À l’heure des mobilisations contre la loi Vidal et la sélection à l'entrée de l'université, les étudiant.es exilé.es connaissent déjà des logiques de tri et se heurtent à de nombreux obstacles. Au lieu d’apporter son soutien à ses étudiant.es, quel que soit leur statut, l’Université de Lille, épaulée par la préfecture, renforce les inégalités entre les étranger.ères qu'elle accueille en se focalisant sur un programme d’exception.
Parmi toutes les personnes qui demandent l’asile en France, beaucoup d'entre elles souhaitent poursuivre leurs études à la faculté. Le règlement de l’université ne conditionne pas a priori l’inscription en fac à l’obtention du statut de réfugié.e. Une personne en demande d’asile est censée pouvoir choisir une formation universitaire à partir du moment où elle est titulaire du bac. En pratique, chaque université fait sa propre tambouille et propose une politique spécifique d’accueil des étudiant.es étranger.es – ou pas.
Abdulaziz, exilé résidant à Lille, témoigne : « J’ai montré mon diplôme du bac et mon extrait de naissance, mais ils refusent de m’inscrire ! » Et quand la fac accepte finalement l’inscription, les solutions relèvent de l’absurdité. L’étudiant.e peut se voir proposer une reprise d'étude dans une discipline différente que celle étudiée à l’origine ou à un niveau différent. « Moi on me dit fais de l’arabe ! » , raconte Ismaël, « mais je parle déjà arabe ! Je veux apprendre le français ou pourquoi pas l’anglais. » Certain.es se retrouvent même orienté.es dans des filières placards avec un faible nombre d’étudiant.es. Ila nous explique : « Moi au pays j'ai une licence d'ingénieur et on me dit de reprendre mes études en première année de licence de sociologie ». Les demandeurs.ses d’asile qui souhaitent s’inscrire à l’université sont ainsi largement contraint.es par une orientation forcée.
Un bus nommé Pilot
En octobre 2016, en plein démantèlement à Calais, l’Université de Lille ouvre le programme Pilot (Programme d’intégration linguistique et d’orientation pour une année universitaire transitoire, à destination des étudiants en exil, anciennement Programme d’insertion par le logement, l’orientation et le travail). Il voit le jour à l’initiative d’enseignant.es-chercheurs.ses lillois.es qui, depuis le printemps 2016, sillonnent la Jungle de Calais afin de recenser des candidat.es à la reprise d’études. Un protocole est signé entre l’Université de Lille, le Crous et la préfecture pour l’accueil de quarante personnes. Marquettant le programme comme une opération « humanitaire », la préfecture décide en dernière minute de doubler le nombre de places. 80 heureux.ses élu.es ne sont pas de trop pour tenter de faire avaler la couleuvre du démontage calaisien.
Leur départ pour Lille est rocambolesque. Afin de ne pas créer de tension sur le camp, ces dernièr.es sont exfiltré.es un.e par un.e, une semaine avant le démantèlement, et en pleine nuit. Un bus les attend à l’abri des regards. Pendant un an, ces étudiant.es suivent des cours de français et sont logé.es dans une résidence universitaire. On leur promet l’année suivante la possibilité de s’inscrire dans la filière de leur choix. Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, s’offre une rencontre très médiatisée avec la première salve d’étudiant.es à qui il « a tenu à souhaiter la bienvenue » (1). Devant les caméras, il constate « l'enthousiasme envers cette politique d'intégration des jeunes au sein du système universitaire français » (2). Les médias s’en donnent à cœur joie dans la présentation de ces étudiant.es, larmoyant sur les malheurs vécus et valorisant leurs qualifications bientôt utiles à la France.
La préf’ aux manettes
Les procédures du recrutement au Pilot sont contrôlées par la préf'. Pour la première promotion, il fallait avoir son bac ou un équivalent, réussir un entretien de motivation avec les enseignant.es, « mais surtout vouloir s’installer sur le territoire français et donc renoncer à l’Angleterre » (3). Peu importe où en est la demande d’asile, le statut administratif ne semble pas entrer en compte dans la sélection. Et la préfecture, alors sous les feux des projecteurs, fait passer en procédure normale les cinquante étudiant.es sous le coup du règlement Dublin (voir encart page 15) de la première promotion ce qui leur permet de déposer une demande d’asile en France. Pour la sélection des deuxième et troisième promotions, les masques tombent. Des « critères prioritaires » sont dorénavant fixés par la préfecture. Ce n’est plus l’université qui juge le niveau académique des futur.es étudiant.es, mais bien la préfecture qui choisit les situations administratives qui lui conviennent. Et elle est de plus en plus exigeante sur le profil des personnes recrutées. Pour la rentrée 2018, la préf’, qui souhaite renouveler son opération de comm’, impose un quota d’étudiantes qui jusqu’alors étaient les grandes absentes du programme. Quant aux candidat.es dubliné.es venu.es déposer leur dossier à l’université, l’administration les décourage par un « ça vaut pas l’coup ». Trois ans après Calais et le souvenir douloureux de ce « dédublinage » contraint par sa propre politique, la préf’ ne fait plus de concession. C’est aujourd’hui elle qui fait la sélection des exilé.es de l’université.
