Le bourgeois branquignol : une comédie en cinq claques

prouv

Certains jours, ça fait du bien de déverser son aversion des riches. Surtout sur celleux qui se permettent de se lamenter sur leur sort. Chez nous, on a l'embarras du choix, mais on a jeté notre dévolu sur Ghislain Prouvost, héritier
de la grande bourgeoisie industrielle du Nord, dont les commentaires sont le reflet de sa classe prédatrice. 

Vous écrivez une œuvre de fiction et vous avez besoin d’inspiration pour un personnage caricatural ? Disons un bourgeois hautain, déconnecté à souhait, qui se rêve en petit pauvre besogneux de province ? On vous présente Ghislain Prouvost, héritier d’Amédée et Alain Prouvost, de l’illustre famille propriétaire de l’ancienne Lainière de Roubaix. Une figure de la grande bourgeoisie industrielle du Nord, dont la gloire est passée mais dont le capital reste.  

Notre ami Ghislain, 74 printemps, s’est prêté au jeu de l’interview sur France Culture il y a quelques mois, dans l’émission de radio Les pieds sur Terre (1). C’est le premier chapitre d’une série sur les grandes familles industrielles de Roubaix « qui ont fait, un temps, la réputation de la ville dans le monde entier ». Dhont, Tiberghien, Motte… et Prouvost donc, qui nous envoie son rejeton le moins illustre, lui qui ne semble avoir d’autre fait d’arme que sa naissance.  

Début de l’interview. Ghislain nous accueille dans un luxueux appartement des quartiers chics de Bruxelles, nous indique la journaliste (ça pue déjà l’austérité). Sur son canapé, une peau de léopard, certainement achetée au rabais aux premières heures de la Braderie.  

Bienvenue à Château la fuite

S’ensuivent alors 27 minutes de pure poilade. Mais d’un rire jaune, jaune pisse. L’héritier s’épanche, avec un ton larmoyant travaillé devant la glace, sur les difficultés d’une vie dans une famille parmi les plus riches de France : « On ne parlait pas d’argent, parce qu’on en manquait et que les fins de mois n’étaient pas toujours faciles. » Et de rajouter, concernant les habitudes familiales : « Nous, quand on allait skier, on avait des pantalons troués et des vieilles chaussures parce qu’on n’avait pas un sou. » On est à deux doigts d’apprendre que les Prouvost ont fréquenté la soupe populaire !  

Puis, toujours sur le mode du misérabilisme haut-de-gamme, il évoque d’autres membres de sa famille sur qui la (mauvaise) fortune semble s’acharner. « Je me souviens de vacances passées chez mon oncle Jean Masurel qui avait ce formidable château. Dans sa chambre, il n’y avait que des Modigliani. Dans la salle de ping-pong au premier étage, il n’y avait que des Fernand Léger. Mais au fond, il ne les achetait pas, c’était gratuit. [...] On n’avait pas les moyens d’acheter des tableaux chers. » Pour info, le Nu couché de Modigliani a été vendu à 141 millions d’euros en 2015 et le Contraste de formes de Fernand Léger a été adjugé en 2017 pour la modique somme de 70 millions de dollars. Des clopinettes.

Et notre petite confession préférée : « J’ai racheté une propriété en Bourgogne pour une somme tout à fait négligeable. Les grands châteaux quand ils sont trop grands, ça ne vaut rien. » A 15€ l’entrée pour visiter le fameux Château de Drée, ne doutons pas que le malheureux saura amortir et mutualiser une partie de son investissement. En tout cas, merci pour le bon plan, on va pouvoir prospecter sur une résidence d’été des Amis de La Brique.

Ghislain, il est touchant quand il évoque ses souvenirs. On aurait presque envie de le prendre dans nos bras, de lui susurrer à l’oreille « Tout va bien se passer Ghislain », de lui offrir un chocolat chaud et une séance de massage. Mais plutôt que de lui passer la pommade, on va lui passer un savon.  

