Douce apocalypse
En cette fin d’année 2010, La Brique a plongé dans les caniveaux et dépotoirs de la grande industrie. Celle de l’énergie, indispensable pour se chauffer, vivre la nuit, se connecter à des réseaux sociaux, s’oublier des heures au téléphone et user de tous ces gadgets qui parviennent péniblement à nous faire oublier que nous n’en avons pas besoin. Celle de l’électricité devant justifier le pillage de pays qui n’ont même pas l’éclairage et qui déverse des flots d’immondices toxiques pour satisfaire des « besoins » imposés en millions de « mégawatts ».
Partout dans le monde, des hommes et des femmes sont employé-es depuis plus d’un siècle à respirer des particules cancérigènes ou à s’irradier les bronches. Et puis voilà qu’un jour, leurs corps rongés s’évaporent avec la facilité d’un dossier médical… Quant à nous, évoluant sur des territoires dévastés par des produits aussi nocifs que le plomb, notre dépérissement n’a d’égal que celui de notre environnement. Chaque jour, d’infimes particules s’infiltrent à jamais dans la terre, les plantes, dans nos corps, nos poumons ou notre peau. La scène se passe là, en bas de chez nous, et puis là-bas aussi, à des milliers de kilomètres. De fait, partout où la formidable civilisation du progrès s’est imperturbablement immiscée.
Il y a que l’industrie a su se rendre acceptable. Aujourd’hui, le « bien être » mondial se mesure à l’aune de son immonde circulation d’hommes-marchandises et de ses produits fabriqués en série. De ce point de vue, hors de question de remettre en cause sa finalité. Alors silence. Silence sur les mines du Niger, sur les risques encourus par les habitants de Lille-Sud, sur les dangers et les crimes du nucléaire. Un silence, partout organisé par les autorités, de la municipalité à l’État, aussi bien que par les capitaines d’industrie, du sous-traitant à la multinationale.
C’est une bien douce apocalypse. Pas aussi révoltante qu’une bombe lâchée sur une ville ou l’explosion d’une usine SEVESO. Plutôt une catastrophe permanente, qui, de fait, a su imposer sa présence. Tous les jours, des trompettes retentissent sans qu’aucun tocsin ne soit jamais sonné. Ici, la dissimulation prend la forme d’une noyade dans un océan d’informations toujours déconnectées les unes des autres. Traitées comme des faits divers, elles se succèdent, interpellent mollement, puis disparaissent. Au final, c’est encore et toujours le silence laissant le champ libre à la technocratie et à son langage de gestionnaire. Et si la mairie, l’État et les patrons refusent de répondre à nos questions – quant au nucléaire ou à la pollution à Lille-Sud -, c’est bien que leurs intérêts doivent être ménagés. Dans ces conditions, vers qui se tourner ? Les journalistes ? C’est en tout cas l’avis très ironique du rédacteur en chef de La Voix du Nord, pour qui le « travail d’enquête du journaliste […] consiste entre autres missions à découvrir ce qu’on lui cache et à dire ce qu’on veut taire. »
C’est vrai, l’ancien mao sait de quoi il parle. Encore une fois, pendant le dernier mouvement social, on a pu compter sur les médias et leurs « enquêtes » traitant sans relâche de l’« essoufflement de la mobilisation ». Nous comptons aussi sur eux et leur enthousiasme sans faille pour informer « objectivement » quand la Grande Muette orchestre sa propagande belliqueuse dans les écoles. Ou, plus régulièrement, quand la neige tombe du ciel en hiver. Il n’y a rien à attendre de cette « grande presse » et de sa « monoforme ». Quid de la « petite presse » ? Celle-ci n’a en tout cas rien à perdre. Aux côtés des personnes qui la soutiennent. Becs et ongles dans la gueule.