Lille Métropole Habitat (LMH) est l’office HLM de la Communauté Urbaine, premier bailleur de la métropole. Avec environ 30 000 logements et près de 80 000 personnes logées sur 44 communes, LMH représente 25% de l’offre de logements sociaux. Éloigné de ses principes fondateurs de bailleur « social » depuis longtemps, son rôle aujourd’hui est de mettre en œuvre la politique de peuplement de la mifa Aubry. Et pour atteindre ses 161 millions de chiffres d’affaire, chaque locataire est un client comme un autre.
Le parc immobilier de LMH est extrêmement dégradé, notamment parce que c’est le plus ancien. 80% des récriminations collectées par le Service Communal Hygiène et Santé de la mairie de Lille émanent de locataires de LMH. Devant les situations innombrables de logements pourris et insalubres du bailleur, la mairie pourrait, si elle le voulait, publier des arrêtés à son encontre pour réclamer l’exécution de travaux rapides, voire le relogement de locataires des appartements les plus insalubres. Elle ne le fait pas pour une raison très simple : tout est cadenassé.
Pudding aux socialistes
Martine Aubry dirige la mairie de Lille et Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) dont la commission logement revient à Gérard Caudron, maire « divers gauche » de Villeneuve d’Ascq. LMH est directement présidé par Alain Cacheux, diplodo-socialiste de l’époque de Pierre Mauroy. Dans le conseil d’administration de LMH on trouve une majorité de personnalités ou d’élus socialistes pour décider, à l’instar d’Audrey Linkenheld, élue PS responsable du service habitat de la ville de Lille [1]. À ce verrou institutionnel, il faut ajouter une dose de népotisme : le responsable d’agence de Lille-Sud est le mari de Linkenheld ; le responsable de l’agence de Moulins est un ancien secrétaire de section du PS... C’est un véritable vase clos. Alors certes, on trouve bien dans le conseil d’administration de LMH des associations représentants les locataires. La Confédération Nationale du Logement (CNL), par exemple, tente de regrouper les habitant-es face aux bailleurs afin de faire valoir leurs droits. Mais Fabien Podsialo-Régnier, son président, explique que cette présence est « quasiment symbolique avec une voix uniquement consultative ».
La Fibre sociale des gestionnaires
Donc deux poids, deux mesures : l’impunité pour le bailleur, et pour ceux et celles qui ne peuvent plus payer leur loyer, la porte, voire la rue : « Avec LMH, il y a surtout les problèmes d’expulsions », nous explique Gauthier Ragonnet, directeur de l’APU du Vieux-Lille, une association de défense des locataires. Elle recense de plus en plus de situations d’expulsions venant de LMH : « On a des dossiers au tribunal pour 160 euros de dette. » Pour trouver des solutions préventives aux expulsions, l’APU n’a « aucun interlocuteur ». La seule alternative a été, en juillet dernier, d’occuper les locaux du bailleur. Peu avant, Alain Cacheux avait été interpellé sur les expulsions à venir. Il avait alors répondu par une froideur mathématique en avançant 1,3 million d’impayés [2] pesants sur les investissements de sa firme. Une personne qui ne peut plus payer ses loyers est une « défaillance » qui, « si minime soit-elle, génère des complications de trésorerie au niveau comptable ». Dans un discours moralisateur et au mépris de la réalité sociale, il lâchait encore : « le premier devoir d’un locataire est de s’acquitter de son loyer ou tout au moins de démontrer sa volonté d’y parvenir ». Nous y voilà : les mauvais payeurs ne sont pas de bonnes gens acculées, ils sont « de mauvaise foi ». Salauds de pauvres !
L’illusion participative
LMH aime s’enorgueillir de la participation des habitant-es, lors des réhabilitations de certaines tours, par exemple. Sur le terrain, on constate qu’il s’agit d’un rapport de force le plus souvent en faveur du bailleur, les locataires étant généralement peu informés ou peu en situation de connaître leurs droits. Mais la participation devient plus épineuse lorsque les habitant-es s’en mêlent. À Villeneuve d’Ascq, résidence « du Château » (sic), les locataires (dont une majorité est adhérente de la CNL) refusent le projet de LMH en l’état. Résultat, en septembre, Alain Cacheux se rend sur place et n’y va pas par quatre chemins : « Si vous votez contre, il n’y aura pas de réhabilitation ». « Chantage », répondent légitimement les habitant-es [3]. Pour Fabien Podsialo-Régnier : « On se rend compte la plupart du temps que la loi est bafouée. C’est réellement un bras de fer, il y a des enjeux très politiques derrière ces réhabilitations, nous tentons de faire échec à la tentative d’intimidation ». Et la concertation se passe si bien que LMH est aujourd’hui assigné en justice par la CNL.
Derrière le « social »
C’est que toutes ces mascarades masquent des enjeux bien moins reluisants. Pour Gauthier Ragonnet : « Le logement est un véritable enjeu pour une commune, c’est la population que tu amènes ou que tu exclues. » L’expérience de l’association permet à ses salarié-es de pousser leur analyse plus loin : « Même si on ne peut pas le prouver, on est persuadés qu’il existe des politiques de gestion des populations. C’est-à-dire que tel bailleur dit "dans telle barre il y a déjà trop d’Arabes on va mettre d’autres personnes". Il y a des politiques de population et de territoire dont on ne nous parle pas mais on sent bien que pour tel ou tel rejet de dossier, il n’y a que ces critères-là. Nous savons qu’il y a une ségrégation sociale et spatiale, y compris chez LMH. » Le bailleur se présente comme bienveillant accueillant toute la misère du monde. S’il est vrai que l’office public détient le plus grand nombre de logements « très sociaux », ce n’est pas par pure charité d’âme. Crée en 2006 à la suite de la fusion des offices publics de Lille, Roubaix et Tourcoing, LMH est surtout un instrument incontournable au service de Lille Métropole pour recomposer les quartiers et appliquer sa politique de « mixité sociale ». Sa situation de monopole sur une majorité de logements des classes populaires permet la mise en œuvre ses déplacements lents mais certains. Les socialistes sont qualifiés de « volontaristes » en matière de politique de logement par l’APU et la CNL. Pour nous, ce volontarisme révèle plutôt une envie pressante de repousser les pauvres toujours plus loin du centre ville qui s’agrandit, sans eux.