Le changement d'état civil pour les personnes transgenre relève systématiquement du parcours du combattant. L'absence de cadre juridique ouvre la porte à de nombreux cas de transphobie tant au sein des services administratifs que parmi les médecins... Quand ce ne sont pas des « spécialistes » douteux qui occupent le terrain.
« La première fois que je suis allé chez un psy, j'avais choisi d'opter pour un parcours privé. C'est-à-dire que je voulais faire ça tout seul. » Tobias est une personne transgenre, décidée à changer d'état civil sans recourir aux institutions médicales autoproclamées. Il se rappelle du seul contact avec le premier psychiatre qu'il a rencontré. « Je suis resté cinq minutes, juste le temps de s'engueuler. Et puis cet enfoiré voulait me soutirer quatre-vingts balles. »
Sofect infect
« Dans beaucoup de cas de transitions, on est soit FtoM (Female to Male), soit MtoF (Male to Female), explique Tobias. Moi je refuse d'entrer dans un schéma binaire. Je ne suis pas obligé d'adopter des comportements stéréotypés. Le bonhomme que j'avais rencontré insistait de manière outrageante : ''Vous n'oubliez rien ? Vous êtes sûre ?'' J'avais pourtant exprimé le désir de me transitionner, mais sans qu'on me forme une bite. » La phalloplastie est en effet une opération chirurgicale très lourde, qui consiste a constituer un « néo-pénis ». Elle n'est pas obligatoire pour obtenir le changement d'état civil... Et pourtant.
Dans la tête du psy, c'est le « schéma classique » qui doit primer : si tu es un homme et que tu veux devenir une femme (MtoF), tu dois endosser tous les clichés du genre féminin pendant un an (porter des jupes, t’épiler, te maquiller, etc.), et te comporter en parfaite midinette. Ce « schéma classique », c'est celui repris et véhiculé par la Société Française de Prise En Charge du Transsexualisme (SOFECT) : deux ans de psychanalyse, des rendez-vous avec un endocrinologue (spécialiste de l'implantation d'hormones), et après un chirurgien. Leur site internet prétend s'adresser aux personnes trans. On y découvre surtout tout un tas de « spécialistes » qui parlent entre eux. Durant la procédure, le « patient » est passif. Le psy, l'endocrinologue et le chirurgien décident entre pairs de « l'éligibilité » de la personne, en bons gardiens des genres. Un système sans concertation ni considération, largement critiqué par les associations trans1.
Ordre Dispersé
À Lille, il existe une alternative : la Maison Dispersée de Santé (MDS). Nous rencontrons Bertrand Riff, son co-fondateur. La MDS s'occupe de celles et ceux qui sont « en dehors des clous ». « Nous sommes des accompagnateurs de ceux qui sont dans le désordre », énonce Bertrand Riff. Au départ, le collectif né en 1986 s'occupe principalement des IVG. Puis très vite, des personnes atteintes du VIH. Le public s'élargit encore au début des années 90 : ce sont les toxicomanes qui viennent. En somme, la MDS accueille tous les laissé.es-pour-compte et inadapté.es du système médical. L'idée prend à rebours les autres institutions, dont la légitimité ne provient que du professionnalisme médical.
« Nous, on est là pour apaiser la souffrance ordinaire, on se veut comme une instance qui crée du lien: être relié et reliant. » La MDS met en place avec des associations militantes et des professionnels de prévention le Collectif Santé Trans. « Ici, nous sommes tous porteurs des expertises, reprend Bertrand Riff. Il n'y a pas que celle du médecin, il y a aussi la vision du patient sur sa propre souffrance. On ne juge pas les gens, on travaille avec eux. On dialogue, puis le médecin et le patient commencent "l'écriture de l'évidence". Quelle évidence ?
Point de confort
L'idée n'est pas de faire systématiquement une transition totale, mais de trouver un point de confort. Ce point de confort, c'est le moment où l'usager se sent bien en adéquation avec son corps. Flore, présidente de l'association En-Trans à Lille, connaît bien cet aspect des choses : « ça va de pair avec l'autodétermination, c'est-à-dire la capacité à se poser la question, de dire qui je suis, de quel corps j'ai besoin pour être bien avec moi-même et les autres ».
L'association En-Trans existe depuis l'automne 2014. « À la base, on était un groupe convivial au sein de l'association Aides. Et puis très vite, certain.e.s d'entre nous ont senti la nécessité de militer. C'était comme un réflexe d'autodéfense. On a lancé un mot clé, #Transpower. Ce mot nous rassemble, il a pour but de briser nos solitudes et de démocratiser nos idées », raconte Flore. Comme le Black Power ou le Gay Power en son temps, les militant.e.s d'En-trans pratiquent l'« empowerment », c'est-à-dire l'affirmation d'une visibilité et d'une fierté Trans. « C'est une étape dans la lutte pour l'émancipation », ajoute-t-elle.
Aujourd'hui, les assos trans réclament avant tout le changement d'état civil libre et gratuit. « L'objectif c'est d'être indépendant.e.s de tiers qui prennent le contrôle de nos vies. Que ce soit de l'équipe médicale ''traditionnelle'' ou du juge, qui décide du changement d'état civil ».
C'est que le juge, en la matière, exerce un pouvoir déterminant. « Même quand t'as le papier des médecins, le juge peut demander une expertise : en général ce sont deux experts que tu ne connais pas qui te foutent à poil, ensuite ils re-jugent ton corps jusqu'à parfois mettre la main dans les parties génitales. C'est du viol. Et puis évidement, si tu n'as pas l'aide juridictionnelle, cette expertise est à tes frais », précise Tobias. Pour Flore, « nos corps sont à nous. Ce que les assos Trans demandent, c'est une loi pour se protéger contre l'arbitraire de ceux qui veulent décider à notre place ».
« Guichet dépendance »
Le changement d'état civil permet d'avoir « un papier qui soit en adéquation avec ton genre social » pour toutes les démarches administratives, poursuit Flore. En témoigne les nombreuses anecdotes de personnes trans n'ayant pas obtenu la modification des papiers d'identité : l'agent de la CPAM qui fait un signalement à la Sécu, soupçonnant des fraudes à la carte vitale ; le colis de la poste qu'on n'arrive pas à retirer ; le banquier qui s'obstine à appeler la personne systématiquement « Monsieur ». Pour Bertrand Riff, on peut aller jusqu'à parler de « guichet dépendance ». « Avoir les papiers en accord avec son genre, c'est une manière d'acter officiellement la chose, conclut Flore. Et par là même occasion de remballer tous ceux à qui tu présentes tes papiers et qui doutent de ton identité. »
Harry Cover
1: Pour une critique plus détaillée, voir « Sofect, du protectionnisme à l'offensive institutionnelle », sur le site observatoire-des-transidentites.com
La MDS est hébergée au sein de la Maison Médicale de Santé, au 167 rue d'Arras, dans le quartier de Moulins à Lille. Elle se propose notamment d' « assurer le même accès aux soins et à la recherche du bien-être à chacun-e, quels que soient ses origines géographiques, sociales, culturelles, son âge, son genre ou ses orientations sexuelles ». L'association En-Trans s'occupe de l'accompagnement, des droits et de la visibilité des personnes Trans.
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