Sur la zone de l’Union, entre Roubaix, Tourcoing et Wattrelos, c’est l’urbanisme des grands projets qui resplendit dans toute sa bêtise et sa violence. Retour sur la mise en friche d'un ancien territoire industriel et sur l'incapacité des chantres de l'attractivité à reconstruire là où leurs aînés ont démoli.
Au milieu de la décennie 1990, on débarque à l’Union par la voie rapide longeant le canal de Roubaix. A l’époque, c’est encore un quartier-carrefour, à deux pas des quartiers de l’Alma, du Cul de four, de l’Épidème. Le peignage de laine de la Tossée borde alors un paysage industriel où se dressent la grande cuve de la brasserie Terken, un dépôt de bus, une usine chimique et des entrepôts ferroviaires désaffectés. Au pied de ces grandes industries, vivent une multitude de petites activités économiques des secteurs du bâtiment et de l’agro-alimentaire, une imprimerie et un ensemble d’habitations avec ses bars, restaurants, une auto-école et une épicerie.
1 - 2009/2017
Les logements anciens de la zone, rapidement déclarés insalubres, ont été rachetés et détruits. Seul au cœur du quartier, reste érigé fièrement le bar et logement de son propriétaire « Chez Salah ».
Dix ans plus tard, il ne reste qu’un immense terrain vague de 80 hectares que la société d’économie mixte (SEM) Ville renouvelée peine aujourd’hui encore à repeupler. En novembre 2009, La Brique se penchait déjà sur ce « projet pharaonique » qui promettait de tourner au fiasco urbanistique. Aujourd’hui, la dissection de cette usine à gaz aussi technocratique qu’anti-démocratique révèle l’ampleur du désastre et la dangerosité de l’urbanisme-bulldozer qui, à l’Union comme ailleurs dans l’agglomération, menace nos quartiers1.
Au nom de la métropole, de l’excellence
et de la (sainte) croissance
La zone de l’Union est l’objet de tous les fantasmes pour la belle famille politico-patronale locale. A la fin des années 1970, la Chambre de Commerce et d’Industrie vient nous pondre le « centre tertiaire Mercure », qui n’a jusqu’à aujourd’hui jamais réussi à remplir ses locaux. La zone de l’Union est l’objet de tous les fantasmes pour la belle famille politico-patronale locale. Pendant les années 1990, la nouvelle mode des sites d’excellences – merci Euralille – amène la communauté urbaine à prendre en main la reconversion de la zone. Les élus intercommunaux mandatent des bureaux d’architectes pour faire l’esquisse d’un « grand projet ».
Les plans recensent sur le secteur une grande « disponibilité du foncier », soit, la présence d’entreprises et d’habitant.es qu’on peut aisément envoyer balader. A cela s’ajoute le projet d’accueil des Jeux Olympiques de 2004, où la zone de l’Union aurait servi de petit center park pour « journalistes » sportifs et de lieu d’implantation pour un palais omnisports. Sans grande surprise, la candidature de Lille aux JO échoue en 1997.
Une fois l’euphorie olympique dissipée, les élus laissent la main aux techniciens intercommunaux pour transformer le secteur, jusqu’alors chasse gardée des municipalités. Pour eux, il faut faire du projet de l’Union le nouveau traitement de « choc » pour « faire basculer l’image de cette partie de la métropole »2.
2 - 2009/2017
L'ancien peignage de laine de la Tossée est la dernière usine qui ferme en 2004, en même temps que la brasserie Terken. Jusqu'alors, ces deux enseignes posent problème à l'EPF (Établissement public foncier), en charge de l'acquisition foncière, de la dépollution et du terrassement de la zone. Embauchant encore une centaine de personnes à leurs fermetures, elles sont des symboles auxquels une part des élu.es et de la population sont particulièrement attachés.
Aujourd'hui, une ruche d'entreprises et un parking silo y sont installés (photo : bâtiment sur la gauche). Financée par le Département, la ruche est conçue comme un « incubateur » en soutien aux jeunes PME.
Le truc c’est le tri
Si personne ne sait alors vraiment quelles activités économiques et quel.le.s habitant.es la zone de l’Union a vocation à accueillir, l’invocation maladive de « l’attractivité » sert avant tout à pointer du doigt ceux qui n’ont pas leur place au panthéon de la métropole internationalisée. Les élus laissent carte blanche à l’Établissement Public Foncier (EPF) Nord Pas-de-Calais avec une seule directive : faire place nette, dégager tout ce qui ne colle pas à l’image du « rayonnement métropolitain ».
Les garages, industries et petits entrepôts générant du trafic poids lourds sont priés de déguerpir au nom de la haute qualité environnementale du futur site. Même sentence pour les habitant.es à faibles revenus des maisons du début du siècle, les petits cafés, épiciers et restaurants qui ne collent pas vraiment à « l’ambiance branchée » qu’on souhaite pour la « population nouvelle » de « jeunes créatifs »3 attendu.es de pied ferme.
3 - 2009/2017
Aujourd'hui, des gens du voyage se sont installés sur cette zone où il y avait autrefois des habitations en dur. D'après les riverains, ils ne sont pas les bienvenus dans le quartier. De fait, les gens du voyage vivent dans la crainte d'être expulsés et déplorent qu'aucune aire d'accueil n'existe sur la zone de l'Union.
