Industrie du nucléaire et communication : quand les citoyens avalent des couleuvres atomiques

Le 4 décembre, l’asso Environnement et Développement Alternatif (EDA) nous invitait au Nouveau Siècle pour plancher sur la gestion d’une catastrophe Gravelinesque. Aux manettes se trouvaient tous ces technocrasseux du lobby atomique qui ont du sang sur les mains. Derrière des airs de « concertation », il s’agissait surtout d’une campagne d’acceptabilité du désastre nucléaire.

 

L’État français relance son industrie nucléaire. Il construit laborieusement deux centrales en Normandie et en Finlande, et essaie toujours d’en vendre un peu partout dans le monde. Dans le même temps, le vieillissement des centrales multiplie fuites et autres incidents euphémisés. Il s’agit donc de ménager les opposants en leur soufflant que tout est sous contrôle. À commencer par eux.

Démocratie 2.0

Finie la répression à la papa, matraque à la main ? Pas sûr. En tout cas, pour cultiver une image d’ouverture et de dialogue, le lobby nucléaire développe depuis quelques années un piège à citoyens  : la concertation. Depuis la « mission granite » qui cherchait à implanter des poubelles atomiques début 2000, l’industrie nucléaire s’offre le concours de Gilles Hériard-Dubreuil, directeur de Mutadis consultant, et coordinateur du programme européen Trustnet1. Retour ligne automatique
Dans ce programme, Hériard-Dubreuil a élaboré le concept de « gouvernance des activités à risque » basée sur une « confiance mutuelle ». Il s’agit de faire bosser ensemble chercheurs, industriels, fonctionnaires et associatifs. La contestation est alors ingérée par une expertise technique qui offre une apparence de démocratie. Évidemment, il n’est pas permis de remettre en question l’activité nucléaire. Seulement d’en gérer les conséquences.

Un 4 décembre explosif

Le colloque du 4 décembre était un exemple du genre. Il s’intitulait « Sortir du silence, entrer dans la transparence et le dialogue ». Si la ficelle marketing était grosse comme une ligne à Très Haute Tension, les nucléocrates trouvent toujours des associatifs en mal de reconnaissance institutionnelle. A Lille, c’est l’association environnementale EDA qui jouait la société civile. Retour ligne automatique
Comme d’hab’, des simulations de nuage atomique et des graphiques très sérieux défilaient au rythme des slash d’un PowerPoint. Mais il n’était question que de petites fuites, pas d’accidents graves. L’image d’une sûreté totale est sauve. Et la journée se terminait cyniquement dans la bonne humeur d’une « collation équitable », servie dans des gobelets recyclables, et assurée par Artisans du Monde. Sic.

Un scénario à en vomir un poumon

Imaginez un accident à Gravelines. Phase 1 : ça pète. Des millions de personnes courent récupérer leurs enfants à l’école pour fuir la région. Flics et militaires bloquent les routes et distribuent des dépliants. Chacun est prié de se calfeutrer sagement chez soi, d’allumer la radio, et d’avaler des pastilles d’iode pour patienter. Celles et ceux qui ne sont pas réduits en lambeaux de chair suintante seront peut-être réquisitionnés pour éteindre le feu à la centrale (il a fallu 800 000 liquidateurs martyrs à Tchernobyl).

Passée la phase d’urgence, commence la Phase  2  : la survie en milieu contaminé. Les particules radioactives se déposant dans les champs, il devient impossible de consommer les légumes, la viande ou le lait de la région. Il faut tout importer et se séparer des déchets contaminés : pour les mettre où ? On n’en sait rien. Dans le meilleur des cas, la région est vidée pour quelques centaines d’années. Et en attendant que se déclarent nos cancers généralisés chacun prend soin de mettre au monde des enfants à deux têtes. Mais ça, les experts n’en parleront jamais.Retour ligne automatique
Tous les scénarios imaginés sont aussi crédibles que des instructions de sécurité à bord d’un avion de ligne. Entre la panique générale, les désertions bien compréhensibles de militaires ou de pompiers, et la contamination durable, l’industrie nucléaire nous promet un avenir irradieux.

Le chaos biélorusse

Ce scénario « post-accidentel », comme ils disent sobrement, a été mis au point par retour d’expérience dans les campagnes biélorusses et ukrainiennes contaminées par Tchernobyll. Ce sont les projets Ethos et Core dirigés par le CEPN* et coordonnés par Mutadis Consultants. On y trouve la fine fleur du lobby agro-industriel venue défendre ses intérêts économiques : l’Institut National d’Agronomie Paris-Grignon, l’asso Sols et Civilisation composée de membres de la FNSEA, ou l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA). Tout ça financé par l’Europe, EDF, la COGEMA...

En 2001, le Pr. Bandajevski qui avait démontré les conséquences dramatiques de l’ingestion de faibles doses de césium, est mis au frais pour huit ans par le gouvernement biélorusse. La désinformation s’intensifie pour inciter les gens à rester mourir chez eux. Les Gentils Organisateurs d’Ethos apprennent aux habitants d’absurdes « comportements de précaution » et les équipent en appareils de mesure. Sur le site du CEPN, une série de photos méprisantes de niaiserie montre des habitant-es crédules dans une nature verdoyante. Elle serait à mourir de rire si l’on ne savait pas que tous les biélorusses attendent leur cancer. Et que 80% de leurs enfants souffrent de maladies cardiaques, du foie, des reins, de la thyroïde, de mutations génétiques du système nerveux, d’un arrêt du développement cérébral, d’altérations du système immunitaire...

Peut-on discuter avec des criminels ?

Le 4 décembre, les membres d’EDA se réjouissaient « qu’enfin, pour la première fois depuis quarante ans, on puisse discuter de ces questions ».

Mais face à la réthorique participative concernant une technologie capable d’en finir avec les habitant-es de cette planète, tout débat démocratique n’est que pur fantasme. L’énergie atomique tient dans les seules mains du chef de l’Etat et des armées, lui-même soumis aux ingénieurs du Corps des Mines qui en détiennent le savoir. Rappelons (aussi), par exemple, que le transport de déchets est couvert par le secret défense. Quelle information en cas d’accident sur les rails ? Aucune. Retour ligne automatique
Dans un tract signé du Conseil des Ennemis de l’Atome, on pouvait lire : « La contamination sous contrôle citoyen, c’est toujours la contamination. La préparation à la catastrophe, c’est déjà la catastrophe. » L’unique moyen d’éviter un accident irréversible reste de mettre fin au programme nucléaire français le plus vite possible.

1. mutadis.org et trustnetinaction.com 2. cepn.asso.fr/fr/ethos.html * Plus d’infos dans le bulletin spécial « Gestion du risque » de la Coordination Contre la Société Nucléaire à commander au CLANA, CNT-AIT, 8 rue des Cordeliers, 80 000 Amiens. * Plus d’infos sur hns-info.net. CODIRPA : Vers une gestion soft et participative pour une vie durablement contaminée après un accident nucléaire en France.

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