La Piscine de Roubaix, un musée divin (2/3)

la piscine de RoubaixDans son dernier numéro, La Brique rappelait la place qui sera faite au sculpteur Henri Bouchard, au Musée de la Piscine à Roubaix en 2013. Un « artiste » pro-nazi et membre du groupe Collaboration durant l’occupation, notoirement raciste. Une sorte d’éruption esthétique purulente due à une infection idéologique très ancienne. Elle s’explique par les liens qui unissent un patronat du Nord de droit divin et l’histoire du régime de Vichy.

 

Depuis quelques années l’exaltation de l’identité nationale, le culte du travail associé à l’effort de guerre face à la crise économique, en décomplexe plus d’un. En témoigne la valorisation de certains partisans du régime de Vichy, voire nazis accompagnée du discours : « c’était contre leur gré ». Même Louis Renault [1], un patron collaborationniste exemplaire, a été glorifié sur France 2. Quatre minutes au 20 heures, rien que ça. Cette réhabilitation instrumentalise des concepts comme celui de « vichysto-résistants [2] ». Oxymore qui, loin d’éclairer la position des uns et des autres durant l’occupation, offre une virginité aux salauds. Le livre autobiographique de Jacques-Yves Mulliez, Ma guerre secrète, est l’exemple du récit tarabiscoté qui transforme un Ch’ti collabo en résistant. Un résistant bien particulier, qui n’a jamais renié son adhésion à Pétain et qui encore aujourd’hui, au moins implicitement, en accepte l’antisémitisme. Dans La Voix du Nord du 7 avril 2011, il se déclare : « fidèle au Maréchal qui a fait du mieux qu’il a pu, mais pas à Laval. […] Quant à cette affaire d’antisémitisme, il s’agissait d’un antisémitisme d’avant-guerre, social, de familles ». Dans les grandes familles du Nord, transmet-on l’antisémitisme à ses enfants comme notre grand-mère sa recette secrète de gaufre fourrée ?

Contrôle et propagande : une culture patronale ancestrale

1940, depuis longtemps les industriels veulent vaincre les luttes ouvrières et envient à l’Allemagne nazie son régime autoritaire. Ils désirent un monde où les syndicats sont interdits, où le « travail rend libre », où la jeunesse est dressée en batterie, un monde qui cultive un nationalisme radical. Ils souhaitent une structure antidémocratique, spécifique à la France, fondée sur le catholicisme. Sous Vichy le patronat mène aussi sa guerre secrète sur le terrain de la culture et des arts. Par ses fonctions et son « œuvre » symbolique, Bouchard est l’un des artistes les plus actifs de la Révolution nationale. Dès 1884 est créée l’une des plus puissantes organisations patronales, l’Association catholique des patrons du Nord. Ceux-ci, craignant de perdre leur supériorité de droit divin, miment la politique hygiéniste des mouvements socialistes afin d’instaurer un contrôle social et d’assujettir la « basse classe ». La doctrine du catholicisme social est née. Malgré cela, les patrons perdent du terrain face aux mouvements révolutionnaires ouvriers. Situation intolérable qui pèse sur la production et les profits. En 1936, le patronat poursuit de nombreuses actions. Il fonde la SA Inter-France [3] pour peser sur la presse régionale et contrer le communisme. Parmi les commanditaires, on retrouve la grande bourgeoisie du Nord : les Motte, Toulemonde, Feron, Vrau (le directeur de La Croix), Dassonville, etc. De son côté, Jean Prouvost [4] (créateur de La Lainière de Roubaix), est à la tête d’un empire de presse : Paris-Soir, Paris-Midi, Match, Pour Vous… En octobre 1940, il reprend Marie-Claire, et fonde Film Magazine, mettant au service de Vichy son art d’américaniser la presse ; il lance aussi l’hebdo 7 Jours avec des numéros spéciaux sur la journée du Maréchal, la famille Laval, etc.

