Dans la lutte contre la loi El Khomri, la coordination des interluttant.es 59 / 62 a trouvé le moyen de s'organiser pour ne laisser aucun répit au pouvoir en place. Comment ? En frappant fort là où les bourreaux décident du sort des travailleurs.es. Récemment ils sont à l'origine d'un pique-nique fiscal chez les Mulliez à Néchin et d'une occupation spectaculaire du centre des impôts à Lille.
« Il faut dire qu'avec notre historique syndical pour les plus engagés d'entre nous, on commence à savoir y faire » ironise Nicolas de Sud Culture. « Avec la création de la coordination en 2003, on a réussi à faire un collectif plus ouvert. On a étendu notre lutte aux précaires et pas uniquement sur notre régime. Au-delà des intermittent.es, c'est l'ensemble des intérimaires, des travailleurs précaires et des chômeurs qui sont concernés par les attaques des gouvernements et du Medef ».
C'est que la précarité, les intermittent.es, ils la subissent depuis un bon moment. Elle a même constitué le terreau d'un régime spécifique que le patronat cherche aujourd'hui à laminer pour de simples raisons comptables.
Chasse aux sorcières
Depuis la création du statut en 1919, les intermittents ont toujours cherché à éviter que l'instabilité de leur emploi ne débouche sur une précarité de leurs revenus et de leurs droits sociaux. La socialisation du salaire des artistes et des techniciens a été mise en place pour faire face aux aléas des emplois, des contrats et des employeurs. Elle a permis de rendre plus lisible la nécessaire déconnexion entre le temps de travail et leur salaire1. Et c'est précisément cela que tente de balayer le MEDEF en faisant d'une pierre deux coups : mettre à mal les acquis sociaux des intermittent.es tout en généralisant la flexi-précarité à l'ensemble des travailleurs.ses. À écouter les patrons, les intermittent.es seraient des tire-au-flanc qui ne travaillent que 507 heures en dix mois et bénéficient des largesses d'un système « trop généreux ». Ces artistes ou technicien.nes pèseraient donc lourdement dans le déficit de l'Unédic, gestionnaire de l'assurance chômage. Dans le cadre des négociations le 24 mars dernier, le Medef a donné un nouveau coup de massue sur les droits des intermittent.es. Désormais, précise Bruno, « Il faut que la peur change de camp. C'est une sorte d'insurrection, s'ils veulent la paix, il faut qu'ils reculent ». C'est que le collectif sait choisir ses cibles.
Actions, ça tourne !
Les actions sont extrêmement bien préparées, à l'image de l'action Médef-icit2, une invasion de la chambre de commerce préparée dans le secret pour égayer une petite réunion entre les pontes du Medef local et le député LR Hervé Mariton. Pour Nicolas, un crédo, « on agit vite et on frappe fort ». Dans cette lignée, la coordination en 2014 avait lancé, las des réunions sans fin, une section « bourrin ». Bruno explique : « On s'est dit à un moment qu'il fallait arrêter de parler sécurité incendie dans un bâtiment en feu, alors on y va ».
Pour Fabiana, « tout le monde est autonome tant que c'est au service de la lutte. L'orientation générale est fixée par les AG mais peu de personnes connaissent réellement les cibles, elles sont fixées par des personnes motivées et révélées au dernier moment. Tu es libre de ne pas y aller ou de partir quand tu veux. On ne s'amuse pas à avoir des dissensions en AG là-dessus ». Le palmarès est impressionnant, en 2014, occupation de la Direction régionale des affaires culturelles à Lille, sabotage d'une réunion des « jeunes entrepreneurs », d'une réunion du PS et d'une mise en grande difficulté de Jean-Christophe Cambadélis, blocage du site Amazon à Lauwin-Planque et interruption du meeting de Valls.
Obstacles au spectacle
Expliquer leur lutte n'est pas toujours évident et pour cause la complexité des enjeux apparaît parfois rédhibitoire. « Communiquer c'est vite compliqué, on se heurte souvent à la complexité du problème, à la politique de la calculatrice, le message n'est pas évident ». Surtout, le public auquel ils se confrontent quotidiennement n'ont qu'une expérience très lointaine de la précarité. En 2014, les interluttant.es 59/62 ont invité des syndicalistes de Sud Rail à parler de leurs luttes. Tollé général et huées du public de l'Opéra de Lille. « En somme, comme tout le monde, on nous aime gentil... mais pas trop radical ».
