Pierre Mauroy est mort. Avant de revenir à notre façon sur le bilan du baron socialiste, retour sur les réactions post-mortem. Quand le roi meurt, la cour se prosterne.
La Voix du Nord semblait avoir préparé sa nécro depuis un petit moment. Le lendemain de la mort de Mauroy, samedi 8 juin, elle consacre 13 pages au Gros Quinquin. Lundi 10 juin, c’est un numéro spécial de 48 pages qui retrace les pas du « géant ». Les gratte-papiers se sont précipités sur les sites de référencement de citations pour nous sortir des extraits de discours tantôt ultra consensuels, tantôt complètement crétins. « La rigueur, c’est l’austérité plus l’espoir ». Ou encore « les discours doivent correspondre aux saisons ». On leur préférera cette citation sur les cénacles de la rue du Ballon : « La communauté urbaine c’est bien, c’est confortable. Pourquoi ? Parce que c’est feutré, il n’y a pas les habitants. » [1]
La droite éplorée
Il n’est pas une famille politique pour oser écorner l’image du défunt monarque – cinq majorats, vingt-huit années de règne sans partage. Pour Alain Bocquet, député communiste du Nord, « un grand chêne vient de tomber et avec lui un de mes pères politiques. » [2] Son opposant de droite Marc-Philippe Daubresse conserve lui aussi des étoiles dans les yeux : « C’était un magicien du consensus qui a réussi à fédérer toutes les forces démocratiques sur son territoire. » Si on peut reconnaître une force à Mauroy, c’est bien celle qui l’aura porté pour dépolitiser à tout va et forger ce sacro-saint « consensus » [3]. L’art de se faire aimer à droite autant qu’à gauche.
Mort en 1981 ?
Mauroy est aussi l’un de ceux qui ont converti le socialisme au capitalisme. Celui qui, en 1983, s’empresse de rassurer toute la bourgeoisie nationale prête à s’expatrier. Ou celui qui, dans la suite des années 1980, joue de ses contacts pour faire passer le TGV à Lille et stimuler l’« attractivité » du territoire. Alors, pour éviter de s’interroger trop longtemps sur ce qu’il peut bien y avoir de socialiste dans la réalisation d’Euralille, certains s’emploient à sanctifier les heures glorieuses de l’éléphant. Lors de l’hommage rendu le 12 juin au siège de la Fédération du PS, on s’excite au souvenir de quelques réformes. « Radios libres, lois Auroux, dépénalisation de l’homosexualité, cinquième semaine de congés payés, abolition de la peine de mort, 39 heures : la France ne redeviendra plus jamais celle d’avant 1981 », essaie de s’enthousiasmer le responsable encravaté des Jeunes Socialistes du Nord. Mais Martine Aubry ne s’y trompe pas lorsqu’elle constate que si « la guerre des beffrois n’existe plus, on le doit à Pierre Mauroy ». Le beffroi patronal de la Chambre de Commerce et d’Industrie n’est en effet plus l’ennemi du beffroi socialiste de la municipalité. Tel est le bilan de l’entreprise du baron socialiste, et cela paraît contenter tout le monde.
Les larmes d’un monde clos
Au-delà des discours de circonstance, il n’est pas certain que l’émotion des élites de la région rejoigne celle des classes populaires. Il suffit de jeter un œil à l’assistance présente lors de la cérémonie d’enterrement à la cathédrale de la Treille, dans le Vieux Lille. De fait, on y a surtout trouvé des journalistes et des RG tout occupés à encadrer les élites parisiennes (Jospin, Ayrault, Désir, etc.). Pour ce qui est des quelques habitants massés autour de la place, c’est peu dire que la moyenne d’âge frôlait celle de Mauroy au moment de son ultime soupir. Un peu auparavant, ce sont à peine plus de mille personnes qui s’étaient réunies devant la Mairie. Si l’on y soustrait les fonctionnaires venus marauder après qu’Aubry les ait mis au chômage technique, on a sans doute un bon aperçu de ce que les larmes versées sont celles d’un monde clos sur lui-même. Celui d’un omnipotent parti d’élus [4] et de technocrates.