Le profit n’a pas de prix

L’Association catholique des patrons du Nord joue un rôle très important dans la conservation de l’outil industriel durant l’occupation. En effet, les patrons soucieux de garder leurs main-d’œuvre qualifiée, sous peine de voir les usines fermer, se réservent les bons éléments, envoyant en Allemagne les ouvriers fichés comme "fauteur de trouble" ou communiste. Prétendre qu’ils ont protégé les travailleurs par esprit de résistance c’est ignorer qu’ils préservaient leur domination de classe. Ils assurent une nouvelle place à leur industrie dans une Europe désormais nazifiée. Dès 1940, ils participent sans scrupules, et même pour certains (Fernand Motte), avec beaucoup d’entrain à l’aryanisation [5] des entreprises juives. Notons d’ailleurs que l’antisémitisme, surtout colporté par la presse française détenue par la grande bourgeoisie, concerne peu le peuple aux prises avec l’organisation de sa survie [6]. Durant cette période, le cœur des patrons du Nord va à la France de Vichy et leurs portefeuilles à la coopération économique avec l’Allemagne. Tout ça en instrumentalisant le gouvernement de Vichy afin de se déresponsabiliser de la collaboration [7].

Le mythe des patrons-résistants

Jusqu’en 1942 les relations entre le patronat textile du Nord et le régime de Vichy se déroulent pour le mieux : même culte idéologique pour le travail, la famille, la patrie. Le patronat, avec la Révolution nationale et l’occupation, porte le coup de grâce aux luttes ouvrières, attribuant à l’occupant les difficultés rencontrées. Dans sa grande générosité, il s’emploie à leur éviter le départ "volontaire" pour l’Allemagne. La figure du patron est incarnée avec le paternalisme du Maréchal, mais voilà ! En 1942, le troisième Reich perd du terrain sur le front Est, tout le monde comprend qu’il va perdre la guerre et Pierre Laval revient aux affaires. Rapidement il promulgue une loi pour fournir de la main-d’œuvre (STO) à l’Allemagne.

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Modèle de tissu "Francisque" créé par l’Union des fabricants de tissus pour ameublement à Roubaix, 1943.

Dès lors, seules les industries nécessaires à l’effort de guerre peuvent prétendre à garder leurs ouvriers. Autant le Vichy de Pétain était en faveur du patronat du Nord, autant celui de Laval était trop à la botte d’Hitler. Situation que le patronat utilise pour affirmer, dès 1945, qu’il a gardé ses distances avec Vichy, et ensuite se créer de toutes pièces l’image de patrons-résistants. C’est pourquoi cette conséquence visible de l’influence malsaine du grand patronat du Nord sur la politique culturelle locale, l’arrivée de l’atelier de Bouchard, transformerait le musée en monument à la mémoire de Vichy pour néo-vichystes. Silence politique assourdissant, effarante absence de prises de position des pantins locaux de la culture officielle : l’autocensure vaut-elle consentement ? Oui, mon Maréchal ! La suite au prochain numéro...

Lire la troisième partie :

- « La Piscine de Roubaix : l’art de réécrire l’Histoire (3/3) » (N° 28, juillet-août 2011)

Lire la première partie :

- « Le musée de la Piscine : un certain goût pour Vichy (1/3) » (N° 26, mars-avril 2011)

Notes

[1Louis Renault (1877-1940). Créateur de l’empire industriel Renault, accusé de collaboration.

[2Désigne des hommes qui passent d’un soutien au régime de Vichy à un soutien à la Résistance.

[3Inter-France : agence de presse française collaborationniste.

[4Jean Prouvost : haut-commissaire à la Propagande française dans le ministère Philippe Pétain.

[5Spoliation des juifs français notamment les commanditaires d’Inter-France de l’industrie textile catholique du Nord.

[6Voir Pierre Laborie (historien) : « Au fond, disait Simone Veil, en montrant que tous les Français avaient été des salauds, ceux qui l’ont été vraiment avaient très bonne conscience puisqu’ils l’étaient comme les autres. C’était précisément l’argument des néo-vichystes dès le lendemain de la guerre ! ».

[7Voir Industriels et banquiers sous l’occupation, d’Annie Lacroix-Riz.

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