font la guerre les sociétés de transport et les tribunaux.