Filature Mossley : Lutte des classes... dans la ville (1/2)

filature MossleyLa lutte de classe à l’usine, on connaît bien : ouvriers contre patron, revendications, grève, occupation. La lutte de classe dans la ville : c’est autre chose. Un ennemi plus diffus, une lutte moins balisée. C’est pourtant deux aspects qu’ont réussi à combiner les salariés et soutiens de la filature Mossley à Hellemmes. Premier épisode : une lutte de neuf mois dans l’usine.

 

Le long de la rue Roger Salengro, l’ancienne filature Mossley finit de faire peau-neuve. Elle appartient désormais au promoteur « Victoria lofts » qui termine son opération de « réhabilitation ».Retour ligne automatique
Certaines des briques qui sont aujourd’hui remplacées ont presque 120 ans. Elles ont été posées là en 1894. L’année où trois usines de coton viennent compléter la vague monumentale d’installations industrielles autour de Fives et de sa gare du Mont-de-Terre. Elles emploient alors 1000 salariés [1]. Pendant tout le XXe siècle, l’usine passe de main en main pour finir, en 1991, dans celles du groupe Mossley et de son PDG Dominique Meillassoux [2], bras droit de Guillaume Sarkozy – le frère – président de l’Union des industries textiles.

Voyoucratie

En 1992, une première vague de licenciements annonce l’arrivée du nouveau propriétaire. Le 22 juin 2001, la direction du groupe Mossley et le tribunal de commerce décident le coup fatal. Liquidation judiciaire. Du jour au lendemain, les 123 derniers salariés sont foutus à la porte. Patrick Reynaert et Daniel Steyaert étaient de ceux-là. Les deux syndiqués CGT se souviennent de leur dernier jour de travail : «  On nous prévient qu’on est mis en chômage technique parce qu’il y a des problèmes de réception de matière première. Depuis une semaine, les machines n’avaient plus de matière au cul. Ça se vidait tout doucement. » Retour ligne automatique
Les salariés sont dans le flou. Ils questionnent la direction qui se retranche derrière les problèmes d’approvisionnement. «  D’un seul coup, il y a plein de camions qui arrivent dans la cour pour venir chercher la matière finie. Là, on se dit que ce n’est pas normal. On demande un C.E. exceptionnel qu’on obtient pour le lendemain. À 10 heures, ils nous annoncent que l’usine ferme et qu’on a rendez-vous l’après-midi même au tribunal de commerce. » Le coup est dur. La fermeture inévitable. « Pendant tout le week-end suivant, on est restés enfermés dans l’usine. » La lutte commence.

Du fil à revendre

Pour enfoncer le clou, le patron Meillassoux, qui ferme l’usine d’Hellemmes pour délocaliser en Turquie, refuse de verser des indemnités de licenciement conséquentes. « Un patron-voyou », dénoncent les salariés. Une pléonasme qui connaîtra grand succès par la suite... Ils exigent 45 000 euros par personne et le reclassement de l’ensemble du personnel. Le bras de fer commence. « De juin à août, on était dans l’usine jour et nuit », explique Daniel. Dans la balance, un beau trésor de guerre pour la cinquantaine d’ouvriers mobilisés : 700 tonnes de bobines de fil cadenassées dans un entrepôt derrière le bâtiment principal. Il y en a pour vingt millions de francs. De quoi mettre la pression sur la direction. Patrick et Daniel passent même au journal de 20 heures de France 2 pour présenter leur butin. « En quelques instants tout peut être détruit. Mais on ne dira pas comment », assène alors Dany, sourire en coin, au journaliste venu les rencontrer.

« Action-réaction »

Dix ans ont passé mais les deux « figures » de la grève des Mossley ont encore la tête pleine des actions menées. Les anecdotes se multiplient entre actions de sensibilisation dans le quartier et opérations coup de poing. Objectif : sortir la lutte hors de l’usine [3]. Retour ligne automatique
Le 18 juillet dans la nuit, deux camionnettes louées pénètrent par effraction dans une autre usine du groupe à Lomme. Une dizaine de personnes cagoulées embarquent pour 9000 euros de bobines de fil. S’ensuit une course poursuite avec la police qui se termine devant l’usine d’Hellemmes. Les flics ne peuvent pas y entrer. Le 27 août, 50 personnes arrivent en bus au siège social du groupe Mossley à Rouen. Les locaux sont dévastés avec la complicité des salariés sur place. Retour ligne automatique
Patrick résume : « On avait chacun son rôle, Dany c’était le lien avec la presse, un autre c’était la cuisine. Moi c’était l’action : action-réaction. » Daniel, dit « Dany le rouge », se rappelle : « On faisait des journées portes ouvertes. C’était interdit, mais on voulait faire entrer du monde dans l’usine. Une autre fois, on est allés se baigner dans la fontaine en face de la mairie. C’était le mois d’août, il faisait beau. Et le temps que la police municipale arrive, on était déjà repartis. »

Bras d’honneur

À Hellemmes les soutiens affluent : les habitants du quartier, les partis politiques (PC et PS). Marcel Trillat, réalisateur de films documentaires, arrive avec son équipe pour rendre compte de la lutte des Mossley : « J’avais le projet de suivre un plan social, une fermeture d’usine et ses conséquences. Je suis tombé sur ce petit village gaulois. Ils se battaient comme des chiens pour avoir leur plan social. C’était des gens qui avaient parfois subi une ou deux fermetures d’usine. Il y en a qui habitaient à Cambrai. Il y avait déjà une usine qui avait fermé, donc ils s’étaient reconvertis. Parfois c’est deux, trois fois dans une carrière. C’est terrible. » Sa présence aboutira au film « 300 jours de colère ». Premier volet d’une trilogie sur le monde du travail, le film de Trillat [4]. retourne dans les ateliers abandonnés, interroge les ouvriers sur leurs conditions de travail et témoigne de l’aventure humaine derrière la lutte sociale.Retour ligne automatique
Deux mois et demi après le début de l’occupation, le 1er septembre 2001, la direction signe le plan social devant élus et journalistes. Mais – dernier bras d’honneur – elle ne paiera jamais la somme due. C’est le Conseil régional qui avancera les indemnités aux 123 et se remboursera en partie sur la vente du terrain.

ZAC contre CHAMP

Très vite, la municipalité d’Hellemmes sent le bon coup : les 3,6 hectares de l’usine seront bientôt libres au milieu du quartier. Quelques décrets d’urbanisme plus tard, l’usine Mossley devient « ZAC du Parc de la Filature ». Éco-quartier évidemment. Quelques salariés et des soutiens de la première heure s’organisent en conséquence : la lutte dans l’usine n’est toujours pas finie que se crée le Collectif Hellemmois pour l’Aménagement de Mossley-filature et le Patrimoine (CHAMP). Composé de 450 adhérents – ouvriers de Mossley et habitants du quartier. Le mot d’ordre est clair : « La ville n’est pas une spécialité des urbanistes. » Les habitants ont leur mot à dire sur le devenir de la filature. Ils doivent anticiper le prochain combat. Urbain, cette fois.

A.D

Notes

[1Informations tirées de la brochure « Parc de la Filature. Imaginer la rénovation urbaine »

[2Héritier d’une grandes famille bourgeoise du Nord et frère de l’anthropologue Claude Meillassoux

[4« 300 jours de colère », V.L.R. Productions, 2002. Et aussi, « Les prolos » et « Femmes précaires »

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