L’une étudiant l’éducation à l’égalité, et l’autre l’éducation à la sexualité, l'attention de nos deux chercheuses s'est vite portée sur la polémique actuelle autour du « dgendeur ». Partant du buzz médiatique qui a explosé en janvier et février derniers, elles ont exploré la partie immergée de l'iceberg et, petit à petit, ont découvert les ramifications de cette nébuleuse dans laquelle s'entremêlent les multiples voix réactionnaires. Étudiant les sites et blogs des associations qui ont fait le buzz , elles ont recensé les divers procédés grâce auxquels le mouvement se donne une image policée et populaire. Les masques tombent pour découvrir ce qui fonde l'efficacité d'un tel mouvement d'hostilité .
Qu’est-il ressorti de vos recherches?
La première surprise que nous avons eue, c’est l’existence de « coquilles vides ». Ce sont des associations qui n’ont pas de statut juridique ou pas d’activité depuis leur création, le but étant de créer artificiellement un effet masse. Cette logique du nombre apparaît notamment lorsqu’on se rend sur les plus grosses plates-formes, comme le Collectif pour l'enfant qui se targue de réunir quatre-vingt associations. Par exemple, il y a trois associations à Paris qui se créent pour « protéger les enfants » avec exactement le même objet, les mêmes statuts au mot près et la même date de création. En étudiant le mouvement de la Manif’ Pour Tous, on s’est rendu compte que ces « coquilles vides » concernent surtout des assos soit disant de gauche ou homos… La stratégie est claire : créer de fausses associations pour faire passer la mobilisation comme une lutte qui serait a-confessionnelle et qui dépasserait le clivage gauche/droite – alors qu'en réalité l'ancrage catholique et à droite de l'échiquier politique apparaît clairement quand on regarde les personnalités clés du mouvement par exemple....
Derrière les structures en apparence anonymes, il doit bien y avoir des personnes qui fondent et pilotent ces associations. Qu’avez-vous appris au sujet de ces « têtes de réseau » ?
Certaines personnalités sont centrales, parce qu’elles cumulent de multiples « casquettes » militantes. Un exemple flagrant est celui d’Olivier Vial, président de l’UNI. C’est lui qui avait lancé la pétition contre « l’infiltration » de la « théorie du genre » à l’école. Il a également créé l’« Observatoire de la théorie du genre». Mais bizarrement lorsqu’il répond aux journalistes ou signe des articles, c’est toujours en son nom propre et ne mentionne jamais ses autres « casquettes ». Cela permet de dissimuler les liens étroits et anciens que ces personnalités entretiennent avec les milieux politico-administratifs. à l’image de Béatrice Bourge, fondatrice du Printemps Français, qui a fait une partie de sa carrière en politique et au cœur du pouvoir législatif, en tant qu’assistante parlementaire sous la bannière du RPR…
Il ne s’agit que d’assos ad hoc ? Y a-t-il un lobbying plus ancien ?
Nous avons découvert une partie du mouvement qui est très active depuis des années et pourtant presque totalement invisible médiatiquement: le lobbying des associations familiales. Regroupée sous la bannière de l'UNAF1, ces associations ne sont pas toutes étiquetées « cathos » mais trois d'entre elles sont directement liées à la Manif' Pour Tous. En 2008, elles étaient contre le film d’animation « le baiser de la lune » qui raconte une histoire d'amour entre deux poissons mâles. Le buzz déclenché par les manifestations leur a donné une audience, des moyens de diffusion et une influence inédits. C’est d’ailleurs ce qui nous fait dire qu’il ne faut pas sous- estimer leur mouvement. Même si l’étude du réseau montre qu’ils ne sont pas si nombreux, ils savent se faire voir et entendre, ils peuvent donc toucher un grand nombre de personnes, en particulier car ils reprennent le réseau de la Manif’ Pour Tous. Cette « minorité agissante » a réussi à faire reculer le gouvernement en février dernier sur le projet de loi sur la famille qui devait notamment élargir les droits des beaux-parents et donc faire évoluer le statut juridique de la famille...
Pourtant le gouvernement n’a pas l’air de vouloir entrer dans la polémique autour de la « théorie du genre » ?
Nous avons été très surprises par sa réponse. En gros sa position est de dire que la « théorie du genre n’existe pas », point final. Il préfère éviter certains mots, à commencer par celui de « genre », en espérant que ça suffise à désamorcer les tensions. Bien que ce soit selon nous une façon de rentrer dans le débat, En réalité, cela laisse le champ libre au camp des « anti » pour investir l’espace du débat et y diffuser leur idéologie du « complot des lobbys LGBT ». Selon nous, les « anti théorie du genre » ont bien conscience des enjeux contenus dans la polémique actuelle. Lorsque la Manif pour Tous sort des affiches qui portent comme slogan «Touche pas à mes stéréotypes de genre », on voit qu'il ne s'agit pas d'une incompréhension : ils ont très bien compris que l'éducation à l'égalité amenait à questionner les rôles d'homme et de femme, rôles qu'ils souhaitent maintenir dans l'ordre de la Nature. En imposant leur terme de « théorie de genre », ils imposent également leur problématique et leur langage puisque celui-ci est repris partout : à droite comme à gauche et dans tous les médias. Or la bataille du langage, c’est aussi une bataille idéologique. C'est pour cela que nous tenons ici à ne pas reprendre les termes de « anti-théorie-du-genre » pour préférer parler de mouvements anti-égalité.
NOTE
1: Union Nationale des Associations Familiales, créée et financée par l'Etat dès 1945.