Après neuf années d'activisme, au moins une action par mois, les anti-pubs ont enfin obtenu leur tribune politique dans une cour de justice lilloise. Beaucoup de médias sont là, nous compris. Le 26 mai 2014, la soixante et onzième action s'achève aux abords d’une école par des inscriptions sur des panneaux lumineux : « Pas de pub devant les écoles », « 1/3 des pubs est illégal - RÉSISTEZ ! ». Une voiture de police passe, deux des membres du collectif se dirigent vers eux pour en revendiquer l'action. Illes risquent donc 3750 euros d'amende et des travaux d'intérêt général (TIG) pour « dégradation légère ». Illes refusent aussi le prélèvement ADN au commissariat. Pour ce choix éthique, c'est la bagatelle de 15.000 euros d'amende et un an de prison ferme que les deux militants encourent.
Intention de procès
Au procès, c'est un jeune juge, trentenaire, qui est chargé de l'affaire. Si la septième chambre du tribunal semble attitrée aux affaires de stup', on sent que la cour se retrouve dans un procès qu'elle n'a clairement pas envie d'arbitrer. Tandis que les deux assesseurs sont mutiques, le président du tribunal dit ne vouloir « juger les faits et rien que les faits ». Dans la salle, aucune partie civile, puisque ni Clear Channel, ni J.C. Decaux n'ont pris le risque de poursuivre les pros de l'anti-pub. C'est l'État, par la voie – basse – du procureur qui les attaque. Après de banales questions sur « le type de peinture aérosol utilisé », ce sont les Déboulonneurs qui lancent la charge – mesurée : « Ce n'est pas de la dégradation, c'est un acte de légitime défense face à l'invasion publicitaire ». Pour le refus de prélèvement génétique, la militante dénonce « un système policier, du tout contrôle ». Le proc' s'embarque dans une récitation d'éducation civique niveau 5e : « c'est la démocratie qui décide ou pas de... ». L'un des accusé.e.s l'interrompt : « La démocratie montre ses limites, c'est notre ultime recours ! Toutes les autres tentatives ont été inutiles. », « Non ! » réplique le procureur, visiblement à court d'argument. Sentant que son collègue s'enfonce, le juge intervient, en l'engueulant timidement, il essaye un « On s'éloigne du débat. Ça n'intéresse pas le tribunal ». Probablement vexé de se faire remettre à sa place par plus jeune que lui, le vieux procureur termine sa diatribe en grommelant. L'occasion rêvée pour l'avocat des Déboulonneurs de lancer le bal.
Valse à trois temps
C'est que l'avocat des accusés n'est pas un petit joueur. William Bourdon, l'auteur du Petit manuel de la désobéissance, fait partie des conseils d'Edward Snowden. Il est ici dans une cour de récréation. Le ténor du barreau parisien a la voix qui porte, mais il laisse aux témoins le soin de politiser le procès. Le président, déconfit, les fait venir un.e à un.e. Devant lui, se présente son alter ego, Laurence Blisson, juge et secrétaire générale du Syndicat de la Magistrature. Elle dénonce les dérives du fichage. Le FNAEG
1, initialement prévu pour les délinquants sexuels, contient désormais le profil génétique de quelques 2,6 millions de personnes dont 80% sont innocentes. Et c'est en tant que magistrate qu'elle appelle son confrère à ne pas faire «
appliquer la loi, rien que la loi », mais à «
arbitrer une décision et à faire preuve de discernement et de proportionnalité ». La cour n'a évidemment pas de question, c'est elle qui écoute son jugement. Au tour de Julien Dubois, élu EELV, adjoint au maire de Lille, en charge du patrimoine de prendre la parole, plus mollement, il parle de «
pollution mentale », de «
dégradation de l'espace publique ». Le terme de «
lanceur d'alerte » est prononcé, mais on ne sent le rebelle municipal pas très à l'aise dans ses bottes. Vient enfin Alexandre Baret, chercheur et professeur des écoles, il rappelle la nocivité de la publicité sur le discernement de ceux qui la subissent et sur la concentration des enfants.
Les arguments coulent à flot.
Le proc', dépassé, commence son réquisitoire par un « Pfff... je ne sais pas... ». Il retrouve tout de même son sens de la justice en expliquant que « si on ne vous condamne pas, chacun pourra écrire son message et donner son avis »... Il réclame un mois de prison avec sursis pour la dégradation légère, alors que le délit n'est punissable au maximum que d'une amende et de TIG. Visiblement pas question de mettre de l'eau dans son vin. Mais il ne s'arrête pas là en demandant deux mois avec sursis pour le refus de fichage.
L'avocat des accusés clôt le bal, tout en plastronnant, il offre au président du tribunal une « panoplie d'arguments sérieux » pour relaxer ses clients : invoquant jurisprudence sur jurisprudence, mais pointant tout de même la « faible gravité des faits ». La cour est médusée, appelée à juger un délit mineur, elle se retrouve dans un débat qui la dépasse et dans lequel elle ne voulait surtout pas foutre les pieds.
Délibéré le 7 juillet.
1. Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG)
Mangoustez-moi çà
Pendant deux mois et demi, le squat de La Mangouste était un espace politique donnant directement sur le boulevard Louis XIV, à moins d'une centaine de mètres du Conseil Régional. Un lieu habité et ouvert.
Partagée pour des discussions anti-répression, des soirées concerts, des goûters de quartier ou des ateliers d'auto-construction, la demeure avait de quoi gêner. Pour preuve, les déploiements policiers répétés pour tenter de contrôler et vider la baraque. Par deux fois, la bleusaille se la joue western... De grands moments de comédie ! La première visite a quelque chose de symbolique : les flics déposent un bélier devant la porte, sans l'utiliser. Ils repartent bredouilles, probablement interrompus par les supérieurs qui flairent la mauvaise occasion de se faire épingler pour expulsion illégale. Mais c'est le deuxième passage qui marque l'apothéose dont les flics se souviendront longtemps.
Des huissiers accompagnés de serruriers tentent une intrusion dans la maison en catimini. Manque de pot, la réponse des habitant.e.s est sans appel : la pisse pleut sur la petite équipe de bras cassés. Entre-temps, les gens du quartier s’amassent sur le boulevard. Très vite les renforts arrivent, les deux serruriers sont encadrés par des CRS en mode robocop. Après deux heures d'acharnement c'est l'abandon. La flicaille se replie sous les claquements de pétard et les panaches de fumigène. La foule est en délire, la déconfiture est totale, les cars de police s'éraflent en tentant de repartir dans des directions opposées, les baqueux tentent des provocations alors que les bleus en uniforme tressautent au moindre bruit.
Le bras droit a le bras long
Les affaires vont vite. Le propriétaire de cet immeuble vide depuis six ans est l'institut Pasteur et un de ses administrateurs n'est autre que Jacques Richir. Ce proche de Martine Aubry cumule les casquettes : adjoint à la mairie en charge de la « qualité du cadre de vie, commission de sécurité et de l'occupation temporaire du domaine public », il est aussi président de Lille Grand Palais et administrateur de l'opéra de Lille. Les habitant.e.s de la Mangouste sont réveillé-es à 6h par « de gros guns braqués sur [leurs] tronches endormies », le Groupement d'Intervention de la Police Nationale est à la manœuvre. Ils pénètrent cagoulés par la fenêtre, façon commando. Dans la journée, la baraque est vidée et murée. Mais l'institut Pasteur n'en reste pas là, il poursuit les habitant.e.s et leur réclame dix mille euros, histoire « qu'une occupation revienne plus cher qu'une location ». Pourtant lors du procès, l'avocat de l'institut ne se pointe même pas, laissant juste un dossier – incomplet – avec un petit mot exigeant le règlement des frais d'huissier et de garde-meubles, mais en oubliant de joindre une quelconque facture. La décision sera rendue en septembre.
Justice de flic
Devant le palais de justice, une cinquantaine de personne est là en soutien. Au micro, sont évoqués d'autres squats : l'Insoumise, librairie occupée rue d'Arras, est expulsable depuis un an et demi ; en avril dernier, à Fives, un proprio zélé a ramené des gros bras pour défoncer à la hache la porte d'une maison, pour mettre les occupant.e.s et leurs affaires à la rue « sous l'oeil complice des flics ».
Les prises de parole terminées, un peu de musique est diffusée et c'est sur « La tactique du gendarme » de Bourvil que ça tourne mal. La flicaille afflue de toutes parts, la lacrymo gicle. Une personne est plaquée contre un mur et étranglée, d'autres sont mises au sol violemment. Le groupe se disperse tandis que trois personnes se font embarquer. Le même jour, la proposition de loi « anti-squat » signée Natacha Bouchard - maire de Calais - est votée à l'unanimité par l'Assemblée Nationale. La police pourra intervenir pour violation de domicile d'une habitation quelle que soit la durée de l'occupation. Une répression qui illustre bien qu'à Lille comme ailleurs s'organiser face à la marchandisation de l'habitat et à la spéculation immobilière n'est pas acceptable
pour le pouvoir.
Dossier : Jacques Té et A/F
NDLR : Les délibérés sont tombés.
Pour la Mutuelle des Fraudeurs, le tribunal a accordé la relaxe pour les deux personnes. Néanmoins l'argent, confisqué au domicile par les policiers, ne leur sera pas rendu au motif qu'"elle pouvait constituer la caisse du collectif destinée au remboursement" alors que le procès ne portait pas sur la légalité ou non de cette mutuelle, ni n'a été prouvé que cet argent était véritablement la caisse du collectif.
Les deux Déboulonneurs-ses ont aussi été relaxé-es, mais sont pourtant condamné-es chacun-e à 500€ d'amende avec sursis pour refus de prélèvement ADN. Un système toujours aussi kafkaïen où le tribunal considère que tu n'as rien fait de répréhensible, mais où tu sors quand même avec une peine.
Pour
Iaata.info, la décision de justice a été... un "
abandon des poursuites". Un procès qui n'en a pas été un puisque "
Le procureur prend la parole pour indiquer qu’il « abdique
»." Terme très étrange pour un fonctionnaire de l'État.