800 000 gardes à vue en 2009, dont 200 000 concernant des délits routiers. Leur nombre a augmenté de plus de 70% entre 2001 et 2008 – hors délits routiers – avec une nette envolée à partir de 2002. Celles et ceux qui ont fait les frais de cette inflation savent sans doute à quel point la privation de liberté à la française laisse la porte ouverte à l’injustice. Et dans quelle mesure elle peut être traumatisante. En janvier dernier une réforme de la garde à vue, rapidement rédigée par le gouvernement, a été adoptée par l’Assemblée nationale. On nous promettait une loi exemplaire, nous voilà gratifiés d’un bel enfumage législatif.
Depuis 2009 et l’arrêt DAYANAN c. TURQUIE, la garde à vue française n’est pas conforme aux exigences de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Car dans notre pays, l’avocat ne peut pas exercer « librement » les « éléments fondamentaux de la défense » que sont « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ». Dans la tête du législateur empressé, il s’agissait donc de modifier quelques articles de la procédure pénale, et le tour était joué. Le problème c’est que sous couvert d’un contrôle plus accru des conditions de garde à vue, c’est en fait le pouvoir du procureur qui se voit renforcé, aux dépens du travail de l’avocat.
Le parquet met en scène
À présent le procureur a la possibilité de tout contrôler. En effet, le complément apporté à la définition de la garde à vue, envisageable dès lors qu’elle permet de « garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête » (62-3), permet de justifier toutes les privations de liberté. Et c’est à ce magistrat d’assurer « la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue » (62-5). Ce n’est pas une blague. C’est au parquet, qui constitue l’accusation et qui peut ordonner le placement en garde à vue, que revient la responsabilité de contrôler ses propres ordres et d’assurer les droits de la défense ! C’est à se demander quel kafkaïen est derrière ce texte de loi. Il est certes admis que dès « le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat » (63-3-1). Mais, là encore, le procureur dispose de quelques outils contraignants et cette mesure n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Par exemple, si plusieurs gardés à vue demandent à consulter le même avocat, le procureur peut demander un avocat commis d’office. De plus, l’avocat n’a pas la possibilité d’accéder aux déclarations des policiers ou des témoins (63-4-1). S’il est en retard, le procureur peut autoriser l’officier de police judiciaire à commencer l’interrogatoire sans lui (63-4-2). S’il estime cela nécessaire, le procureur peut aussi décider de tenir l’avocat à l’écart pendant les douze premières heures de la garde à vue, sans possibilité de recours. Et si c’est le cas, « le procureur de la République peut décider […] que, pendant la durée fixée par l’autorisation, l’avocat ne [puisse] consulter les procès-verbaux d’audition de la personne gardée à vue », donc qu’il ne puisse pas faire son travail… Enfin, cerise sur le gâteau : « Si l’officier de police judiciaire estime que l’avocat perturbe gravement le bon déroulement d’une audition ou d’une confrontation, il en informe le procureur de la République. Celui-ci peut aviser le bâtonnier aux fins de désignation d’un nouvel avocat choisi ou commis d’office » (63-4-3). Trop facile. Voilà pour l’exemplarité du droit français. Hormis l’article 63-5 stipulant que la « garde à vue doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne », il n’y a pas grand-chose qui empêchera les policiers de maltraiter une personne gardée à vue. Nous recommandons donc au législateur d’en faire l’expérience : vingt-quatre heures à être traité comme un chien devrait lui faire ouvrir les yeux.
NB : Nous écrivons cet article, loin d’être exhaustif, à partir du billet « Réforme de la garde à vue : rapport d’étape » de Maître Eolas, http://www.maitre-eolas.fr, 25/01/11. Entre parenthèses sont indiqués les articles du code de procédure pénale modifiés par la réforme.