La moitié des personnes LGBTQI+ préfère ne pas évoquer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre face au personnel médical. Parmi elles, les personnes transgenres sont aussi celles qui subissent le plus de discriminations dans l’accès aux soins. La majorité préférerait même éviter de se soigner plutôt que d'avoir à subir la transphobie du personnel médical.
Dans notre société, les individus sont divisés en fonction de ce qui est qui considéré comme étant leur « sexe ». La norme dominante voudrait qu'il soit masculins ou féminin. En fonction du sexe assigné, la société inculque aux individus par le biais de la famille, l'école ou le
travail, un ensemble de comportements et un rôle. On appelle « le genre » cet ensemble de comportements qui n'ont rien de naturels sont bien le fruit de la construction social. On parle ainsi de « genre masculin » et de « genre féminin », mais tout le monde ne s'y reconnais pas. Les personnes trans sont des personnes qui ne se reconnaissent pas dans le genre que la société leur a attribué à la naissance. Elles subissent des discriminations et un rejet d'une partie de la société du fait de ne pas être reconnues pour ce qu'elles sont. C'est ce qu'on appelle la transphobie.
Nous avons rencontré Sacha, militant de l'association En-Trans, une association de défense des droits des personnes transgenres sur Lille. L'association s'occupe d'accompagner et d'informer sur leurs droits les personnes concernées et leurs proches. D'après lui, les difficultés ne viennent pas tant de la lourdeur des opérations de transition que des étapes par lesquelles il faut passer pour y arriver et de la difficulté qu'éprouvent les personnes transgenres à accéder aux soins que ces soins aient un rapport direct ou non avec la transition. Etienne autre militant de l'association témoigne : « J'ai commencé le 29 janvier 2018. Je suis même allé jusqu'à Paris. Je me suis battu pour avoir plein de papiers. Mais tout cela n'aura servi à rien parce que je n'ai pas réussi à obtenir une mastectomie1. »
À Lille, il n'y a pas assez de médecins qui acceptent de prendre en charge les personnes trans, qu'il s'agisse de soins en lien avec la transition ou non. Les médecins libéraux renvoient généralement les patient.es vers les hôpitaux publics. Au CHU, il existe bien un dispositif de transidentité mais il n'est possible d'obtenir un rendez-vous qu'à partir de 2022. Il faut dire que le CHU de Lille est le seul hôpital de la région à proposer un tel service. Mais les personnes rencontrées expliquent y être souvent mal reçues. Passer par ce service est pourtant la seule option pour certain.es : c'est le cas d'Etienne, un jeune de 17 ans, qui a accepté de témoigner.
Etienne, qui a besoin d'un kiné, n'y va pas car il a peur de tomber sur une personne transphobe. Il n'ose pas montrer son torse nu devant les médecins dont il craint la réaction. Les agressions verbales dont le mégenrage• par exemple, mais aussi sexuelles, sont malheureusement fréquentes. Pour Sacha : « Les médecins ont parfois la main baladeuse mais les victimes ne portent que très peu plaintes. »
La transition, un parcours du combattant
Selon Sacha, certains critères accentuent les difficultés d'accès à la transition : « Si vous avez le malheur d'être trop jeune ou trop agé.e, ou encore avoir été homosexuel dans votre genre d'origine, on va considérer que vous n'êtes pas assez autonome pour prendre vos décisions. »
Quant aux personnes mariées, les opérations leur sont tout simplement interdites. Les chirurgien.nes demandent une preuve que la personne est bien une personne trans. Elle va devoir le prouver en vivant pendant deux ans selon le genre dans lequel elle se projette. Donc une femme trans doit porter pendant deux ans des robes en public. Or, selon Sacha, on sait que c'est dangereux pour elles, car elles vont subir beaucoup de harcèlement.
S'ajoute à la violence symbolique d'un rapport entre sachant/non sachant entre médecins et patient.e, le fait que les soins sont administrés uniquement par des personnes non-trans. « On doit se soumettre au jugement d'un inconnu, qui détient tous les droits sur nous sous prétexte qu'il serait expert dans le domaine. C'est dégradant. » En effet, Etienne nous explique que les personnes transgenres sont systématiquement renvoyées à leur statut de patient.es face aux médecins, encouragé.es à être passif.ves, à se laisser faire. Les médecins finissent par imposer leur vision de ce qu'est une transition, c'est à dire de ressembler le plus possible à une personne cis.