Adoma, partenaire particulier
Quand le programme promet de régler la question du logement et de proposer un accompagnement administratif, la réalité est toute autre. Depuis l’ouverture du Pilot, les étudiant.es sont exclusivement logé.es dans la résidence universitaire Galois du campus de Lille 1, transformée pour l’occasion en Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO) (4). Certain.es y voient une chance de ne pas se retrouver esseulé.es sur le campus, quand d’autres le perçoivent comme une relégation à la marge du monde étudiant « normal ». Un sentiment d’exclusion parfois accentué par l’insalubrité des bâtiments, entre murs moisis, cafards et punaises. Promise à la destruction, cette résidence ne devait plus accueillir d’étudiant.es.
Dans le cadre du programme, c’est à la préfecture d’assurer le suivi administratif des personnes. Elle choisit de sous-traiter à l’entreprise Adoma (5) qui, loin d’accompagner les étudiant.es, les met en difficulté dans leurs démarches. Les étudiant.es ne parlant pas encore français se heurtent à un personnel uniquement francophone. Pour Ila, qui devait apporter un document traduit en français à la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) (6), l’assistante sociale n’a jamais fourni le document. « Le jour même, je me suis retrouvé devant les juges qui n’ont pas voulu traiter mon dossier. » Les moyens déployés sont clairement insuffisants et multiplient les entraves à l’obtention de papiers. C’est ce qui a poussé les étudiant.es du Pilot, des enseignant.es et étudiant.es solidaires, à se retrouver une fois par semaine afin de s’échanger les informations relatives aux diverses démarches administratives. Le collectif des Étudiants de Galois et leurs amis s’occupe de réaliser des inscriptions à la CAF, de traduire des documents. Le bénévolat vient en renfort, et se substitue au travail d’Adoma.
Préf’, université, même combat ?
Ce programme mal ficelé donne à voir un montage à la va-vite par la pref’ et l’université, qui ne peuvent faire oublier un réel manque de volonté dans l’accueil des exilé.es. Les autorités ont fait preuve d’opportunisme politique en mettant en scène l’accueil bienveillant de quelques un.es. Pourtant, le programme pose une série de contraintes hors normes dans le cursus de ces étudiant.es. Par exemple, il ne prévoit pas la possibilité de redoubler, quand il peut être difficile de maîtriser une langue avec seulement quinze heures de cours par semaine.
Depuis 2012, l’université propose déjà une formation intensive d’apprentissage du français, l’« International Academy ». Elle tape directement au portefeuille procédant à un nouveau tri des étudiant.es étranger.ères. Qui peut en effet se payer les 2 400 euros pour 240 heures que coûte l’inscription permettant l'apprentissage du français ? Les exilé.es sont cantonné.es dans un programme humanitaire sans que les conditions de la réussite de ces étudiant.es soient posées.
Autre inégalité : les étudiant.es ayant eu un refus de leur demande d’asile au cours de l’année universitaire compromet leur poursuite d’études. Sans titre de séjour, les personnes deviennent des « illégales ». Dans le cadre du Pilot, des réunions bi-mensuelles de pilotage entre l’université et la préf’ sont mises en place afin que chaque étudiant.e du programme puisse avoir un statut administratif. Pourtant, sans compte-rendus officiels, ni retours aux premier.es concerné.es, difficile de se faire une idée sur ce qu’il s’y trame. Prise à son propre jeu de médiatisation, la préfecture tente de préserver son image et souhaite éviter l’expulsion d’étudiant.es inscrit.es dans le programme. Elle ne propose qu’une solution partielle en délivrant des titres de séjour temporaires : les étudiant.es, une fois leurs études terminées, se retrouvent à nouveau dans l’incertitude quant à leur possibilité de vivre et travailler en France.
Crève Dublin, crève !
Ces situations administratives précaires communes à de nombreux.ses étudiant.es en demande d’asile ne faisant pas partie du programme élargissent les réunions et l’action du collectif. En particulier, depuis février, les Étudiants de Galois et leurs amis s’empare de la question du dublinage qui pourrit la vie des étudiant.es quotidiennement. Il est fréquent d’avoir des convocations à la préfecture qui se superposent à l’emploi du temps universitaire, comme le raconte Abdoulaye. « En plein cours, j’ai reçu un appel de la préfecture m’indiquant de venir chercher mon arrêté de transfert (7) dans l’heure ! » Sous le coup de l’infâme règlement Dublin, ces étudiant.es sont dans l’attente d’une expulsion vers un pays européen où ils et elles ne souhaitent pas vivre. Sortir de la procédure Dublin est une sinécure qui ne se réalise qu’exceptionnellement. Ibrahim est désormais en procédure normale, « je pense que cette décision est due aux lettres que mes professeur.es et mes ami.es de promotion ont écrites pour me soutenir ». Cette décision politique n’est due qu’au pouvoir discrétionnaire du préfet qui, « gracieusement » , accepte que la France prenne en charge leur demande d’asile. Ces avancées se réalisent au cas par cas, et le préfet s’obstine à appliquer la politique perfide du ministère de l’intérieur, qui poursuit l’objectif d’accueillir un minimum d’étranger.ères.
