Au 1er juillet dernier, l’entreprise Stop-Graff change de convention collective, au détriment des salariés. La jungle du « marché » (si cher au socialisme lillois) prend le dessus. Le « team Aubry » engage des milliers d’euros pour remplir les caisses d’une boîte « compétitive », aux salariés victimes d’une « flexibilité » nauséabonde.
Les élu-es socialistes ont été séduits par les compétences de Stop-Graff : équipe efficace, usage de produits respectueux de l’environnement, emploi/réinsertion. Toute la poudre « initiative éco-citoyenne » pouvait être jetée aux yeux des dirigeants lillois, demeurant béats face à leurs diverses « externalisations » [1]. Un appel d’offre a ainsi été signé. Cinq années dont une première intensive (2006) pour porter un premier gros coup contre les tags. Le budget s’élève à plus de 810 000 euros par an [2].
Une première bataille gagnée, la démobilisation commence
2006 peut être perçue comme la « grande année » pour l’entreprise [3]. Onze nettoyeurs (dont 25 % en situation de réinsertion [4]) et deux « releveurs » de tags employés pour nettoyer 100 000 m2 de murs. Mais les mois passent, les démissions s’enchaînent et au début 2008, l’effectif aurait chuté à cinq nettoyeurs et trois releveurs déclarés en CDI. Sous effectif donc, pour la même surface à effacer : « Ils ne baissent pas les bras, les tagueurs […] on enlève toujours 100 000 m2 », nous indique le directeur, M. Ciuciulka. Pour cette société à l’affût des marchés, être compétitif amène à réduire les coûts du personnel et faire suer le burnous à un petit nombre d’employés. Des intérimaires par-ci par-là, mais les créations d’emploi stable sont rares, voire inexistantes ces derniers temps. Malgré le gros boulot effectué, les nettoyeurs ne sont pas assez pour suivre le rythme des tagueurs. Normal, qu’est-ce que cinq bonshommes face aux dizaines de tagueurs activistes de Lille ? Nada !
Produits bios pour qui ?
La boîte semble préoccupée par le sort de ses salariés. Elle indique à ce titre sur son site que pour « protéger les hommes qui utilisent ou sont en contact avec les produits, Stop-Graff s’engage dans le développement durable (tous les produits STG sont biodégradables) ». Si c’est pas gentil ça ! Les nettoyeurs, c’est les gars en blanc qui sont habillés en combinaison anti-atomique… Les brûlures aux produits « STG » (Stop-Graff), ça arrive, nous a-t-on confié… Bien sûr, la combinaison doit être portée intégralement, chose difficilement réalisable si l’on veut être dans les temps… Des dizaines de graffiti éparpillés dans toute la ville, à effacer ou à recouvrir avec des teintes chaque fois différentes, pas le temps de suivre le protocole à la lettre. Combinaison ou pas, l’air renfermé dans les camions des nettoyeurs est irrespirable, mais bio ça oui, on n’en doute pas !
Du peintre en bâtiment au balayeur, il n’y a qu’un tag
La direction a dégoté la petite astuce pour dépenser moins : changer de convention collective… L’ancienne concernait les ouvriers du bâtiment, la nouvelle fait de Stop-Graff une entreprise de propreté. Le résultat est patent : économie pour les patron-nes [5] et perte certaine pour les employés. De l’argent à gagner ? « Non, on [la direction] n’en gagne pas, c’est eux [les employés] qui en perdent s’ils sont malades », se confesse le directeur. Le chômage pour intempérie disparaît, les indemnités de licenciement baissent, les horaires deviennent plus flexibles [6], des primes disparaissent… Le raison invoquée brouille les pistes : « Stop-Graff est une société de bâtiment, de BTP, souligne M. Ciuciulka, et non pas une société de nettoyage […]. C’est fondamentalement différent. Nous […] on ne fait pas de nettoyage », mais quelques minutes plus tard de se reprendre : « On en venait à l’idiotie que nous, mettons notre balayeur, il était protégé comme un peintre […], ça nous coûte cher, on va pas payer un balayeur comme un peintre » [7]. Cette phrase issue de la nouvelle convention est claire : « Le repos peut être réduit, en fonction des impératifs des marchés ». Les marchés… Vous n’êtes pas contents ? La faute aux syndicats qui négocient : « C‘est ce que je dis à mes salariés, si vous pensez que c’est que du désavantage, ça veut dire qu’au niveau national, les syndicats qui sont dans le nettoyage, c’est des cons ! ». Pour le moment, la situation des employés n’a pas concrètement changé, c’est le marché qui le dira au prochain appel d’offre...
Texte : T.B
[1] Comme Esterra pour la collecte des déchets.
[2] Le directeur de Stop-Graff n’a pas pu nous donner le chiffre exact. A noter que lors de l’appel d’offre, « le coût de cette prestation » était « estimé à 600 000 euros par an » par les services de la mairie (délibérations du conseil municipal du 31/01/05).
[3] Devenant une filiale du siège parisien, implantée localement à Roubaix. Elle gère les marchés de Transpole, LMH, La Poste de Lille, Liège, Charleville-Mézières.
[4] Suivant ici une clause du contrat. Tous les autres employés étaient au chômage, ce que le directeur qualifie d’« œuvre sociale », et ce que nous considérons comme un recrutement banal.
[5] Pour exemple, sur le délai de carence des cotisations patronales pour arrêt maladie, passant de 3 à 10 jours.
[6] Pour le bâtiment, le repos hebdomadaire est de 48h minimum ; pour la propreté, ce chiffre descend à 35. Le planning peut être modifié trois jours à l’avance.
[7] L’entreprise s’est donc scindée en deux : Stop-Graff BTP et Stop-Graff Propreté urbaine. Les deux branches sont présentes à Roubaix mais les employés du marché lillois sont passés du BTP à la propreté.