Sous l’occupation, la Résistance subit une répression particulièrement féroce dans notre région. L’occupant peut compter sur le zèle du préfet alors en fonction, Fernand Carles, qui ne fait pas mystère de son anticommunisme, de son enthousiasme envers le régime de Vichy et de sa fascination pour l’Allemagne nazie.
S’il est une histoire héroïque rabâchée pour construire un récit national, il en est une autre qu’au nom de la continuité de l’État, on a rendu beaucoup moins connue. Il aura fallu pas moins de 50 ans pour reconnaitre le rôle de l’État français dans la collaboration et par la même, celui de la police. On fait oublier qu’à l’époque, les résistant.es se sont battu.es pas seulement contre l’occupant nazi, mais aussi contre l’État français collabo. C’est une façon d’occulter la dimension idéologique et politique du combat que mène la Résistance contre le régime fasciste de Vichy.
Tout est fait pour que l’on perçoive le régime de Vichy, proclamé le 10 juillet 1940, comme une parenthèse dans l’histoire de la République. Pourtant, les principaux dispositifs législatifs de lutte contre les « éléments de désordre » et l’« anti-France »,destinés à maintenir l’ordre sont déjà pensés et mis en place par la IIIème République. Autrement dit c’est en République, qu’un certain Daladier, notre Valls de l’époque, a fait voter l’arsenal juridique pour traquer les résistant.es.
L’efficacité avant tout !
Fernand Carles est nommé préfet du Nord le 21 mai 1936, après la victoire du Front Populaire. Après la débâcle militaire française en 1940, la région est intégrée à une zone administrative militaire regroupant le Nord-Pas-de-Calais et la Belgique, sous le commandement de Bruxelles (l’OFK 670 de Lille) malgré les protestations françaises. Contre toute attente, le préfet français est maintenu en poste. Le préfet devient l’intermédiaire entre le régime de Vichy et l’Allemagne. C’est le seul à garder son poste après 1940. Fernand Carles, devient un symbole de la continuité entre Vichy et l’occupant allemand. Il dispose d’ailleurs d’une bien plus grande marge de manœuvre que tout autre préfet en France. Preuve en est, c'est même lui qui prête serment au nom de ses confrères des autres départements devant le Maréchal Pétain.
Le Reich fait du maintien de l’ordre sa priorité dès le début de l’occupation pour exploiter le territoire. La région représente un atout majeur de par ses ressources minières et sa main-d’œuvre. Les Allemands font face à un mouvement ouvrier organisé et déterminé à ne pas se soumettre. On pense par exemple à la grève des mineurs de mai 1941. Solliciter la police française leur apparaît comme une solution, car elle a une meilleure connaissance du territoire et représente un moindre coût financier. Surtout, la police française semble plus légitime qu’un envahisseur pour faire régner l’ordre, le préfet Carles en tête.
Progressivement, la police française complète les missions de l’armée d’occupation. Elle doit surtout démanteler les réseaux de résistance, contrôler les papiers d’identité de tout.es et surveiller le terrain. Le préfet Carles se donne à cœur joie d’arrêter les résistant.es, surtout communistes. Il minimise le danger que représente l’occupation à la population et s’assure du bon accueil des Allemands. On pense par exemple à l’appel qu’il lance « Aux Gens du Nord » en Août 1940 dans lequel il énonce que la situation de l’occupation « ne doit pas faire douter de l’avenir » et que la population « ne doit pas faire état de pessimisme exagéré »1. S’ensuit de faire passer les actes de résistance pour des actes « d’outrage à l’État » justifiant ainsi la répression contre ces derniers. Il cherche à séduire l’occupant et reçoit de plus en plus d’effectifs policiers.
La femme du préfet, Thérèse Carles se pose en « première dame », elle s’offre une tribune dans la presse et joue un rôle important2 : elle devient une figure que le préfet met en avant pour mieux s’adresser aux femmes.
Le préfet place sous ses ordres des exécutant.es qui partagent son zèle collaborateur, comme le commissaire Fleurose qui pratique la torture et les exécutions de résistant.es. Suzanne Lanoy fait partie de cette litanie de martyres : cette résistante communiste meurt quatre jours après son arrestation sous la torture. Il tente de faire reconnaître ses « prouesses » par les nazis, n’hésitant pas à déployer tous les moyens. Les arrestations sont « spectaculaire ». Le but est autant d’intimider la personne arrêtée que les personnes qui assistent à l’arrestation.
L’ascension …
En novembre 1941, un grand fichier est créé pour centraliser les informations liées aux résistant.es. La région Nord-Pas-de-Calais devient l’une des mieux dotées en outils administratifs pour servir la répression. Avec ce fichier, le préfet instaure un système assez pervers. Il ne sert pas seulement à collecter les actes des résistant.es, mais produit des informations sur la situation sociale de leurs familles Ces dernières sont classées dans deux catégories « nécessiteux » ou « très nécessiteux » qui mesure les besoins des familles. Une fois le résistant arrêté, le préfet s’engage à dédommager financièrement la famille à hauteur de ce que coûte son absence. Il s’agit par là de s’assurer que les familles se tiendront tranquilles. C’est une façon d’encourager la dénonciation.
Comme promotion de son efficacité, à l’automne 1941, l’infame préfet Carles est nommé préfet de la région tout entière, ce qui augmente son rayon d’action. La police française locale voit ses marges de manœuvre s’élargir, d’autant plus que les troupes allemandes sont mobilisées sur le front de l’Est après la rupture du pacte germano-soviétique. Dans une ultime répression et maintien de l’ordre, en 1942, Fernand Carles obtient l’ouverture du camp de concentration sur le territoire français. A Doullens dans la Somme, ce camp -entièrement administré par les autorités françaises- sert à l’internement et l’exécution des prisonniers politiques.
… puis la Chute
En 1943, grâce à une meilleure organisation, la Résistance parvient à affaiblir la police du préfet Carles en gagnant du terrain sur le plan militaire. Les autorités allemandes font le choix de l’écarter. En mai 1944, Vichy mandate alors la Milice Française3 pour maintenir une présence policière française en région. Sentant le vent tourner, le préfet Carles ne va que très peu soutenir la Milice. Opportuniste, il finit par apporter son « aide » de façade à la résistance Gaulliste. Cela sert d’argument au patronat local pour réhabiliter sa mémoire. A la libération, la priorité de la résistance locale est l’arrestation de la police collaborationniste. Les quelques actes en faveur de la résistance du préfet Carles ne suffisent pas à le faire racheter. Il est arrêté en 1945 et se suicide en cellule avant d’être jugé.
Sukemian
1. Le préfet du Nord a lancé un appel, le 24 mai 1940, appelant aux populations à garder leur calme.
2. Catherine Astol-Lacour, Le genre de la Résistance. La Résistance féminine dans le Nord de la France, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Histoire », 2015, 389 pages, p. 68.
3. Créé en 1943, la Milice Française force paramilitaire vichyste consacrée à l’arrestation des résistant.es, juif.ves, tziganes, homosexuel.les et transsexuel.les … Elle est l’équivalent de la Gestapo en Allemagne.