Le chemin de croiX des jeunes eXilé·es de Lille

PXL 20240425 201701052.PORTRAIT.ORIGINALDes dizaines de jeunes exilé·es en danger sur le sinistre campement de Lille-Sud ont été accueilli·es cet hiver dans quatorze paroisses de la métropole lilloise, grâce à une convention entre Utopia 56 et le diocèse de Lille. Une belle main tendue... ne masquant pas l'inaction criante des services de l'État. La convention ayant pris fin le 15 avril, les jeunes accueillis ont plié bagage pour un autre campement de fortune aux Bois-Blancs.

 Un pape défendant l’accueil inconditionnel des exilé·es1, la conférence des évêques de France encourageant la bénédiction des couples de même sexe : ces derniers temps, les actions de l’Église catholique ont surpris les  « bouffeurs de curés » de gauche, de La Brique et d’ailleurs. Dans un contexte de répression accrue à l'égard des exilé·es, ces prises de position rassurantes de l'Église se traduisent sur notre territoire par la mise à l'abri cet hiver de plus de 80 jeunes exilé·es au sein des paroisses de la métropole lilloise, via une convention signée entre le diocèse de Lille et l'association humanitaire Utopia 56.

Dans le groupe de ces exilé·es, on trouve des garçons (beaucoup) et des filles (un tout petit peu) venu·es d’Afrique ou d’Asie du Sud-Est, issu·es pour grande majorité du campement de fortune de Lille-Sud, et hébergé·es grâce à cet accord conclu au soir de l’automne. « Il y avait 70 jeunes sur le camp fin novembre, ce n’était pas tenable », rappelle Lucille, coordinatrice pour Utopia 56. En effet, au vu des températures glaciales et de l’insalubrité des lieux, la situation devenait critique.

 

« Dieu merci ! »

Sans solutions alors que le temps était compté, les associations intervenant sur le camp sont entrées en contact avec l’Église. « On a rencontré le vicaire général, suite au discours du Pape sur l’accueil. On les a rencontrés, et l’évêque a demandé aux paroisses de la métropole. Une convention a été signée avec le diocèse, et les jeunes du campement de Lille Sud ont pu être mis à l’abri » détaille Lucille. À croire qu’en ce moment, la maison de Dieu est bien plus accueillante que la maison de Marianne...

Durant l’hiver, plus de quatre-vingts jeunes ont été accueillis au sein de quatorze paroisses de la métropole lilloise : libres d’aller et venir le jour, ils rentraient au chaud la nuit, au sein des lieux de culte, pour dormir. « La base de l’accord, c’est un accueil de nuit, mais chaque paroisse fixe les règles, complète Lucille. Parfois, il peut y avoir également du soutien scolaire. » Outre Utopia 56, une autre association a également joué un rôle important : l’association chrétienne et lilloise du « Centre de la Réconciliation ».

 

Zone grise juridique (à pic)

Dans un monde normal, ces jeunes auraient dû être hébergés par les services de l’État. A fortiori lorsque ces mêmes jeunes peuvent prétendre au statut de « mineur non accompagné » - la protection de l’enfance est une compétence appartenant au Département, qu’il s’agisse d’enfants français ou non. Las, la plupart des jeunes sont « en recours » : ils n’ont pas été reconnus comme  mineurs  par le Département, ni comme  majeurs  par la préfecture sur leur première demande. Pour information, environ un quart des demandes trouvent une issue favorable en première instance ; après recours, le chiffre monte à 75-80% selon les associations.

Mais en attendant, étant donné que l’accueil de majeurs relèvent des services de la préfecture, et celui des mineurs du Département, les exilé·es lillois·es se trouvent dans un sas sans issue, un flou juridique les laissant sans protection.  « On a rencontré des élus de la MEL, des élus du Département. On a eu aucune réponse sur nos demandes de mise à l’abri », poursuit la représentante d’Utopia 56. Ils n’ont accès à aucun dispositif de droit commun, il n’y a que les associations qui interviennent.

«Quand on sollicite les institutions [préfecture et Département, NDLR] tout le monde se renvoie la balle » , déplore Lucille. Étant donné la situation de précarité de ces jeunes, on aurait pu imaginer que, dans un élan de lucidité, la préfecture ou le Département mettent de côté la question de la compétence de telle ou telle institution, et se décident à intervenir dans cette situation d’urgence. Encore plus lorsqu'en juin 2023, le comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies (ONU) a épinglé la France pour ses violations répétées des droits des mineurs isolés. Que nenni ! Dans un contexte de durcissement des lois sur l’immigration et de manque de moyens pour la protection de l’enfance, ce flou juridique n’est pas de nature à inciter les pouvoirs publics à s’emparer de ce problème. Dans d'autres villes - comme Paris et Lyon - le problème se pose dans les mêmes termes.

 

La parenthèse se referme, l’histoire recommence

Si la convention avec le diocèse a pu éviter des drames humains, elle ne peut malheureusement se substituer totalement aux pouvoirs publics : on le comprend aisément, associations et ecclésiastiques font ce qu’ils peuvent, avec les moyens du bord. Ainsi, la convention avait pour vocation de mettre à l’abri les jeunes le temps de l’hiver. Elle a pris fin le 15 avril 2024. « Le but, c’est que les pouvoirs publics qui s’en saisissent, et qui proposent de véritables solutions. On arrête le 15 avril, pour pas épuiser tout le monde, et aussi dans l’idée de le refaire l’année prochaine », dit Lucille2.

Pour l’instant, la situation n’a pas l’air d’avoir avancé, et personne ne semble vraiment prêt à prendre ses responsabilités. Conséquence logique et prévisible : un nouveau camp s'est formé et est en train de s'agrandir: cette fois-ci au niveau de la plaine des Vachers, un parc situé dans le quartier des Bois Blancs. Depuis la fin de la convention entre le diocèse et les associations le 15 avril dernier, iels seraient déjà une soixantaine à avoir rejoint les lieux.

Mais comme à Lille Sud auparavant, Utopia 56 ne lâche pas le morceau. « On est tout le temps en contact avec eux. On passe une fois par semaine en maraude. Sinon, on y passe presque tous les jours à Bois Blancs. On est en lien avec eux, on fait quatre permanences par semaine dans nos locaux. Si y a des soucis, il y a un accompagnement médical. » Toutefois, malgré toute la bonne volonté du monde des acteurs de l’humanitaire, la situation ne pourra s’arranger durablement si l’État n'assure pas sa mission de protection. Pour protester contre l'ignorance des pouvoirs publics, une trentaine d'exilé·es ont manifesté devant la préfecture le 15 avril dernier, enveloppés de couvertures de survie. « Nous ne demandons pas de l'argent. (...) Nous demandons juste une vie simple », témoignait un exilé lors de ce rassemblement.

Eisbär

 

1. En marge de sa visite à Marseille à l'occasion des Rencontres méditerranéennes, 22-23 septembre 2023.

2. Envie d'être solidaire et d'héberger un mineur de manière ponctuelle ou permantente ? Envoyez un mail à cette adresse : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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