Le Théâtre du Nord a été une des scènes importantes du mouvement. Mais à la différence de 2014, les Centres Dramatiques Nationaux, qui sont du coté des employeurs, n'affichent plus leur solidarité avec les intermittent.es. L'occupation à Lille a été conflictuelle avec son directeur Christophe Rauck dont les murs de son théâtre arborent pourtant des citations telles que : « Oublie les fins de mois difficiles, ce théâtre sera ta résidence secondaire ». Le patron du lieu a au départ joué l'apaisement en ne s'opposant pas à l'occupation. C'était sans compter sur sa stratégie d'enfumage progressif : retrait des banderoles en façade, suspension de la permanence entre 12h et 14h pour éviter l'embauche d'un gardien, demande expresse de ne pas utiliser le terme occupation, jusqu'au barrage policier pour éviter une AG post-manif à l'intérieur du théâtre.
Pourtant, les quelques semaines d'occupation du théâtre ont indéniablement donné un coup de pouce aux luttes locales. Servant régulièrement de lieu aux AG inter-luttes, ils ont constitué un moteur de l'action directe lilloise. A la vue de ces actions, on retiendra surtout cette immense stimulation engagée par les intermittent.es au jeu de l'audace. Rire et y aller au culot avant tout offre une nouvelle vision du militantisme.
Au jeu des mauvaises manières, le Medef a de toute façon d'ores et déjà une sacrée longueur d'avance, renvoyons-leur leur arrogance.
Harry Cover
Ce qui plombe l'Unédic
L'assurance chômage existe en France depuis 1958. Elle est gérée par l'Unedic dont l'organisation est paritaire : d'un coté les syndicats d'employé.e.s (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, CGT-FO), de l'autre les syndicats patronaux (MEDEF, CGPME, UPA). L'Unédic est financée par les cotisations de sécurité sociale : 4,00% étant à la charge des employeurs, 2,40% à la charge des salariés. Pour les intermittent.e.s, c'est le double : 8,00% à la charge des employeurs, 4,80% à la charge des salariés3.
Normalement les comptes de l'assurance chômage sont excédentaires. En 2008, ils sont de 2,9 milliards d'euros, en 2014, ils sont de 2,68 milliards d'euros. Mais la situation financière se dégrade pour avoisiner les 30 milliards d'euros de dettes en 20164. L'origine de ce drôle de déficit provient en partie d'un désengagement de l'État sur un célèbre établissement public à caractère administratif, Pôle Emploi. Avec la fusion de la mission d'indemnisation chômage et de la mission de recherche d'emploi, les charges de Unédic vont au delà de ses prérogatives de base et finance pôle emploi dans son intégralité5. En somme, une majeure partie de la dette de l'Unédic provient de la fusion de l'ANPE et des Assédic, une fusion proposée par un tout nouveau président de la république dès septembre 2007, un certain Nicolas Sarkozy. Imputer la responsabilité du déficit aux intermittents tient de la mauvaise foi. Un.e intermittent.e ne « coûte » pas plus qu'un autre chômeur. Cette catégorie représente 3,5 % des bénéficiaires des allocations chômage pour 3,4 % des dépenses de l’Unédic.
1. Les intermittents du spectacle. Enjeux d'un siècle de lutte, Mathieu Grégoire, La Dispute, Paris, 20132. « Medef, Medef, Mes déf-icits ! », La Brique, 25 avril 2016.
3. Contributions des employeurs et salariés, Unédic, 03 décembre 2015.
4. Les chômeurs ne sont pas responsables du déficit et de la dette de l’assurance-chômage, Gary Dagorn, Le Monde, 25 février 2016.
5. Si l'État ne finance plus la recherche d'emploi, le budget de pôle emploi ne cesse d'augmenter 1,3 milliard d'euros (2012), 4,8 milliards d'euros (2013), 5,1 milliards d’euros (2014).