Depuis plusieurs années, l’association « Rase pas mon quartier » s’est montée dans la rue Stephenson, à Tourcoing. La mobilisation des habitant-es a réussie à empêcher la démolitionde la rue. Aujourd’hui, sur trente-deux maisons, seules neuf sont encore habitées. Quand on sonne à la première porte, on tombe sur Lino Sferrazza, membre de l’association.
Lino. Franc parler sur mesure. Accueil sur les chapeaux de roues. Pas de temps à perdre, l’homme, ni une ni deux, nous tire par le bras, direction « L’atelier électrique », lieu de rendez-vous entre architectes et habitant-es construit après que le projet de démolition de la rue ait avorté au profit d’une réhabilitation plus en douceur. En passant, il attrape par la peau du dos un salarié de la SEM* « Ville renouvelée » et enfin la présidente de l’association, Mme Parent. Cinq minutes plus tard, tous réunis autour de la table de la salle à manger, la discussion s’entame. Morceaux choisis.
La Brique : « Comment avez-vous appris que votre rue devait être démolie ?
Lino Sferrazza : Au début de l’année 2000 on a su que notre rue allait être rasée. Le n°10 de la rue Stephenson était en vente. Mon fils s’est rapproché de l’agence qui vendait cette maison en septembre 1999. Quelqu’un de la famille de Mme Parent nous prévient : « Mais comment tu as réussi à acheter la maison alors qu’il y a un projet de démolition ? » On était inquiets. On a appelé la dame de l’EPF* qui nous a confirmé que notre rue ne serait pas concernée. Et lors d’une réunion salle de la Concorde, on a demandé des informations sur le projet. Le maire [de Tourcoing, à l’époque, Jean-Pierre Balduyck] nous a dit : « Vous aurez une réunion le 4 mai. » On se présente à cette réunion et là, boum ! Le coup fatal. La rue va être démolie. Parce que c’est une rue qui passe à travers la zone. Et en plus, ils disaient que nos maisons étaient insalubres ! C’était ça leur grand argument.
La Brique : Des habitants ont vendu rapidement ?
Mme Parent : Oui, il y a des gens qui ont eu peur et qui sont partis vite. Il y a des jeunes ménages qui se sont endettés en revendant à des prix bas. Il y en a qui sont encore avec des dettes.
L.S : On s’est donc dit que ça ne pouvait plus durer et on a créé l’association en septembre 2000. Notre base , c’est de rester autonomes : pas de politique. Chacun a ses opinions. On avait qu’un seul but : défendre nos maisons et peu importe le parti en face. De toutes façons quand on est allés voir des élus à la Communauté urbaine, au moment du schéma directeur, on ne savait même pas de quel parti ils étaient.
La Brique : Qu’est-ce que ça a donné avec LMCU ?
L.S. : J’ai passé trois jours à la Communauté urbaine sans pouvoir parler. J’étais assis et j’attendais. Et tout ça pour qu’on ne m’écoute même pas dix minutes pour parler du quartier. Je n’ai pas pu m’exprimer dans cette grande salle de la Communauté. Vous voyez bien les politiques : la présidente parle et eux, ils sont tous derrière leurs ordinateurs. Ils décident de la vie des gens devant un ordinateur, en jouant au solitaire ! On ne décide pas de la vie des gens comme ça. Nous on était inquiets, on ne dormait plus et eux ne t’écoutent même pas dix minutes. Alors, je ne suis pas parti, j’ai attendu M. Mauroy à la sortie. Il a dit : « Ah oui, vous êtes l’association « Rase pas mon quartier », mais je n’ai pas le temps maintenant. » Je lui ai dit : « Ah non, non, non, ça fait trois jours que je suis là... » Et sa réponse ça a été : « Engagez le dialogue avec monsieur le maire [Balduyck]. » Et comment on l’engage, le dialogue
Mme P : Alors on a fait des pétitions, on a tout fait. On a prévenu tous les journalistes. On a recueilli 352 signatures.
La Brique : Et depuis, il y a eu un changement de décision, puisque vos maisons vont être réhabilitées. Comment ça s’est passé ?
Mme P : En 2004, on a su que ça allait être sauvé. Mais on ne sait pas du tout pourquoi.
L.S. : On ne le saura jamais officiellement...
La Brique : Et aujourd’hui ? A « l’atelier éléctrique », comment ca se passe ?
L.S. : On se voit, on se dit bonjour, mais en réalité, il y a un problème : on ne sait pas réellement ce qui va se passer. On ne sait pas comment vont être présentés les plans. Comment ça va se faire. Il y a eu un dialogue, ça c’est sûr. Mais entre deux il n’y a aucune concertation. Ils pourraient dire : « voilà, on pense faire ça et à la prochaine réunion on va en parler ». Mais ça ne se passe pas comme ça. On vient une fois par mois, une heure environ, on nous dit : il va se passer ça, on pense faire ça, là-bas. Voilà, point final. Après, nous on dit oui ou non. Mais quand on dit non, ce n’est pas facile. Quand on dit oui, c’est facile, ça va dans le sens. Mais, de toute façon, ce dont on discute en réunion, c’est des choses banales... »
Ce que décrit ici Lino Sferrazza est un modèle du genre. Un concentré des différentes formes de « participation des habitants » telles qu’elles sont mises en place sur toute la métropole. Des plus brutales aux plus infantilisantes.
Pendant dix ans, on ne donne aucune information sur le projet, on fait peur aux gens, on les oblige à partir. Les plus démunis partent un à un, le quartier se vide à vitesse grand V. Les plus combatifs restent. Pour eux, la discussion commence à s’engager, mais encore une fois, ils sont éjectés des principales décisions.
Nb : Le salarié de la SEM « Ville renouvelée » nous ayant fait l’historique du site de l’Union et vanté le mérite de l’architecte en chef de l’îlot Stephenson, ses interventions ont été coupées au montage... Oups !