Ville de la solidarité ? Et puis quoi encore ! Cette foutaise ne résiste pas à la réalité salariale des 4500 agents de l’entreprise Aubry & Cie, mise en avant lors de la dernière grève qui avait fait reculer les patrons de la Ville. Il va falloir recommencer... Car la mairie de Lille (comme le PS) n’a rien de « socialiste ».
Une main-d’œuvre flexible, corvéable, sans droits : dans les cantines, les écoles, la culture ou le sport, la mairie de Lille recourt massivement aux vacataires. Ils seraient environ 470 en mission d’intérim, contrats aidés ou saisonniers, auxquels il faut ajouter 320 contractuels en CDD [1]. D’après Samuel, sympathisant de SUD, on a ainsi l’exemple « d’un agent qui a pu cumuler quatre années d’intérim renouvelé tous les mois ! Il a suffi, à chaque fois, de changer l’intitulé de la mission... » Selon lui, « ils profitent de ces contrats pour presser le citron, et cela quel que soit le niveau des agents ». La CGT revient sur le concept de « vacataire » : « Ce n’est ni un statut, ni un contrat, c’est une manière de payer des agents à la tâche. En principe et selon les textes, les vacations servent à rémunérer des personnes qui ont une autre activité professionnelle, souvent libérale. Malheureusement, ce système à été largement détourné et dévoyé à la ville de Lille ».
Comme à Auchan ?
Dans les cantines et la petite enfance, la grève de novembre [2] avait dénoncé une précarité croissante. Samuel estime que « dans ces directions de la DAE [Direction des Actions Educatives], on a l’impression que c’est une zone de non-droit ». Suite au mouvement, la mairie a promis d’arrêter les intérims à court terme pour embaucher sur une durée minimum de neuf mois, et de donner un vrai contrat aux intérimaires travaillant à mi-temps. Effet pervers, selon le syndicat SUD : « Plus aucun vacataire ne peut faire plus de 16 heures [3]. Sommes-nous revenus avant 1936 ? Des agents sans réel contrat de travail, sans congés payés, bridés à 16 h par semaine, avec des journées à trous, pire que dans certaines grandes surfaces, sans aucun des avantages réservés aux autres agents... »
« Dans tous les secteurs, ils chargent la barque. On dirait qu’ils considèrent que les fonctionnaires en foutent pas une ramée ». Résultat, d’après Samuel : « On a deux départs pour une arrivée dans quasi tous les services. Les postes ainsi libérés servent à la création de nouveaux services ou de nouveaux postes ailleurs. L’administration nous réaffirme sa volonté de ne pas augmenter le nombre d’agents, alors que tous, quel que soit le niveau, le pôle, la filière, se sentent débordés, et crient au manque d’effectifs. » Il ajoute : « La politique en ce moment, c’est faire de l’investissement, avec 100 millions par an comme objectif. Mais quand tu crées un équipement, il faut une création de postes, et comme ils ne veulent pas augmenter le nombre total de postes, il y aura des tensions inévitables ».
Du privé chez les « socialistes »
Il ne faut pas être devin pour imaginer la solution : « Ça va être de recourir au privé, forcément ! » Et cela correspond à l’évolution générale de la politique dans les services publics : « Ils aimeraient ne garder que des cadres qui gèrent des marchés... » À Lille, « une partie des services municipaux est déjà privatisée ». Samuel prend ainsi pour exemples « une partie du ménage dans les sites extérieurs, comme une partie du ménage en mairie centrale, réalisée par l’entreprise ISS. Pour la propreté, le « centre historique » est délégué à Nicollin ». Cela leur permet au passage de baisser les coûts, avec des entreprises parfois peu respectueuses de la réglementation, des salaires au rabais, une présence syndicale moins forte... voire une mise en danger de leurs salariés. Ainsi, raconte un responsable de SUD, « pour le lavage des carreaux en mairie centrale, j’ai pu voir par deux fois un salarié d’une boîte privée monter sur un bureau et se pencher à l’extérieur sans sécurité, alors que la fenêtre est à 15 mètres de haut. Il a fallu deux ou trois réclamations à la direction pour qu’elle oblige l’entreprise à se mettre aux normes de sécu. »
Discipline et vidéo-surveillance
Quant aux techniques de management en cours, le dernier accord [4] signé en janvier par l’UNSA, la CFDT et FO renforce la hiérarchie et les sanctions. La CGT et SUD l’ont refusé puisqu’il donne davantage de pouvoirs aux chefs de service. D’après Samuel, « si tu ne t’entends pas avec lui, ce sera mort pour ta promotion, et pour peu que tu ouvres trop ta gueule.... On va être soumis aux désirata de son chef, c’est un gros danger. » SUD questionne cette « politique disciplinaire » : « Va-t-on ré-inventer le bagne, le coin, le bonnet d’âne ou le fouet ? (…) La dernière version proposée [du protocole d’accord] ressemble à un catalogue de sanctions que veut mettre en place la DRH ! Les projets de référentiels, charte et règlements de tous ordres, sous prétexte d’équité, semblent surtout renforcer le régime de la sanction ».
