Depuis son élection en tant que maire de Calais en 2008, Natacha Bouchart n’a eu de cesse de lutter contre l’occupation de bâtiments vacants par les personnes exilées. Avec elle, l’État, les forces de l’ordre, les huissiers ainsi que la justice.
En décembre 2002, la destruction du camp de Sangatte débouche « sur une série d’ouvertures de squats par les personnes exilées elles-mêmes » nous explique François*, bénévole calaisien. Maisons vacantes et usines fermées constituent dès lors des refuges. Ces abris, mêmes sommaires, sont également des lieux de solidarités et de protection partielle vis à vis des forces de l’ordre, qui mènent déjà la chasse, tacle François :
« À ce moment-là, les personnes exilées ne sont pas les bienvenues dans le centre-ville. Elles ne peuvent même pas rentrer dans un bar, boire une bière ou s’acheter des clopes ».
Des squats pour accueillir les personnes exilées
Lors des élections municipales de 2008, le maire communiste de Calais, Jacky Hénin, affronte la candidate de l’UMP, Natacha Bouchart. Cette dernière mène une campagne active contre l’occupation de bâtiments vacants. Dès son élection, tous les coups sont permis: menaces à l’égard des propriétaires de logements vacants, accompagnement juridique, procédures d’expulsion à répétition et appels à dénonciations.
Les personnes sont alors renvoyées à la rue, reformant des camps à ciel ouvert : les Jungles. En juin 2009, pour dénoncer le traitement réservé par les autorités aux personnes exilées, plusieurs centaines de militant.es No Border venu.es de toute l’Europe installent un camp dans le quartier du Beau-Marais à Calais. Dans la foulée, une série de camps sont détruits le long du littoral, et en particulier le plus important d’entre-eux : la Jungle Pashtoune. Alors qu’elle abrite 1 000 personnes, elle est rasée à la demande d’Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale.
À Calais, qui est particulièrement touchée par la désindustrialisation, les friches industrielles et logements vacants ne manquent pas. Le mouvement No Border réquisitionne ces bâtiments et les transforme en lieux d’hébergement et d’accueil pour les personnes exilées. En parallèle, des militant.es lancent la Morning Watch, un téléphone d’urgence pour prévenir de la présence policière aux abords des squats et empêcher les violences policières.
Bouchart, une maire au service de la lutte contre les personnes exilées
En parallèle, Natacha Bouchart ne lésine pas sur les moyens pour évacuer les squats. Lorsque la ville est propriétaire des lieux, une plainte est systématiquement déposée par Philippe Mignonet, adjoint à l’environnement (sic) et dans les faits adjoint d’une délégation immigration officieuse.
Le préposé à la lutte contre les squats est en lien direct avec les services de police et de la préfecture afin d’identifier les lieux occupés, saisir la justice, permettre l’opération d’expulsion avant de mobiliser ses services afin de nettoyer, saisir, murer ou démolir les habitations. Bouchart constitue une équipe de volontaires issus des services municipaux pour accompagner la PAF lors des expulsions. Pour remercier leur « dévouement », iels bénéficient d’heures de récupération supplémentaires.
Lorsque les lieux occupés appartiennent à des propriétaires privés, la commune leur offre son assistance afin de les accompagner dans la procédure d’expulsion et de financer les travaux de murage. Si les propriétaires ne coopèrent pas, la municipalité les contraint à porter plainte. Certain.es sont alors convoqué.es en mairie, en présence du commissaire et du chef de la police municipale, leur mettant la pression et évoque leur prétendue responsabilité en cas d’accident.
Cette politique se couple d’appels à dénonciations. En 2013, Natacha Bouchart demande sur les réseaux sociaux aux Calaisien.nes de signaler à la commune les lieux squattés « lorsque vous voyez des No Borders ou des migrants s’implanter illégalement dans une maison. Ainsi, la police pourra intervenir, en utilisant une procédure spécifique uniquement valable dans un délai de 48 heures afin d’évacuer les lieux »1.
Entre septembre 2009 et janvier 2015, une cinquantaine de squats ouvrent avant d’être fermés quelques jours ou semaines après. Malgré la pression régulière des forces de l’ordre2 et l’activisme de la maire de Calais, certains squats tiennent plusieurs mois, à l’instar des squats Victor Hugo et du Fort Galloo.
Victor Hugo et le Fort Galoo, des squats contre la répression
En juin 2013, le squat Victor Hugo ouvre. Il est au départ pensé comme un lieu d’accueil de jour et d’hébergement. Rapidement, la vocation du lieu évolue et il devient la Maison des Femmes, strictement destinée aux femmes et aux enfants. Le lieu repose sur l’autogestion, incluant ses habitant.es et les militant.es No Border. Cet espace est construit comme un lieu de protection pour ses habitant.es.
Suite à une plainte déposée par la propriétaire du logement, le Tribunal accorde l’expulsion de la maison occupée. Devant cette décision de justice, les habitant.es se mobilisent et médiatisent leur situation via des communiqués et l’invitation faite à des journalistes à venir à leur rencontre. Le lieu devient un symbole de la lutte anti-squats menée par Natacha Bouchart. Sous pression, l’État revient sur son choix d’autoriser l’expulsion des habitantes.