Le corps bouge mais pas la tête
Face à cette situation, les étudiant.es entrent en lutte contre la position inflexible de la préfecture dans l’application du règlement. La mobilisation débute via une lettre ouverte et une pétition à destination du préfet et du président de l’Université de Lille Jean-Christophe Camart, qui vise à dénoncer leurs conditions d’accueil. Afin de faire signer la pétition, les membres du collectif, dont Ali, sillonnent l’université pour échanger avec les autres étudiant.es qui ne connaissent pas la procédure Dublin. Il revient entre autres sur son assignation à résidence, « chaque semaine, je dois me rendre au commissariat pour signer. Si je rate un seul rendez-vous, je serais déclaré en fuite ! Et alors, je perdrais mon allocation et la France aurait un an de plus pour m’expulser vers l’Espagne » (8). Ce travail d’information amène les professeur.es à prendre conscience des réalités de leurs étudiant.es et de l’importance de se positionner. Au cours du mois de mai, les conseils de faculté des sciences économiques et sociales et celui des sciences et techniques ont voté à l’unanimité une motion qui affirme publiquement leur soutien inconditionnel aux étudiant.es dubliné.es. Ils y appellent le préfet à « rendre possible le dépôt de leur demande d’asile dans notre pays, dans le cadre d’une procédure normale ». Dans le même temps, lors d'une journée d'étude à l’université intitulée « Langues et migrations, l'accueil des migrants dans la région Hauts-de-France », la vice-présidente Emmanuelle Jourdan affirme que « l’université en tant qu’institution ne peut pas se positionner de manière ouvertement militante ». Les universitaires ont beau se mobiliser pour que la présidence défende ses étudiant.es, cette dernière souhaite conserver ses relations amicales avec la préfecture.
Lutte en cours !
L’expérience récente montre que les interpellations du monde universitaire ne fonctionnent pas dans tous les cas. Fabrice, étudiant « dubliné » à qui la préfecture a transmis son billet d’avion pour l’Italie, s’entend dire par son avocate : « il n’y a que l’université qui peut vous sauver ». En plus des lettres de soutien, les motions récemment votées ont été jointes au dossier. Mais son statut d’étudiant n’a pas suffi alors que la vice-présidente avait elle aussi plaidé en sa faveur en appelant directement le préfet. Dans ce cas, quel est le poids de l’université face à une préfecture intransigeante ? Le collectif des Étudiants de Galois et leurs amis prend conscience des limites de la mobilisation au cas par cas des étudiant.es. Une lutte pour « dédubliner » massivement est nécessaire, peu importe que les personnes soient inscrites à l’université ou dans le programme Pilot.
Depuis des mois, la préfecture du Nord expulse en toute impunité de nombreux.ses exilé.es non étudiant.es à qui le règlement Dublin interdit de demander une protection à la France. Début mai, six personnes se sont encore fait arrêter en préfecture pour être ensuite emmenées en Centre de Rétention Administratif (CRA). En dépit des textes de loi, cette politique de non-accueil est allée jusqu’à les contraindre physiquement à monter dans l’avion. Les dernières nouvelles envoyées à leur.s ami.es resté.es à Lille se veulent rassurantes, « ne vous inquiétez pas, nous serons bientôt de retour ».
Bobo, Kerbrat et Sow.Boy
Dessins par Lysergia
1. « Sur le campus de Lille 1, les étudiants migrants accueillis par le ministre de l’Intérieur », La Voix du Nord, 20 octobre 2016
2. Présentation du programme Pilot sur le site internet de l’académie de Lille.
3. Claire Lagrange, « De la «jungle» de Calais à l’université », Planète Campus, novembre 2017
4. Les CAO sont crées en 2015 suite au démantèlement de Calais. Ces centres d’accueil sont gérés par des associations mandatées par le ministère de l’intérieur. Ils ne sont rien de moins que des centres de tri permettant un contrôle des demandeurs.ses d’asile et, suivant leur situation, facilite les expulsions vers un pays tiers.
5. Adoma, anciennement SONACOTRA (SOciété NAtionale de COnstruction pour les TRavailleurs ALgériens), est une société d’économie mixte créee en 1956 par le ministère de l’intérieur pour contrôler les algérien.nes en France. Ce changement de nom tente de faire oublier des pratiques honteuses... mais sans succès.
6. La CNDA est l’unique l’organe de recours en cas de refus par l’OFPRA de la demande d’asile.
7. Pour les « dubliné.es », l'expulsion du territoire vers le pays responsable de la demande d’asile, joliment appelée « réadmission », est notifiée par un arrêté de transfert.
8. Une fois déclarées en fuite, les personnes n’ont plus droit à l’Allocation de Demande d’Asile (ADA) et la France qui avait six mois pour pouvoir les expulser en a maintenant 18.