Lilloises, Lillois*,
En tant que mère de Lille et affirmant une proximité avec chacun et chacune d'entre vous, chérissant ce lien si particulier qui nous lie, nous, les gens du Nord, je vous dois un discours de vérité. Je me devais de prendre la plume pour alerter mes concitoyen.nes. Le faire dans La Brique pourra en surprendre certain.es. Je devais m'assurer d'être entendue par un public pas trop large, dans un journal qui ne m'a pas lâchée depuis 10 ans. En vérité, l'heure est grave. Vous le savez, j'ai bientôt 66 ans et j'ai la conviction, hélas, que tout ce que j'ai fait dans ma vie est abîmé, cassé.
Qu'on se le dise, le bilan que je tire de ces deux mandats successifs est tout sauf Fantastic.
On vous a promis des beaux immeubles, des équipements de qualité dans des quartiers populaires rénovés, la renaissance économique par la dynamisation des politiques culturelles, le tout dans un climat de mixité sociale (et ici, un petit géranium).
Foutaises ! Depuis Lille 2004, mon seul objectif est d'importer du bourgeois par convois entiers qui défilent dans le centre-ville. Sur des kilomètres de chars, entourés de danseuses brésiliennes, ou à dos de dinosaure, il en arrive de partout pour piétiner un passé ouvrier prié de se faire discret.
La mixité d'accord, tant que les contingents de prolos se mixent loin du Vieux-Lille. De toutes façons, on les aura bientôt éloignés à force de faire semblant d'encadrer la hausse des loyers ! En attendant, les lilloi.ses premiers de cordée vivent dans mon rêve : celui d'une ville arc-en-ciel, où les couleurs se touchent sans se mélanger.
Grâce à notre action, avec Saint-Sauveur, mon appétit pour les grands projets inutiles et la spéculation immobilière est passé au niveau supérieur. Vous pensiez vous mettre au vert ? Respirer de l'air frais dans un espace préservé de la circulation et des dealers ? Et puis quoi encore ! Vous croyez qu'on va les loger où mes bataillons de gentrifeurs et leurs startup Euratechnologisées ? En tout cas, pas dans vos courées minables ni dans les caves miteuses qui gangrènent les quartiers de Fives et Moulins. Ça non, j'ai vu grand ! Et si de jeunes migrant.es cherchant à se mettre à l'abri occupent la friche, se dressent entre moi et ce festin de béton, c'est pas compliqué. J'expulse, je casse, j'isole. D'ailleurs, ça vaut pour eux comme pour les autres ! Quitte à envoyer le RAID en bonne socialiste sincère face aux spoliateurs de la propriété privée comme publique. Hein, mon Collomb !
Terrorisme oblige, c'est aussi à moi qu'on doit la mort de la Braderie. Le cul posé sur une pile de moules, nous avons pu orchestrer l'agonie de cet évènement qui permettrait à l'origine aux domestiques de revendre les affaires de leurs maîtres. Aujourd'hui, c'est tout au plus une grosse kermesse dont profitent les commerces d'un centre-ville cerné de robocops et de blocs de béton colorisés. Par nos efforts et nos suppliques dans le bureau du ministre de l'Intérieur, j'ai pu obtenir pour Noël toute la panoplie d'une grande ville militarisée. Lille, capitale de la police. Bienvenue aux 400 policiers nationaux, 120 municipaux, deux compagnies de CRS, deux brigades canines, sans oublier les cheveux pour le panache.
Ça fera de belles images pour les 4700 caméras de surveillance qui scrutent les faits et gestes de mes chèr.es administré.es. De quoi assurer un suivi participatif de la délinquance sénile et juvénile, sur toutes les terrains, du métro au beffroi. C'est ça, la politique de proximité.
Pour Lille, pour vous, je vous dois, je dois le dire, un discours de vérité, nous avons lamentablement échoué, l'ascenseur social s'est égaré, la turbine tertiaire peut-être envolée. En hommage à mon père, j'ai transformé Delors en barres de béton.
Merci de m'avoir accueillie, vous étiez bien gentils, mais je ne vous ai pas bien compris.
Tartine au Brie
Local de La Brique.
*Texte réalisé avec de vrais morceaux de Martine Aubry dedans ! À vous de les retrouver !