Mi-janvier l’annonce résonne comme un coup de tonnerre : le cinéma tranquillou rue Gosselet, avec ses canapés et la Duvel à la pression, risque la fermeture. Sur son site internet, appel à dons et pétition pour le sauver. Suite à des « plaintes de voisinage », le lieu a été contrôlé à la fois pour son insonorisation et pour les normes de sécurité défaillantes.
L’association l’Hybride a été créée en 2007. Avec une programmation qui ne se limite pas à des projections et ouverte aux partenariats, elle fait rapidement sa place dans la métropole : de nombreux bénévoles assidu-es, un public régulier et assez hétérogène (plus de 10 000 adhérent-es sont passés par l’Hybride). C’est une autre façon de vivre le cinéma avec des canapés en guise de sièges, des murs en briques pour décor... Nous sommes loin du tout consommateur aseptisé à l’œuvre dans les grandes salles. À l’accessibilité financière facile (quatre euros pour un mois), l’Hybride est aussi un lieu d’exposition et d’échanges, de rencontres et de convivialité. Les projections sont fertiles en (re)découvertes de toutes sortes (court métrage, animation, documentaire, ciné-concert…) et les invités s’y succèdent (René Vautier, Adam Elliot, Enki Bilal…) Sans oublier la programmation « jeune public » qui se déroule le dimanche, en partenariat avec le cinéma l’Univers et propose aux enfants des ateliers d’éducation à l’image.
Une hostilité dans les parages ?
La police est venue l’été dernier, et plus récemment lors du Festival International du court métrage de Lille). Lors de la première soirée du festival, des bénévoles sont interrogé-es, la salle contrôlée et plusieurs avertissements tombent pour le bruit. Ces contrôles sont intempestifs et intrusifs dans la gestion du lieu. On reproche à l’Hybride des « nuisances sonores » pourtant relativisées par la plupart des voisins.
photo de Ezéchiel Recorbet
Le procédé n’est pas nouveau : bars et autres lieux culturels un peu trop remuants subissent régulièrement les foudres de voisins susceptibles. C’est le cas du cinéma l’Univers auquel la Mairie a imposé la signature d’une charte de bon voisinage à cause des discussions tardives des clopeurs sur le pas de la porte. D’autres bars, accueillant régulièrement des groupes de musique comme le Modjo, rue du Marché, ou encore le Resto Soleil, rue Henri Kolb, sont eux aussi coutumiers des descentes de police. Au nom de leur tranquillité ou de leurs antipathies personnelles, des personnes peuvent mettre à profit des lois d’État de plus en plus draconiennes sur le son et la vie nocturne, voire des réseaux personnels, pour satisfaire leurs exigences. À ce train-là, c’est toute une vie sociale qui est remise en cause. Excepté quelques endroits intouchables, comme la gare Saint-Sauveur, les petits cafés ou les lieux associatifs se révèlent généralement incapables de satisfaire aux remises aux normes exigées, faute de moyens financiers. Le positionnement des collectivités locales n’est pas clair en termes de soutien, bien qu’elles se félicitent et profitent sans se poser de question de bien des apports des endroits menacés.
Des sous !
A l’Hybride, le montant des travaux d’insonorisation et de sécurité s’élève à 100 000 euros. Sommés d’effectuer les travaux au plus vite, les membres de l’association négocient actuellement un report des travaux à l’été prochain pour ne pas interrompre la saison en cours et plomber un peu plus le budget de l’association. En plus des dons du public [1], le lieu sollicite aussi la Mairie et le Conseil régional, déjà parties prenantes de son budget. Il n’est pas question ici de nier le réel apport financier et accompagnement avérés de ces partenaires, sans lesquels l’Hybride n’existerait plus, mais soulignons la disproportion des subventions accordées aux grandes structures. Depuis Lille 2004, la politique culturelle publique privilégie des gros acteurs et des actions d’éclat (de type « Europe XXL », « Fantastik »…) au détriment des associations qui créent pourtant du lien social toute l’année. La dimension spectacle populaire, la politique de l’événementiel, en mettent plein la vue (et les poches) comme avec la vitrine Lille 3000, fortement médiatisée, qui fait tant « la fierté » de la ville...Mais plus question de préserver la dynamique des acteurs associatifs locaux, aujourd’hui fragilisés, ou encore de permettre l’émergence de nouvelles structures. De plus en plus, les choix politiques et budgétaires de la ville comme de la région mettent des associations hors-jeu. Pourtant le travail dans chaque quartier, avec les publics locaux, génère une diversité associative évidente et nécessaire pour une ville qui se veut officiellement un lieu de « culture populaire ».
Ce problème dépasse évidemment le simple coût des travaux à l’Hybride. Lors de la réunion publique organisée le 25 janvier dernier pour la sauvegarde du lieu, un acteur du milieu associatif lillois déclare : « il y a un problème urgent aujourd’hui pour l’Hybride et je comprends – c’est trouver un moyen financier de faire les travaux pour ne pas fermer. Mais il y a un problème de fond, et il faut que les structures associatives indépendantes qui sont fragilisées se serrent les coudes et que chacune arrête de tenter de survivre en solo. »
Les partenaires sur le point de refuser un soutien plus fort ?
Dialogues en cours avec les partenaires, quant aux solutions à trouver dans l’urgence…Y compris pour les contrats aidés de l’association qui, dans ce contexte, ne seront sans doute pas renouvelés. Après tout, 0,5 % du budget de la culture de la Mairie ne permettrait-il pas de maintenir les salariés sur des contrats à long terme ?
Pour le moment leur soutien est loin d’être acquis avec les raisonnements de bureaucrate qui se font jour. En effet pour un élu du Conseil régional venu à la réunion publique du 25 janvier tenue à l’Hybride, comme pour Martine Aubry [2], il n’est pas question d’investir à priori de l’argent public supplémentaire pour un lieu loué à un bailleur privé. Il serait bon de questionner alors les attributions publiques accordées aux géants associatifs, sans que l’usage de cet argent y soit remis en cause, qui plus est dans des proportions bien plus considérables : les sommes municipales investies pour Lille 3000 [3] ; les lourds investissements du Conseil régional au Louvre Lens (loin de faire l’unanimité auprès de la population locale [4], ou encore dans l’Orchestre National de Lille, réservé à la bourgeoisie pomponnée. Ne parlons même pas des sommes astronomiques allouées dans le domaine sportif (Grand stade, Jeux Olympiques 2012 de Londres…). Finalement, on se demande si le sauvetage de l’Hybride ne se fera pas exclusivement grâce aux dons de son public, particulièrement réactif et consterné face à la sérieuse menace qui plane. Plusieurs milliers d’euros à ce jour. Public, bénévoles, salariés, partenaires de programmation ponctuels ou plus réguliers sont en tout cas d’accord : l’Hybride ne doit pas fermer !
[2] « On ne peut pas mettre l’argent des Lillois dans ce qui ne nous appartient pas », Voix du Nord du 7 février. Le tri postal a néanmoins bénéficié de 240 000 euros d’aide à travaux, bien que la mairie ne soit pas propriétaire du lieu.
[3] La mairie accorde un tiers du budget des subventions culturelles à Lille 3000
[4] Cf La Brique numéro 28, « Enquête sur le Louvre Lens » et ses conséquences pour l’habitat minier et la population locale.)