D’abord, la famille Prouvost, c’est une fortune colossale établie à partir du XIXème siècle par un monopole sur l’industrie textile en France, puis en Europe. La famille Prouvost, c’est aussi le rachat de titres de presse, à l’image du Groupe Marie Claire (Marie Claire, Cosmopolitan…), l’un des groupes médiatiques les plus importants du pays. La famille Prouvost, c’est aussi la collection d’œuvres d’art et l’acquisition d’un patrimoine foncier et immobilier démentiel : si on s’en tient strictement aux résidences nobiliaires, en plus du Château de Drée, on peut aussi citer le Château du Vert-Bois à Bondues, véritable écrin pour les babioles (peintures, sculptures, orfèvreries…) accumulées par la famille.

La modeste opulence des millionnaires

Pourtant, Ghislain se défend d’avoir vécu dans l’opulence. « Nous vivions très sobrement. 99% du capital était réinvesti dans les machines », déclare-t-il sans sourciller, sur sa peau de bête, en invisibilisant au passage les milliers d’ouvrièr.e.s qui ont construit sa fortune. Dans les années 1960, la Lainière de Roubaix comptait jusqu’à 7000 employé.e.s, et certainement assez d’ouvrier.ères compétent.es pour lui rapiécer la combi de ski qu’il portait sur les pistes du Val d’Isère (Val de Misère ?). On peut aussi douter des « 99% », mais admettons. On s’accordera tout de même que 1% de beaucoup, c’est déjà pas mal. D’autant que l’argent des Prouvost n’a pas fondu avec la fermeture de la Lainière de Roubaix en janvier 2000, entraînant le licenciement des 223 employé.e.s restant.tes.  

À défaut d’avoir les chiffres de la fortune personnelle de Ghislain Prouvost, nous avons ceux de sa cousine, Évelyne. Femme d’affaires, présidente de Marie Claire, de Paris-Soir ou de la chaîne Téva. Elle fut mariée un temps au marquis Arnold de Contades, de la noblesse française subsistante (c’est donc ça l’ascenseur social). Avant sa mort en 2017 (RIP à son RIB), la fortune d’Evelyne Prouvost était estimée à 325 millions d’euros, ce qui la classait à la septième place des femmes les plus riches de France (2). Ça en fait, des combis de ski… prouv 

Mais revenons à notre héritier aux chaussettes trouées, qui semble également oublier dans l’équation son indécent patrimoine, sans parler du capital culturel et social, lui dont le père faisait des bouffes avec Picasso ou Chagall et recevait alors gracieusement des tableaux hors de prix. Ghislain Prouvost n’est peut-être pas le plus brillant de sa classe, mais il en a tout à fait les réflexes. Comment en serait-il autrement, ne fréquentant que ses semblables de la grande bourgeoisie ? On perd le sens des réalités lorsqu’on végète dans un petit entre-soi d’ultra-riches.

C’est systématique : dès qu’on tend un micro à un riche, il l’arrose de ses larmes de crocodile, occultant tout à fait celleux qui n’ont d’autre choix que de louer leur force de travail à ces capitalistes pour gagner les maigres moyens de leur subsistance. En fait, tant que les médias les plus influents seront à la botte des dominants, quand ils ne sont pas purement et simplement leur propriété, on pourra toujours se gratter pour voir des larmes de pauvres (ces gens qui ont de vrais problèmes) en couverture de Marie-Claire…

Roubaix, c’est moche et dangereux

Vous vous en doutez, ce dédain classiste n’est pas la seule tare de Ghislain Prouvost. C’est aussi un réac’ invétéré. Après une tirade sur l’importance de préserver le patrimoine bâti, il nous explique à quel point Roubaix a perdu de sa superbe. « Qu’est-ce qu’il y a à voir à Roubaix ? Ce n’est pas une belle ville. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est l’Hôtel de ville de Roubaix, qui a d’ailleurs été payé par les industriels de l’époque. Il y avait aussi ce qu’on appelait le boulevard de Paris, où il y avait les plus beaux appartements particuliers du Nord. Tout a été démoli pour faire place à des immeubles. » En gros, Roubaix était une belle ville quand les riches y habitaient. Ou plutôt, avant que des pauvres viennent remplacer les riches. Vous le voyez venir avec ses grands sabots cabossés ?  

