Les êtres humains ont la « bougeotte ». Ce sont des gens qui se déplacent pour différentes raisons, tantôt subies (guerre, expulsion...), tantôt choisies (tourisme, travail...), soit les deux. Pour étudier ces migrations, il existe des géographes, des sociologues... Les chefs des êtres humains, qui peuvent être roi, empereur, pape, imam, maire, général ou président de la république, ont inventé des frontières pour réguler ces déplacements : « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre ! ». Les plus connues, celles qui nous viennent directement à l’esprit, sont celles entre Etats.
Les franchir sans autorisation peut être un délit, à moins de céder aux charmes des sirènes militaires qui appellent à défendre les intérêts de votre pays chéri. L’im-migration, c’est-à-dire le franchissement des frontières, vu de l’ “intérieur”, est présentée comme un problème majeur à résoudre pour les pays riches. Les étranges personnes d’ailleurs et de là-bas deviennent la source de ce « problème » : la guerre à la pauvreté, c’est surtout la guerre aux pauvres, en chair et en os, et non aux conditions de vie. Le sans-papier, l’immigré mais aussi le ou la précaire, l’assisté-e, deviennent tous et toutes responsables, et par là, nuisibles. L’immigration dite « choisie » résume bien l’idéologie qui nous tombe sur le coin de la gueule. « Nous », car celles et ceux qui ne rentrent pas dans leur système sont voués à être des étranger-e-s. Le franchissement du rubicon risque d’être difficile à admettre. En France, depuis le 6 mai 2007, c’est la fin de la « repentance ». Quelqu’un se rappelle ? La France est un pays d’immigré- e-s, depuis toujours et encore plus depuis un siècle (un tiers de la population a une descendance immigrée à la première, deuxième ou troisième génération). La France est le pays industrialisé qui doit le plus à l’immigration. Plusieurs générations de gouvernants n’ont pas attendu le 6 mai 2007 pour en finir avec la repentance. « Sarkozy a oublié », comme chantent les sans-papiers en manifestation chaque mercredi dans les rues de Lille, mais pas seulement que « ses parents sont étrangers ».
Certains et certaines se déplacent par nécessité, d’autres pour faire la guerre. Les Tziganes ou les Rroms en ont fait un mode de vie. Et ceux et celles qui n’ont cure des frontières se font toujours un peu ennemis de l’Etat, donc de nos chefs. Ça se paye ! N’imaginez pas le contraire. Les frontières existent aussi à l’intérieur d’espaces plus restreints. Dans une ville, par exemple. Prenez les quartiers de Lille-Sud et de Fives, coupés petit à petit de Lille par le périphérique 2X3 voies. Ces deux quartiers sont aujourd’hui au coeur de l’aménagement urbain moderne, version nouveau millénaire et sauce lilloise. Ils sont donc l’objet de convoitises : les classes supérieures ont besoin d’espaces. Une frontière n’est donc pas indestructible. C’est pourquoi les gens qui décident lancent leur Grand Projet Urbain, qu’on peut qualifier d’urbanisme libéral. La Brique a prêté son oreille et toute son attention à cette solution miracle pour « désenclaver » les quartiers populaires de la métropole lilloise. On déplace les gens qui y habitent par des destructions et des reconstructions. Qui n’y aurait pas pensé ? Les politiques de la ville depuis presque 40 ans se recyclent à l’aide de nouvelles stratégies qui « oublient » de donner la parole aux premiers intéressé-e-s : les habitants et les habitantes de ces quartiers. Vous l’aurez compris, une frontière est donc d’abord une limite dans la tête des gens, pas dans l’espace. L’espace, lui, il s’en fout. Journaliste ou pas, La Brique interroge toutes ces frontières, qu’elles se situent sur les marches du tribunal ou sur un terrain vague de Calais, qu’elles délimitent les quartiers populaires ou un enfermement carcéral. Welcome to Nord Pas de Calais !
Le collectif de rédaction