Le Planning est un outil de résistance au vieil ordre moral. Depuis 2009, les difficultés de financement s'accumulent. En cause, le désengagement de l’État qui nie la dimension idéologique des politiques mises en place en prétextant du contexte de crise. Les fermetures de centres du Planning Familial se multiplient depuis.
Le Mouvement français pour le planning familial est une fédération d'associations féministes et d'éducation populaire. Fondé en 1956, il défend le droit à la contraception, à l'avortement et à l'éducation à la sexualité. Il lutte contre les discriminations, les inégalités sociales et les violences liées au genre.
Début 1995, période de crise économique, les cinq centres de planification et d'information du Planning familial du Nord font faillite. Le Conseil Général, passé à droite, met en cause la gestion de l'association. Alors que c'est la suspension de leurs subventions qui a conduit au dépôt de bilan.
Les militant-es du Planning ont réagi et ont rouvert le plus tôt possible en fondant une nouvelle association : Le Nouveau planning familial. Mais cette fermeture, même brève, a perturbé le fonctionnement de l'association qui a mis des années à retrouver son rythme et sa capacité d'accueil.
C'est quoi le Planning ?
Pour comprendre l’enjeu, il faut savoir ce qu'est un centre du Planning familial. En gros, celui de Lille est un centre de planification1 : il écoute et conseille, il s'occupe de contraceptions - au pluriel, pas que la pilule - de la procédure préalable à l'avortement, de prévention des infections et maladies sexuellement transmissibles. Il anime des séances d’éducation et de conseils à la vie affective et sexuelle à destination de jeunes et de moins jeunes, pour sensibiliser à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il mène des actions de prévention des violences faites aux femmes et du sexisme. Il est également un centre de formation de conseillères-res conjugales-aux et familiales-aux. Le Planning cherche aussi à favoriser la visibilité et l’accès aux soins des lesbiennes, bisexuelles et transgenres. D'où sa présence dans de nombreux collectifs féministes, comme le J'en suis, j'y reste (centre LGBTQIF2 de Lille et de sa région). Il est aussi en lien avec de petites associations de femmes, dans les quartiers. Lucie, directrice du Planning de Lille en est fière : « Le Planning, c'est aussi ça, porter la voix de petites assos qui sont nos partenaires au quotidien ».
Des centres de planification, il en existe d'autres. Par exemple l'association Couples et familles qui s'affiche d'emblée, sur son site web, comme « apolitique et non confessionnelle ». Les catholiques, eux, n'ont pas de centre de planification, seulement un lieu de conseil conjugal et familial : Le CLER amour et famille. C'est marrant comme ces deux-là revendiquent de la même manière leur attachement à une approche "humaniste et responsable" du conseil conjugal et familial. L'humanisme ici prend un sens différent. Il s'oppose à l'approche du Planning sur les mêmes sujets. « Notre approche c'est le genre ! » Aline, responsable du centre de planification du Planning de Lille le dit clairement : « Quand on lutte contre le sexisme et les violences de genre il faut toujours y penser en terme de construction sociale et donc déconstruire les stéréotypes et remettre en question la vision essentialiste du sexe. Et ça va avec la liberté des sexualités aussi. Nous, quand on reçoit quelqu'un, on ne juge pas, on l'accompagne dans ses décisions. »
Un financement au coup par coup
Des médecins, des conseillères-ers, des formatrices-eurs sont nécessaires pour mener ces actions. Et il faut pouvoir les payer. L’enjeu est bien la capacité à affirmer sa présence sur le terrain et dans les luttes. Or, la question de la précarité du financement est récurrente et commune à toutes les associations. Chaque année, le risque de ne pas recevoir une partie des subventions allouées est réel.
« Pour embaucher, il faudrait que nous ayons la certitude de la pérennité des financements, pour ne pas mettre un terme au contrat précipitamment. Précariser l’emploi des femmes est contraire aux valeurs portées par le Planning familial. »
Lucie considère néanmoins que l'association est « l'une des moins mal loties ». Il existe une convention sur trois ans qui assure un financement par le Conseil général du Nord. Elle permet la gratuité, pour les moins de vingt ans ou sans couverture sociale, des consultations médicales, des examens et prescriptions. Elle prend aussi en charge les salaires des conseillères-ers. Mais elle reste insuffisante : le volume de travail lié aux demandes d'évaluation n'est jamais pris en compte, alors que l'activité augmente considérablement. Certaines exigences de ce financeur dépassent le cadre de la loi. Dorénavant, les instruments gynécologiques utilisés ne peuvent plus être stérilisés. Il faut du matériel jetable, à usage unique. Ces conditions, au-delà du coût supplémentaire qu'elles demandent, sont ressenties comme une certaine défiance vis-à-vis du professionnalisme du Planning. Lucie s'en amuse : « Il n'y a pas si longtemps, on nous disait que de toute façon comme on est des militantes, on n'est pas professionnelles et comme on a des bénévoles, on n'a pas besoin de financements ».
Mais ce qui inquiète le plus Martine, la présidente, et Lucie c'est le financement de la formation des conseillères-ers. Qualifiante, suivie par des personnes en recherche d'emploi ou en reconversion professionnelle, elle dure deux ans. Le Conseil régional s'est engagé à la financer. La première année, 2013, les subventions sont tombées. Mais celles de 2014 toujours pas malgré les promesses orales reçues. Cette formation est centrale pour le futur du Planning : « Si on n'a pas de conseillères, il n'y a plus d'accueil, de conseil, de formation, d'animation. Sans ça, il n'y a plus de Planning familial ! » s'insurge Martine. Et Lucie de compléter : « Et si la subvention pour 2014 n'arrive pas, il faudra licencier ».
Manif pour tous, justice nulle part
Dans le contexte idéologique actuel, le retour en force de tous les traditionalismes présente un danger réel pour pour nous tou-te-s. C'est un mouvement d'ampleur internationale. Le droit à l'avortement est sans cesse remis en cause. En Espagne et en Pologne en 2013, en Suisse en 2014, pour ne citer que des événements récents. En France, depuis 2009, la loi Hôpital patient santé territoire de Bachelot et la généralisation de la Tarification à l'activité entravent l'accès aux soins et en particulier à l'avortement. Les hôpitaux privilégient l'acte le mieux rémunéré. Par rapport à une interruption médicale de grossesse, réalisée lorsque l'enfant ou sa mère est en danger, le tarif d'une interruption volontaire de grossesse n'est pas rentable car sous-évalué. L'acte médical est pourtant souvent le même. La victimisation et la culpabilisation des femmes ne sont pas suffisantes, sans doute.
L'austérité, en diminuant la puissance d'agir du Planning, sert la cause des nouveaux chiens de garde du patriarcat.
Manuel de la Panza
1 : La planification, c'est : « Un enfant si je veux, quand je veux ».
2 : Centre LGBTQIF (Lesbien, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe et Féministe).