Psychiatrie
Un autre frein à la transition médicale est le passage obligatoire dans les hôpitaux publics pour obtenir une attestation délivrée par un psychiatre. Attestation qui ne sera délivrée qu'au bout de deux ans de suivi psychiatrique... Le saint Graal ? L'obtention de ce que les psychiatres qualifient de « dysphorie de genre »; que l'on traduit dans le langage courant par « dérèglement ».
C'est pourtant une pratique dénoncée par les personnes concernées. « C'est violent d'avoir quelqu'un qui va vous dire si vous êtes vraiment qui vous êtes ou pas. J'ai parfois raconté des trucs qui n'étaient pas vrais, juste pour avoir une validation. J'ai par exemple insisté sur le fait que, petit, j'aimais bien jouer avec les jouets de mon frère » nous raconte Etienne. Cette pratique est rendue obligatoire par la FPATH, association qui réunit des professionnel.les de santé et qui se dit être spécialisée dans la prise en charge des personnes trans (anciennement « SoFECT »)2 alors qu'elle n'est pas constituée de personnes concernées.
RésisTrances
A Lille, à la Maison de Santé de Moulins (MdS), il se dit que les personnes peuvent venir obtenir facilement les ordonnances et le suivi dont elles ont besoin. C'est l'un des rares espaces où les personnes trans peuvent avoir un vrai suivi médical sans que le personnel ne calque des stéréotypes de genre cis-normés. Les personnes y seraient mieux écoutées et libres de mener les transitions comme elles l'entendent. La Brique avait évoqué la Maison de Santé en 20153. Depuis la parution de cet article, la MdS de Lille-Sud propose le même accueil et bientôt la MdS de Bois-Blanc également.
Dès qu'un médecin est connu.e pour être bienveillant, les personnes se passent le mot : « S'il y a un bon plan, on se tient tous au courant », nous confie Etienne. À l'inverse, dès qu'un médecin est connu pour ses pratiques ou propos douteux, on le fait connaître pour l'éviter. Ces listes ne peuvent pas faire l'objet d'une publication officielle. C'est notamment en allant au centre LGBT de Lille J'en suis genre reste que l'information circule.
Etienne nous explique que comme il n'y a pas de formation, iles finissent par se former eux-mêmes : « On est obligé d'apprendre par nous même parce que personne ne va le faire pour nous. » Se procurer de l’œstrogène, surtout de la progestérone est assez facile. Les femmes cis et les femmes trans peuvent se les passer facilement. En revanche, se procurer des hormones dites masculines est un peu plus compliqué quand on veut se passer d'un endocrinologue4. Dans la mesure du possible, quand une personne a des hormones en sa possession, elle essaye de les partager. La dernière méthode, internet, nécessite de passer par des sites plus ou moins légaux. Mais les produits peuvent contenir n'importe quoi et sont souvent dangereux. Pour Sacha : « Notre but c'est que plus personne n'ait recours à l’automédication. Mais en attendant que les médecins répondent convenablement à notre demande de prise en charge sans conditions, on donne au mieux les outils pour que les personnes ne se mettent pas en danger. »
La transidentité n'est plus considérée comme une maladie psychiatrique depuis 2011. Pourtant, les personnes trans sont toujours traitées comme des personnes malades par le corps médical. Face aux médecin.es, leurs paroles n'ont aucune valeur.
Didon et Virgile
On dit d'une personne qu'il ou elle est cis-genre, si son genre est celui qui est attribué à la naissance. Les personnes transgenres ne se reconnaissent pas dans le genre qu’on leur a assigné à la naissance. Le processus d'affirmation de son identité de genre est appelé la transition. Elle passe soit par des transformations physiques, soit par des changements de statuts administratifs, une affirmation sociale ou les trois à la fois, en fonction de ce qu'une personne juge nécessaire pour elle-même. • Mégenrage : on dit qu'une personne se fait mégenrer quand autre une personne se trompe de mauvais genre en la désignant, de façon intentionnelle ou non |
1. Ablation des seins
2. «Entre psys, juges et guichets, les Trans en résistance », La Brique, n° 42 «Féminismes », Février/Mars 2015.
3. Bis
4. Médecin spécialisé dans le traitement hormonaux