« On est tous les enfants d'Usinor »
Le blocage n'y va pas par quatre chemins : les pieux coulés dans le bitume et les éclats de verre font barrage à l'accès du dépôt pétrolier. Les troupes installées sur les bords du site sont diverses : ouvriers, enseignants, routiers, cheminots, hospitaliers, chômeurs, syndicalistes, etc. Tou.tes déterminé.es à opposer une résistance ferme, durable et unie à l'entêtement du gouvernement.
Alors que celui-ci tente de diviser le peuple pour casser le mouvement, chacun témoigne sur le terrain de la fraternité qui s'est construite à la faveur d'un ras-le-bol général. « J'ai l'impression qu'en France la fraternité... quand on voit les gens qui votent Front National... la fraternité on ne la voit plus quoi... mais la vraie fraternité, tu vois, je l'ai vue sur le dépôt de Douchy ce week-end. » nous dit un militant.
Si l'occupation a été lancée suite à un appel de la CGT on comprend que ce qui se passe ici dépasse les seules positions partisanes. Un routier témoigne de sa volonté de rester ici alors même que le gouvernement a cédé sur certaines revendications des camionneurs. Un militant de Sud Rail Valenciennes insiste : « On est pas là pour dire, on est de tel syndic ou de tel job, on est des citoyens c’est tout ».
Seule surprise : l'absence des salarié.es du dépôt forcé.es au chômage technique et acculé.es derrière des lignes de barbelés. Les raisons de leur non-mobilisation nous sont rapidement expliquées : des intérimaires de passage peu mobilisés, des revenus confortables pour les employés et un classement SEVESO obligeant à une permanence continue. Ce sont les syndicalistes travaillant sur les sites de la région qui prennent la responsabilité du blocage après leur journée de boulot. Le soutien des autonomes, des étudiants et de tous les autres est une force supplémentaire pour inscrire la lutte dans la durée, de jour comme de nuit. On est vraiment dans le contexte d'une lutte qui fédère au-delà des différences : le soutien des gens de la région distribuant de la bouffe, du pognon et du matériel, l'implication des maires PC des nombreuses villes du secteur (Raismes, Douchy, etc.). Un syndicaliste précise : « 90 % des gens qui passent en voiture, ils nous disent allez, lâchez rien. Les gens en ont marre, ça concerne tout le monde ».
« Tout bloquer devient vital »
Alors que les politiques nous crachent au visage leur discours sur l'illégalité des blocages économiques au profit d'une célébration des mérites du dialogue social, les actions « radicales » apparaissent définitivement comme la seule réponse à leur mépris. Une enseignante venue en soutien explique : « Nous on bloque pour empêcher l’approvisionnement des stations essence parce que le gouvernement ne nous laisse pas le choix ». C'est que les droits sociaux n'ont jamais été acquis par la négociation, mais toujours conquis par le rapport de force. Bloquer le sang du capitalisme est une épreuve de force visant à paralyser le pays et à sensibiliser toutes celles et ceux qui n'auraient pas encore pris conscience de la gravité de la situation. Lionel, syndicaliste, précise : « La CFDT et la CFTC sont les lèche-cul du gouvernement... ils disent qu'on est une minorité, mais c'est pas vrai et on sait qu'il y a 70% des Français qui sont hostiles à la loi travail ».
Lionel est le père d'Antoine, le militant cégétiste choppé par les flics lors de la manif du 17 mai dernier à Lille. Pour lui, aucun doute, son fils est clairement ciblé lorsque les forces de l'ordre décident de scinder le cortège à l'angle de la rue de Paris et de l'avenue Kennedy : « À travers l'exemple d'Antoine c'est le mouvement syndicaliste qui est visé et en particulier la CGT. La liberté elle est où ? Aujourd'hui on doit fermer sa gueule. Antoine porte un drapeau de la CGT et il se fait massacrer par trois colosses de la BAC. Elle est où l'égalité quand je vois Cahuzac qui a planqué du pognon et truandé le fisc ? On attend toujours son procès. Mon fils, pour un drapeau de la CGT, c'est la comparution immédiate... et on lui fout sur le dos une « violence sur agent de police », sauf qu'à regarder les images, on se rend compte que c'est les flics qui lui ont pété la gueule, alors je vous le répète elle est où l'égalité ? ». Antoine est toujours en taule au moment où on rédige ces lignes. Procès prévu le 09 juin.
Le brasier va s'étendre
Tandis que la nuit tombe, les discussions vont bon train sur la situation dans les autres sites en résistance. Tout le monde craint l'intervention des forces de l'ordre dès le lendemain matin, mais chacun.e est déjà prêt.e à imaginer la suite : « S'ils nous bougent, on balancera une dizaine de pneus en flammes sur les autoroutes du coin. Moi je suis pour affronter directement les keufs, mais pas en frontal, avec une dizaine de mecs qui balance 50 billes sous les pieds des robocops, ça promet des belles cascades ». Les craintes se sont confirmées le lendemain à l'aube avec l'intervention des forces de l'ordre armées de canons à eau. Une manière de kärchériser les dernières résistances devant l'immense brasier allumé pour l'occasion. Sans heurts, les bloqueur.ses se sont dispersé.es à travers les champs entourant le site. La riposte ne s'est pas fait attendre : blocage à Englos, intervention à Sequedin en soutien à Antoine, et autres actions à venir. Au jeu du chat et de la souris, le chat doit se mettre dans le crâne que nous ne lâcherons rien !
Hala Zika, Mimi Pinson