Sans même recourir au droit de préemption urbaine (DPU) ni même à une déclaration d’utilité publique (DUP), les démolisseurs de l’EPF engagent donc des négociations « à l’amiable »4. Comprendre par là une mise sous pression impitoyable, du harcèlement par téléphone comme de visu et des mensonges éhontés quant aux droits des habitant.es. On leur laisse entendre qu’ils n’ont d’autre choix que d’accepter l’offre de rachat (dérisoire) qu’on leur fait. Les départs des un.e.s entraînant ceux des autres, les maisons murées ou démolies laissent place aux rats, la collecte des déchets s’arrêtent aux portes de la zone et seul le café de Salah trône alors encore au milieu du champ de ruines qu’est devenue « la zone »5.
4 - 2009/2017
Quand Kipsta s'installe en 2009 sur la zone de l'Union, la filiale du groupe Decathlon pose ses conditions aux pouvoirs publics. Les investisseurs et entreprises prêts à s'installer sur la zone se faisant bien rares, Kipsta a carte blanche. Le parc, prévu sur plan initial, est réduit de moitié pour l'implantation des terrains de sport du groupe. Brandissant l'argument du manque de stades de foot dans le quartier, Kipsta construit finalement des terrains entourés de hauts grillages, dont l'accès est hyper contrôlé.
Les architectes de la ville fantôme
Entre 1997 et 2007, en dix ans et 24 millions d’euros, nos amis les aménageurs ont si bien fait table rase, que la repousse s’avère ensuite fort compliquée. Les « commercialisateurs » de la société d’économie mixte (SEM) Ville renouvelée et de sa cousine d’Euralille sont bien mis à mal dans leur travail de prospection des « entreprises innovantes » et des « créatifs ». Des petit-déj’ d’entreprises à Villeneuve d’Ascq à la foire du promoteur-bétonneur du Mipim à Cannes, les maquettes 3D du « quartier de demain » ne parviennent pas à convaincre grand-monde. En voyant l’immense terrain vague laissé à l’abandon, les promoteurs immobiliers et les gros patrons voient difficilement quiconque investir les lieux et venir y travailler. Au fil de ces vains efforts, à vendre du rêve autour de cette friche pas très bankable, les petits chargé.es de projet deviennent d'ailleurs vite la risée de leurs collègues agent.es immobiliers.
5 - 2009/2017
L'ancienne brasserie Terken ferme ses portes en 2004. Son activité est alors fluctuante. Une partie du foncier est vendue en 2001-2002. Les salarié.es tentent de reprendre l'entreprise en 2003, à travers un projet de Société Coopérative et Participative (SCOP) qui tombe à l'eau l'année suivante. Kipsta, rachète le lieu en 2009.
Bien embêté.es, c'est là que les élu.es fouillent dans leurs carnets d'adresses pour voir si un copain-patron ne serait pas d'accord de venir rendre service en s'installant là, sur une parcelle de foncier « pas chère » et « pas si mal placée »... ? Pour l'implantation du siège régional de Vinci roi du béton&Compagnie, on peut compter sur le directeur régional du groupe, Carlos do Novo, président du VolleyClub de Tourcoing et ami de Michel-François Delannoy, alors encore maire PS de la ville. Dans la famille des huiles socio-démocrates, Alain Cacheux, alors Vice-président au logement, déménage le siège de Lille Métropole Habitat (LMH) de Lille-Moulins à l'Union !
Quant au resplendissant siège de Kipsta, c'est à Franck Desmaret, directeur général de la marque « sport co » de Décathlon et Yves Claude, patron du groupe et ami de Martine Aubry, qu'il faut dire merci ! Les élus leur laissent d'ailleurs bien volontiers huit des vingt hectares initialement prévus pour le parc public, pour leurs terrains de sport grillagés6.
Pour la reconstruction du reste de la zone et le rayonnement international de la métropole, il faudra encore attendre. La commercialisation des logements que Nacarat, promoteur du cru, tente de construire dans cet « éco-quartier pionnier » est au point mort.
Après deux ans, le promoteur n'a trouvé que les bailleurs sociaux pour construire le tiers des logements subventionnés. Les salarié.es de la SEM doivent aussi penser à boucler ce satané bilan de concession d'aménagement et trouver des entreprises-contribuables pour couvrir les 221 millions d’euros de frais engagés… Alors on laisse de-ci de-là s’installer un petit restaurant, une entreprise de production de tapis roulants pour la logistique, bref rien de très « excellent » ni « rayonnant », avec en fin de compte des activités économiques et des ménages aux profils presque semblables à ceux dont les pouvoirs publics ont, vingt ans auparavant, organisé l'éviction.
Si le profit et l'accumulation effrénée du capital guide souvent les alliances entre patrons et élus locaux, ici l'Union ne fait pas vraiment la force des puissants. La course à l'attractivité s’y résume plutôt à une absurde chasse aux fantômes aux airs de vilaine farce, dont les habitant.es et les travailleur.euse.s les plus pauvres sont les dindons.
Oncle Archibald
Photos de Vial Marine
1. A la différence des articles de ce dossier consacrés aux quartiers du Pile, de la Lionderie et de Lille Sud, la procédure est ici pilotée par la MEL et non par l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU).
2. « GPU Métropole Croix Roubaix Tourcoing Wattrelos. Rapport d'orientation pour l'Union. Conseil d'Administration du 30.09.1997 », pp. 1 et 4.
3. Archives du bureau d’étude Initiative, Cité & Développement, « Marché de services, Novembre 2002, p. 56.
4. Cf. abécédaire
5. Pour en savoir plus sur le dernier « survivant » de la zone, voir « Chez Salah, ouvert même pendant les travaux » : https://vimeo.com/176424195
6. Jean-François Rebischung « Kipsta ouvre grand ses terrains aux groupes scolaires qui ne viennent pas », La Voix du Nord, 01/04/2017.