Dans un article traitant de la famine mondiale, les cités universitaires tristement célèbres de Villeneuve d’Ascq sont mises au même niveau que le Bangladesh et les bidonvilles de Dakar1. Durant le confinement, des milliers d’étudiant.es ont crevé la faim, coincé.es dans leur 9m2 infesté de cafards et incapables de payer leurs loyers. La majorité sont des étudiant.es étranger.es venu.es d’Afrique et d’Asie. La crise sanitaire révèle le racisme dans la gestion des cités-Universitaires.
Ces étudiant.es sont en France depuis plusieurs mois ou années pour entamer ou compléter leur cursus universitaire, espérant que leurs conditions d’études soient meilleures ici que dans leur pays d’origine. C'est sans compter le sort que leur réserve le pays des droits de l'Homme : une lutte quotidienne contre l'appareil administratif et les discriminations.
Les résidences à hygiène déplorable
Pour ces étudiant.es, les chambres CROUS sont comme une prison, mais avec un loyer en plus et un huissier pour les expulser s’ils ne payent pas. Anas, un étudiant, s’était immolé en automne dernier à Lyon devant le siège du CROUS pour dénoncer les conditions de vie des étudiant.es. Malgré la violence du geste, le gouvernement n’a pas réagi. Pour les étudiant.es étrangèr.es c’est encore pire. Privé.es de bourses d'études, les étudiant.es étranger.es représentent la part la plus précaire des campus en France. Pour vivre, ils doivent travailler ou, lorsque cela est possible, compter sur une aide financière familiale.
Pour se loger, les plus précaires sont contraint.es de se loger dans les résidences les plus dégradées du parc des résidences CROUS, à savoir la résidence Galois ou la résidence Boucher : cafards, punaises, moisissures... En temps normal, c'est la galère, en période de confinement, c'est de la survie, comme nous le raconte Farid, étudiant en master 2 de chimie : « Comme beaucoup, j’ai perdu mon travail à cause du confinement. Je devais commencer un stage qui aurait du me permettre de vivre. Mais à cause de la crise c’est dur de trouver une entreprise qui en ce moment veuille nous employer. Je me retrouve avec presque aucun revenu pour vivre. »
D’après Walid, étudiant et militant syndicaliste, ce n'est pas un hasard si les étudiant.es étranger.es sont parqué.es dans les pires bâtiments. Ce n’est pas seulement parce que les étudiant.es étrangers sont plus pauvres, c'est parce que le calendrier des admissions en résidences universitaires relègue les étudiant.es étranger.es aux limbes des vœux d'affectations : « Les meilleurs chambres sont prises avant qu’elleux n’arrivent, tandis que le CROUS les oriente sciemment vers les résidences les plus pourries, d’où il est dur de sortir ensuite » conclut Walid.
Organiser la précarité
Pendant le confinement, les étudiant.es qui ont trouvé une alternative à leur résidence étudiante (au domicile familial, chez des ami.es…) ont été exonéré.es de loyer. Pour les étudiant.es contraint.es de rester, les loyers ont été maintenus. En raison du coût des billets d'avion et de la fermeture des frontières, ce sont les étudiant.es étranger.es qui sont resté.es sur le carreau, entassé.es pendant deux mois dans leurs résidences, contraint.es de partager des espaces communs comme la cuisine entre une centaine d'étudiant.es. On aurait bien voulu voir Macron respecter les gestes barrières dans ces conditions...
Les responsables de résidence qui ont voulu agir pour le bien des étudiant.es se retrouvent démunies, se devant « de gérer la crise avec des bouts de ficelle », comme le déplore un directeur de résidence à Lille. Toute initiative pour améliorer le cadre de vie des résident.es est freinée par le peu de moyens alloués. En temps normal, les employé.es de ménage subissent des conditions de travail déplorables et des salaires ridicules les obligeant à avoir d’autres boulots d'appoint. Conséquence : les arrêts maladie se multiplient et les bâtiments des résidences se dégradent. Cela s’est accentué durant la crise sanitaire.