Un régime qui est déjà bien en place, d’après la CGT : « Le Conseil de discipline de la ville de Lille devient de plus en plus un outil du Père fouettard. Le plus souvent les situations et les dossiers des agents en cause sont examinés à charge. C’est la sanction et de plus en plus, la révocation est demandée par l’employeur-mairie ». On pourra noter également l’augmentation constante du nombre de caméras de surveillance au sein de l’hôtel de ville : presque une par étage et par pavillon, le tout sans affichage légal... De là à parler d’un système de flicage des agents, il n’y a qu’un pas...
La grève est permise, mais « inacceptable »
Ce protocole comprend également une « charte du dialogue social ». Là encore, d’après un responsable de SUD, « il y a le droit à prendre des heures syndicales, mais pas de moyens en plus pour prendre ces heures, à moins d’avoir un permanent à temps plein, ce que refuse par exemple la CGT ou SUD, les syndiqués se partageant les heures syndicales. Tu prends donc des heures ou des demi-journées, mais ta masse de boulot reste la même... sur moins de temps ! » Le syndicat dénonce l’insuffisance de cette « charte » : « Que peut faire un agent syndiqué souhaitant se rendre en réunion de son organisation syndicale ou en formation quand son responsable lui fait comprendre « qu’il est indispensable au service, que l’on ne peut pas fonctionner sans lui, que l’on est déjà en sous-effectif »... Ce n’est pas toujours un refus explicite, c’est beaucoup plus pervers ».
Et pourtant, l’activité syndicale n’est pas de trop, dans cette administration municipale où l’élue en charge de la restauration scolaire, Marielle Rengot, lance en pleine réunion de négociation durant la grève du secteur DAE : « Ce blocage et ce type de grève sont inacceptables et cela remet en cause le service public »... [5] Ce type de réaction semble récurrent lors des journées de grève, ainsi, d’après la CGT, les agents « s’entendent dire qu’ils mettent en péril le service public, voire que leur action s’apparenterait à une prise en otages des usagers ».
Le ras-le-bol des smicards
On pourrait aussi évoquer les procédures de titularisation des agents, particulièrement opaques, sans réels critères, et donc parfois à la tête du client. Ou encore le niveau de salaire, lorsqu’une secrétaire, après dix ans de service, pointe à peine aux 1200 euros mensuels... SUD ne mâche pas ses mots à propos des petites primes octroyées aux agents de catégorie B ou C : « 90 euros par an pour les C en tout et pour tout cette année et sans aucune augmentation en 2010 et 2011, ce n’est même pas une proposition, c’est du foutage de gueule. Cela correspond à 7,5 euros par mois cette année. Et que dire des 45 euros par an pour les B... » Pendant ce temps, la minorité des directeurs des services est grassement rémunérée...
Pour conclure, Samuel avoue qu’il y a « un mal-être qui croît partout, notamment du côté des boulots répétitifs, sans aucun épanouissement personnel. Imagine, dans les musées, l’agent de sûreté dans la même salle pendant des années. Les agents en ont de plus en plus ras-le-bol ».
NB : Les citations de la CGT sont issues de « État des lieux des maigres acquis et des grasses régressions en cours... » sur le site du syndicat http://cgt-villedelille.com, et les citations de SUD, mis à part Samuel et un responsable de Sud, sont extraites du journal de SUD, La Voix du Sud n°1 à 9, disponibles sur www.sudmairiedelille.org.
[1] Chiffres de 2008.
[2] « Des agents font plier la mairie », La Brique n°19.
[3] Surtout valable pour la commune associée d’Hellemmes.
[4] « Un protocole » négocié début 2010 entre les syndicats et la mairie sur différents domaines (primes, droits syndicaux, transport, discipline, etc) pour les trois années à venir.
[5] Tiré d’un courrier de la section SUD envoyé à Aubry le 25/11/09.