À l’été 2014, le squat déménage et devient un lieu d’hébergement financé par l’État, lequel a accepté les cinq revendications des habitant.es : que le lieu soit situé à Calais, que les femmes ne soient pas séparées, que leur liberté d’aller et venir soit garantie, qu’il n’y ait pas de fichage et qu’il soit ouvert sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Durant le même été 2014, trois squats sont détruits par l’État, qui interpelle au passage près de 700 personnes exilées. Pour protester contre la violence d’État, des mobilisations sont organisées par le mouvement No Border, les associations de soutien et les personnes exilées, qui profitent d’une manifestation pour ouvrir un nouveau squat : le Fort Galloo.
Le lieu est situé sur un ancien site industriel de l’entreprise Vandamme de plus de 17 000m². Il accueille chaque nuit plus de 250 personnes. Le « Galoo » est construit comme un « espace protégé où l’accès à un minimum de dignité et de sécurité ne serait pas l’objet d’un combat acharné et un lieu d’expérimentation de vie en commun »3.
Calais, une zone d’exception permanente
Début 2015, à l’initiative de l’État, un véritable bidonville est institué : la Jungle de Calais. En parallèle, les pouvoirs publics expulsent de manière systématique les bâtiments occupés par les personnes exilées, à l’instar du Fort Galloo. La maison des femmes, quant à elle, est transférée sur le lieu du bidonville, remettant en cause les conditions fixées et acceptées par l’État.
En octobre 2016, la destruction du bidonville de Calais – où on recensait jusqu’à 10 000 personnes exilées – est concomitante de l’émergence de la politique de lutte contre les points de fixation et d’une lutte renforcée contre l’occupation de bâtiments vacants. Pour François, « les personnes exilées sont revenues au Calais de 2008-2009 ».
Pour soutenir les personnes exilées, plusieurs tentatives d’ouvertures de squats ont eu lieu depuis 2016, les occupant.es se font expulser après quelques jours, comme nous le raconte François :
« En 2018, on a ouvert un squat près de l’Intermarché de Calais… Il a été pété direct. En novembre 2021, on a ouvert un squat à Coulogne, près de Calais. Il n’a tenu que quelques jours, car le bâtiment était concerné par un arrêté de péril ».
En février dernier, le squat du Fort Nieulay a tenu moins d’une semaine, avant que Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, n’envoie le Raid pour déloger les habitant.es du lieu.
Cette impossibilité d’occuper des bâtiments vacants sur un temps long s’inscrit dans un contexte particulièrement hostile aux personnes exilées et aux squatteur.ses. Fin 2014, Natacha Bouchart, maire de Calais et par ailleurs sénatrice, a fait voter sa propre loi pour faciliter les expulsions de bâtiments occupés. En 2018, la loi ELAN ajoute une couche, puisqu’elle permet aux juges d’octroyer une expulsion sans délai accordé aux habitant.es. En décembre 2020, le député En Marche Guillaume Kasbarian enfonce le clou. Il fait voter une loi : tous les bâtiments occupés sont traités de la même manière, qu’il s’agisse d’une résidence principale ou secondaire.
Mais parce que la loi est sans doute encore trop contraignante… elle se couple d’une complicité de la justice, qui couvre les pratiques des huissiers et des forces de l’ordre, comme nous l’explique François :
« Même lorsque les squats sont ouverts en respectant les procédures, rien n’arrête la répression du côté des flics et des juges, comme s’il existait un droit d’exception propre à Calais. »
François nous explique une première technique régulièrement utilisée pour permettre les expulsions de bâtiments occupés :
« Les huissiers ignorent les preuves de domiciliation… En ouvrant un squat à Calais, j’ai mis mon nom sur la boîte aux lettres. Une huissière s’est déplacée pour prendre les preuves mais elle a refusé de faire correctement son boulot. Après, elle me convoque et me dit en off : “Je sais que ce que j’ai fait est illégal, mais j’ai pas le choix…“. Si les huissiers de Calais acceptent d’établir des constats en faveur des squatteurs, ils sont complètement grillés et les proprios ne veulent plus travailler avec eux ! »
François nous explique qu’une seconde technique est mobilisée, cette fois par les forces de l’ordre :
« Les flics interviennent malgré le fait que les 48 heures d’occupation soient dépassées. Pour ça, il suffit qu'ils demandent un faux témoignage à un voisin, qui affirme “avoir vu des gens rentrer dans le bâtiment depuis moins de 48 heures“, et là ils interviennent, vident le bâtiment, le murent et interpellent la personne qui a mis son nom sur la boite aux lettres ».
Cette lutte active contre les squats avait et a toujours pour ambition d’empêcher la présence de personnes exilées à Calais. Elle n’a néanmoins pour effet que de les précariser davantage, puisqu'elles survivent dans des tentes sur des espaces de vie desquels elles sont expulsées toutes les 48 heures. À Calais, Bouchart co-produit avec l’État la lutte contre les personnes exilées. Pas étonnant qu’elle soutienne dorénavant Emmanuel Macron, sensible à sa cause.
Pierre Bonnevalle et Camo
Dessin par Loic Six
Cet article est extrait du Numéro 66 du Journal La Brique, publié le 11 avril 2022
* Le prénom a été changé.
1. Natacha Bouchart, Facebook, 24 octobre 2013.
2. NoBorder Calais, Calais : Forteresse Heure Hope ?, 28 juillet 2014.
3. Le Club de Mediapart, La “Loi Bouchart“ est passée !, 11 décembre 2014.