Samedi 7 Octobre, le parvis de la préfecture est couvert des banderoles des grévistes Emmaüs et des drapeaux CGT. Un appel émanait du CSP 59 (Comité des Sans-Papiers 59) et des grévistes des communautés Emmaüs de Saint-André-Lez-Lille, Tourcoing, Grande-Synthe et Nieppe. Des personnes se rassemblement devant la Préfecture pour adresser un message au préfet Georges-François Leclerc et les témoignages entendus sont révoltants.
Les grévistes d’Emmaüs luttent pour leur régularisation. Ils et elles travaillent durement depuis des années, parce qu’on leur a promis des papiers. Une combine ignoble qui a permis à la direction de nombreux Emmaüs de profiter du travail quasi-gratuit de sans-papiers. Les personnes qui ont été exploitées revendiquent la reconnaissance des actes de traite des êtres humains et travail dissimulé. Si la justice le reconnaît, elles devraient être régularisées. Cependant, la Préfecture ne répond pas à ces demandes pourtant légitimes.
Les grévistes sont en colère et désespéré·es devant ce refus qui prend la forme d’un silence lourd de mépris. Au micro, les personnes présentes font entendre leur voix, et leurs histoires. Les discussions et les prises de parole témoignent des pratiques ignobles de la Préfecture.
Des personnes sans-papiers parlent de leur expérience. Lorsqu’elles déposent un dossier en préfecture pour un renouvellement, qui devrait n’être qu’une formalité, les retards de plusieurs mois voire années les plongent dans l’illégalité. Pourtant, elles cochent toutes "les cases" imposées par l’administration : elles sont en règle (c’est à dire en possession d’une carte de séjour) au moment de la demande de renouvellement, travaillent et ont un logement. Ces personnes sont salariées, cotisent et paient des impôts, ou étudient. Certain·e·s ont ainsi perdu leur emploi, faute de papiers en règle, puis leur logement, faute de salaire.
Ibrahim a vécu cette situation. Il est régularisé en 2019, puis renouvelle simplement ses papiers en 2021. Mais la troisième fois, ça ne se passe pas aussi bien. À cause du retard pris par les services de la préfecture, il est licencié, car il ne peut prouver qu’il est en règle. C’est un vrai cercle vicieux. Selon lui, « Le Préfet ne respecte pas ses engagements ». Les services de la préfecture sont‑ils dépassés, faudrait-il embaucher pour traiter ces dossiers dans des délais corrects ?
Le patronat a besoin de personnes sans-papiers
Alix, gréviste à Emmaüs, explique : « le but est de maintenir en situation de précarité, les patrons ont besoin de personnes qui n’ont pas d’autres choix ». En effet, la situation plus que précaire des sans papiers les met au pied du mur. Obligé·es d’accepter des emplois non déclarés, avec des conditions de travail fixées par les patrons. Pour Alix, il s ‘agit de réduire les gens « en esclavage ».
De nombreuses entreprises profitent des sans-papiers : Chronopost, Deliveroo, Hôtel Ibis... Dans les secteurs de la livraison, de la restauration, du ménage ou du BTP, de nombreuses personnes bossent sans être correctement payé·es. La régularisation leur permettrait de sortir de cette situation d’emprise. Pour l’instant, les sans papiers sont laissé·e·s – volontairement – dans l’illégalité.
Alix insiste sur le fait qu’il s’agit d’un combat pour tous·tes. En effet, les employé·es qui sont en règle ont intérêt à voir les sans papiers sortir de l’illégalité. Le patronat n’envisage pas d’augmenter les salaires ou d’améliorer les conditions de travail. Il a à sa disposition – servi tout chaud par l’État – des travailleur·ses maintenues dans la précarité. Qui de toute façon, seront contraint·es d’accepter n’importe quelle forme d’exploitation.
Des situations absurdes
Les témoignages des sans papiers le montrent bien : remplir un dossier complet ne suffit pas pour une régularisation. La Préfecture ne respecte pas les conditions qu’elle impose. On est dans l’arbitraire. Moussa était scolarisé dans un lycée pro, il a obtenu ses examens avec la mention excellence, l’OFPRA (Office Français de protection des Réfugiés et Apatrides) refuse pourtant son dossier. Suite à un recours, même refus. En 1ère Pro, Moussa représente son lycée en participant à une compétition des métiers, il finit 1er de la région, avec la médaille d’Or, puis à Lyon, il termine 3ème national, avec la médaille d’excellence. Est‑ce assez pour la préfecture ? Visiblement non, le dossier de Moussa est encore recalé.
Soufiane est « dubliné1 » en Espagne ; il a donc été renvoyé en Espagne, mais est revenu. Soufiane veut s’inscrire à la chambre des métiers, pour créer son entreprise. Mais, sans titre de séjour, il est impossible de le faire. Il cotisait à l’URSAAF, et est à jour de ses cotisations, mais encore une fois, la préfecture pinaille. Il faut des garanties. Il faut un contrat de travail. Soufiane en obtient un de son entreprise. Le dossier est donc complet ? Non, une nouvelle condition est exigée ! C’est comme ça depuis janvier 2023. Mi-septembre, encore une nouvelle condition.
Nicole est étudiante en management en Belgique. Comme sa famille vit en France, elle demande à venir. Elle obtient un titre de séjour et travaille comme experte-comptable dans une entreprise, qui fait finalement faillite. Elle a alors besoin d’un nouveau titre de séjour, qui lui est refusé. Elle explique que « la France doit se ressaisir. Les immigré.es apportent beaucoup par leur travail ». Les patrons veulent bien qu’ielles travaillent... mais avec les salaires les plus minables possibles !
Ismaël, lui, raconte qu’il travaille. Il a un CDI, mais sa carte de séjour a expiré. Elle est bloquée à la préfecture. Il ne sait pas s'il va pouvoir garder son emploi, ni combien de temps ça va durer.
Pour les personnes concernées, cet éternel recommencement est épuisant et décourageant. C’est à se demander si ce n’est pas le but. Pendant que les services de la préf mènent en bateau dans des dédales administratifs, les galères s’accumulent. Chaque jour sans titre de séjour valide est passé dans la peur du contrôle.
Ces témoignages sont révoltants et démontrent une injustice, une volonté de laisser traîner les dossiers de régularisation afin de livrer les personnes au patronat. Alors le Préfet Leclerc doit enfin entendre l’exaspération des personnes et régulariser sans attendre !
texte par Bennn
dessin par Je signe ici ?
1. Une personne "dublinée" est un.e migrant.e faisant l'objet d'une procédure de transfert ou "réadmission" vers un autre pays européen, là où ses empreintes ont été enregistrées pour la première fois, lors de son arrivée sur le territoire européen.