Lors de la création de Villeneuve d’Ascq, les pouvoirs publics ont confié aux entrepreneurs la mission de rendre fertiles les terres nouvelles. Ainsi, les exploitant-es ont été remplacés par des exploiteurs. Les Mulliez, plus que n’importe qui, ont su en profiter pour s’implanter massivement... avec la complicité des socialistes du terroir.
En 1969, l’État décide d’un plan de création de villes nouvelles. Dans le Nord, le dévolu est jeté sur les vastes zones agricoles à l’est de Lille. L’ouverture en 1965 de la Cité scientifique et les projets immobiliers du quartier résidentiel de Brigode pèsent fortement sur la décision. Malgré les réactions et la proposition d’un contre-projet, une centaine d’habitant- es est expropriée et les grands travaux commencent. La ville de Villeneuve d’Ascq naît de la fusion de trois communes : Flers, Annapes et Ascq. De nouveaux habitant-es arrivent, les quartiers neufs se peuplent. La ville-chantier prend forme. Universités, théâtres et stadium s’inaugurent en cascade. L’installation d’un équipement commercial complet est à l’étude.
Le centre de l’hyper-centre
La programmation est confiée à un cabinet spécialisé, maître d’œuvre de nombreux centres commerciaux nord-américains. La recherche est centrée sur un « moteur » pour la galerie. L’offre vise les grands magasins, type Printemps, Lafayette et exclut les hypermarchés. Bien que ne correspondant pas aux critères visés, le projet de Gérard Mulliez et d’Auchan est présenté. Les conditions d’installation sont drastiques, et visent notamment à ne pas concurrencer le bon commerce de Lille-Roubaix-Tourcoing. Mais Gérard Mulliez les négocie et remporte le concours. Quel talent !
En novembre 1977, la jeune commune socialiste de Villeneuve d’Ascq baptise le centre commercial régional « Villeneuve 2 » (V2). Ce « bloc de béton, posé au milieu de champs de betteraves » [1] devient alors le plus grand centre commercial au nord de Paris. Les Mulliez en occupent le coeur. L’idée d’en conquérir les terrains alentours en friche est déjà en germe !
Libre service
Le virage dans la grande distribution s’avère bénéfique. Les enseignes se multiplient et cherchent sans cesse de nouveaux points de vente. La région Nord-Pas De Calais se régale des investissements réalisés... Dès 1972, Leroy Merlin « l’enchanteur », propose de s’installer dans la zone commerciale. Boulanger le suit de près... Décathlon, Norauto et la SNEM [2] répondent également aux appels d’offre de l’ÉPALE [3]. Les terrains sont cédés, moyennant droits d’entrée, et loyers annuels pour des sommes plus que coquettes [4]. Mais le clan en a les moyens !
Aujourd’hui, la zone commerciale concentre plus d’une quinzaine d’enseignes liées à l’Association Familiale Mulliez. Lorsque nous questionnons J-M. Stievenard, ancien maire PS de Villeneuve d’Ascq, sur l’accueil fait aux Mulliez, il répond : « Oui, la politique est favorable. Oui, elle déplie le tapis rouge. Oui, les dirigeants ont des relations amicales avec les dirigeants du groupe ». Puis il s’explique : « Mais vous savez, Villeneuve d’Ascq a été financée et construite à grands coups d’investissements dont une grande partie par le groupe Mulliez » [5].
Dans Le secret des Mulliez, Bertrand Gobin affirme que « les pressions sont multiples pour amener à se prononcer en faveur des projets qui leur sont soumis. En particulier dans la région Nord où les Mulliez peuvent faire jouer à plein leur toute puissance économique. » En effet, comme partout dans la région, les Mulliez n’ont eu aucun mal à obtenir des autorisations d’implantation des politiques de tout bord. Désormais, nos chers représentant-es savent que « si un jour les Mulliez venaient à s’enrhumer, c’est toute la région qui tousserait. » [6] J. M. Stievenard s’en amuse : « Par moment, pour rire, nous nous disons que nous aurions pu l’appeler Auchan-sur-Marque ». Ça ne fait rire qu’eux.
[1] Centre Commercial Villeneuve 2 / Dossier de presse rénovation, 09 Sept. 2004.
[2] Société Nationale d’Entrepôts et de Marchés, dirigée par Patrick Mulliez.
[3] L’Établissement Public d’Aménagement de Lille Est, créé en 1969, orchestre la vente des terrains mis à disposition par l’État. Le conseil municipal lui a confié la maîtrise d’aménagements dans la ville nouvelle.
[4] Pour Norauto et Décathlon, les droits d’entrée s’élèvent à près d’1 million de francs chacun. Tirés des archives municipales de Villeneuve d’Ascq.
[5] Le 26 janvier dernier, l’IEP de Lille invite Benoit Boussemart pour discuter sur le thème « Existe t-il vraiment un empire Mulliez ? ». M. Stievenard anime la discussion.
[6] Propos d’un patron nordiste. Tiré de Bertrand Gobin, Le secret des Mulliez, Éd. La Borne Seize.