Dans la résidence Triolo, la directrice sous-entend que les étudiant.es sont les seul.es responsables de ces conditions de vie dignes d'une tranchée de 1914, puisque ne respectant pas les mesures barrières. Plutôt que remettre en cause les conditions d’hébergement, elle préfère accuser les étudiant.es de dégradations. De qui se moque-t-on ? Les résident.es se sont résolu.es à nettoyer eux même leur résidence.
Les dettes de loyer
Quand on habite une résidence CROUS, on ne devient pas « locataire », mais « résident.e », c'est un statut qui prive les habitant.es du peu de droits qu’un locataire peut avoir : par exemple, crise sanitaire ou non, la trêve hivernale ne s’applique pas en chambre CROUS. Comme si ces étudiant.es n’étaient pas assez précaires, il faut en plus qu’elleux se battent pour se maintenir dans un logement pourri.
Les étudiant.es étranger.es sont nombreux.ses à passer par ce qui s’appelle la garantie Visale, une garantie qui permet de pallier le fait de ne pas avoir de proches pouvant se porter garant.es. Visale fait partie de « L’action logement », un dispositif créé en 1945 par les patrons de l’industrie textile dans le Nord pour effectuer des prêts afin de favoriser l’accès au logement. Visale paye les dettes des étudiant.es aux CROUS, ce qui a pour conséquence que les étudiant.es retrouvent finalement endetté.es auprès de Visale et non plus du CROUS. Que de générosité, on n’en attend pas moins du patronat ! Au bout de 800 euros de dettes, Visale ne se porte plus garant, laissant les étudiant.es sans solution. Or, sans garant.e, il n’est plus possible de renouveler les chambres.
Pendant la période de la crise sanitaire, les étudiant.es ont creusé leurs dettes de loyers. Une mobilisation a été lancée pour réclamer l’annulation des loyers pour tout.es les résident.es CROUS qu’elleux soient parti.es ou non de leur résidence pendant l’ensemble de la crise sanitaire depuis le mois de mars. La revendication paraît d’autant plus légitime que cela permettrait de supprimer des dettes qui paraissent impossible à résorber.
Crise alimentaire
Sans revenus, les étudiant.es ont eu des difficultés à se nourrir. À cause du contexte sanitaire qui a imposé de nouvelles normes sanitaires, l’Université a fermé le local dans lequel se passent habituellement les distributions alimentaires du Secours populaire. François, militant depuis plusieurs années, a plusieurs fois alerté l'Université de la situation, qui a balayé d'un revers de la main ses demandes. Pour pallier la défection de l'Université de Lille et la mise en danger qu’elle entraîne, François organise alors des maraudes avec sa voiture personnelle, avec l’appui de bénévoles. D’autres associations ont organisé des distributions alimentaires, comme L’île de Solidarité et les Étudiants Musulmans de France. Ce n’est que fin avril, soit six semaines après le début du confinement, que la fac accepte de mettre à disposition la Maison des étudiants pour faciliter les distributions alimentaires.
On peut légitimement se demander quel écho aurait eu cet abandon des pouvoirs publics si cette situation avait été vécue par l'ensemble des étudiant.es français.es issue.es de la métropole. À l'instar des cibles des violences policières, on assiste, ici aussi, à un racisme d’État. L’administration ne tient pas compte des difficultés des étudiant.es étranger.es, ne leur accorde pas les mêmes droits. À l’heure où l’Université a de moins en moins de moyens pour fonctionner et cherche justement à faire de la place, les étranger.es sont les premier.es à se faire épurer des rangs de l’université.
Louise
1. « Coronavirus : après la pandémie, une grave crise alimentaire menace au Nord comme au Sud », Le Monde, 12 mai 2020.
2. Les prénoms ont été modifiés.