Alors que Ghislain se lance dans une comparaison avec le patrimoine tourquennois, c’est la glissade : « Ce n’est pas étonnant que Monsieur Darmanin, qui est un homme admirable d’ailleurs, soit élu et réélu dans le Nord, parce qu’il y a vraiment un problème d’insécurité. » Une transition fort peu subtile vers le thème éculé de l’insécurité à Roubaix. Alors, dans sa grande générosité, Ghislain Prouvost nous offre sa meilleure analyse de comptoir pour expliquer comment Roubaix s’est transformée en « Afghanistan à deux heures de Paris » (cf un autre facho). « Ce qui s’est passé, c’est que petit à petit, il y a eu un embourgeoisement : les gens ne voulaient plus travailler la nuit. » Et Ghislain, en bon prolétaire, se tapait certainement les 3/8 !  

« Pourquoi Roubaix est devenue bien plus problématique qu’il y a 50 ou 60 ans ? Il fallait trouver des gens pour travailler : plus de Français. Donc il y a eu une main d’œuvre, je ne dirais pas corvéable à merci (mais pas loin), qui acceptait de travailler la nuit : les nord-africains. » Vous avez compris ? Nord-africains = problématiques. Poursuivons. « Surtout des algériens qui étaient très contents de gagner beaucoup mieux leur vie qu’en Algérie. Ils ont fait venir leur femme. Eh oui, la prostitution n’était pas très grande donc ils faisaient venir leur famille. » Une logique implacable.  

Ghislain Provoc’

« Vous savez, le racisme ne vient pas des élites. Absolument pas. » Dixit celui qui, quelques secondes plus tôt, disait : « Mes petits-enfants ont les yeux bridés. En fait, ils sont plutôt plus malins que moi puisqu’ils ont un peu de sang chinois et un peu de sang vietnamien. » Au lieu de ça, Ghislain Prouvost reporte la faute sur « une population ouvrière d’origine flamande [...] moins philosophiquement éduquée » qui aurait refusé les musulman.es et leur culture. Il assure ensuite que plus de la moitié de la population roubaisienne est de confession musulmane. Une proportion non sourcée, reprise à l’envi par toute la fachosphère depuis la parution en 1996 du livre Le Paradoxe de Roubaix du journaliste Philippe Aziz. (3)  

N’ayez crainte, le sociologue, démographe et sauveur de la civilisation occidentale, Ghislain Prouvost, a une solution : « Je pense que ça passe par l’éducation des femmes, en encourageant ces filles à devenir intellectuellement indépendantes. Non, parce que vous en avez des admirables. Par exemple, Rachida Dati, qui est fantastique. Il faudrait que 80 % des femmes de Roubaix deviennent comme ça. » Pas sûr que 80% des femmes de Roubaix veuillent devenir comme Rachida Dati... Encore une preuve, s’il en fallait, que la bourgeoisie est la meilleure alliée de l’extrême-droite qui, rappelons-le, se réjouit de la mort de réfugiés dans la Méditerranée, s’organise en milice, agresse des militants et mène des ratonnades.  

On récapitule : condescendant, classiste, raciste, sexiste et totalement déconnecté du réel. Ça fait beaucoup pour un seul homme. Mais Ghislain Prouvost a le mérite d’être honnête et dit tout haut ce qu’une majorité de bourgeois.es pensent tout bas. Quoi ? Nous aussi, on peut balancer des chiffres sans sourcer ! Les fachos ont le vent en poupe et sont loin d’accabler les parasites en costard pour expliquer leurs angoisses infondées. Au contraire, ils forment une opposition violente et impunie contre le front social. Notre cible du jour n’est en fait que le reflet de sa classe, prête à tout pour conserver ses intérêts quand ça commence à sentir le roussi.  

 Niouhera

1. « Roubaix, les grandes familles » - Les pieds sur Terre - France Culture - 08/09/22. À noter que la journaliste n’apporte ni contradiction ni nuance aux propos de Ghislain Prouvost, comme pour tous les épisodes de cette série. S’il se saborde lui-même, on aurait apprécié une prise de distance de la part de France Culture. Les pieds sur Terre, ou la tête dans les nuages ?
2. « Les femmes les plus riches de France » - Le Journal du Net - 14/01/09
3. À ce jour, aucune étude ne permet d’évaluer ce chiffre à Roubaix. Michel David, ancien directeur général des services de la ville de Roubaix, affirmait en 2016 dans les colonnes de Libération : « 40% de la population est issue d’un pays où la religion musulmane est majoritaire. » Il serait, de son aveu, l’une des sources de Philippe Aziz. Une belle extrapolation au service d’un argumentaire foireux.

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