Paroles de femmes prostituées

passesVendredi au local d’Entr’actes. Une des après-midi d’accueil où les femmes (en majorité même s’il y a parfois des hommes) peuvent venir faire une pause. Juste prendre des capotes, du matériel de shoot, du matériel de prévention ou se poser, discuter, demander un conseil ou une consultation, prendre une douche ou juste être au chaud et ensemble. Quelques femmes ont accepté de nous parler, nous montrant leur vision de la prostitution. Leurs paroles, indispensables, ne révéleront pas l’expérience de celles qui, condamnées au silence, ne parlent justement pas.

 

Greta [1] est grande, blonde, élégante. Elle parle avec assurance. « Depuis quelques années, on constate une dégradation de la prostitution de rue. Il y a des jeunes prostituées étrangères, de Roumanie, des roms et des manouches qui se sont installées sur le trottoir. Les filles viennent de réseaux familiaux, proposent des services à n’importe quel prix. On tend vers la paupérisation de la prostitution de rue. […] Je suis pour les maisons closes : pas de proxénètes, une légalisation totale avec cotisations sociales, retraites, arrêts maladies, congés payés. Comme en Allemagne. Les filles en ont ras le bol de se faire agresser. Elles vont de plus en plus loin et certains [clients] en profitent pour abuser d’elles. […] La prostitution c’est pas un métier. Mais malgré les difficultés physiques et morales c’est une activité qui permet d’obtenir des moyens financiers. Mon but c’est pas de rester pute toute ma vie, c’est un tremplin pour me lancer. Je préférerais qu’on l’envisage comme une activité libérale. […]

Elles [les prostituées] voudraient toutes arrêter. […] Il faut être aidé pour avoir une activité de remplacement. La priorité c’est le logement parce que beaucoup n’en ont pas. […] Quand t’as autant d’argent et que tu viens d’un milieu modeste, au début, ça te permet d’assouvir les envies que tu as depuis longtemps. Alors tu dépenses plus que tu ne penses à l’avenir. Mais il faut préparer son avenir, sinon c’est la déchéance. […] Tant qu’elles [les prostituées] sont jeunes tout va bien mais quand elles vont vieillir… Elles vont glisser...


Eloi Valat, Passes de charité

Je me suis fracassée pour avoir cette situation. […] Aujourd’hui, j’ai passé le stade d’en souffrir. Je choisis ma clientèle, je travaille dans un endroit sécurisé avec un parking filmé, j’ai une indépendance et une liberté, quand j’ai pas envie de bosser, je bosse pas. […] La prostitution est une nécessité publique. On offre un plaisir mais aussi son temps, son écoute. On est un peu une assistante sociale dans le milieu sexuel […] Une prostituée c’est un être humain. Elle a des envies, des sentiments. Elle le fait pas par plaisir mais par nécessité financière. Si elle pouvait avoir la possibilité de faire autre chose elle le ferait. La prostitution c’est une nécessité, voire une survie […] Sur le trottoir, quand on a un comportement discret, respectable, le regard il est pas là. Je veux pas revendiquer ce que je fais. C’est pas quelque chose qu’il faut dire parce que la société n’est pas prête à l’entendre  ».

George est grand-mère et se prostitue depuis les années 1980. Avec son look un peu excentrique et son regard pétillant, c’est pleine d’humour qu’elle parle d’elle et de la prostitution : « à mon âge je suis obligée de continuer parce que c’est pas avec ce qu’on nous donne qu’on peut s’en sortir. Après avoir tout essayé je me suis dit : on va tenter ça. J’avais privé mes enfants d’un tas de choses. Si j’ai des regrets c’est de ne pas avoir commencé plus tôt […]

La prostitution c’est aussi écouter les autres. Avoir une petite attention une écoute. Quelquefois le service est tout à fait accessoire. Parfois je fais des petites caresses et puis : « ma femme elle me fait pas ça » ; « et toi tu lui fais ? ». […] Il faut éduquer les gens à l’amour, des câlins, des caresses. J’ai rabiboché trois couples. Oui, mais trois clients de perdus ! [rires].[…] Avec le préservatif ça arrive que les hommes débandent mais on peut en faire un jeu. Je leur dis souvent [en parlant de son chapeau] « tu vois ça c’est mon préservatif ». […] Moi dès le début c’était avec le préservatif. […]

On vous dit : « vous n’avez pas beaucoup d’argent mais vous avez votre honneur ». Eh ben moi je préfère m’asseoir sur l’honneur et avoir de la nourriture dans l’assiette des enfants ; Et puis je ne me sens nullement déshonorée. « On [certaines prostituées] a de laRetour ligne automatique
chance, d’être indépendantes, de savoir gérer notre budget. Mais y a des personnes pour qui c’est pas facile. Attendre toute la nuit sous l’abri bus un client pour pouvoir se payer le petit dej’. N’avoir aucun endroit pour poser sa valise. C’est dur. Et la précarité ça coûte cher. »

Tania est moins posée, « instable » comme elle le dit elle-même. Elle s’est prostituée pendant plusieurs années en Belgique autour des années 2000. Elle louait un emplacement, un « carré  » et était indépendante. Elle envisage souvent de reprendre ce métier car elle est aujourd’hui « perdue, sans diplôme, rien, toujours autant dans la merde ». Elle se souvient de la prostitution comme un univers structurant, même si dangereux. Pour autant « c’est l’argent qui fait que... […] Il y a des assos [Le Nid, encore] qui m’ont dit : « Tu n’as pas honte de faire ça ? » Alors que c’est vachement humiliant d’aller mendier 15 euros en bons. On se sent rabaissées. Tu dois justifier les bons qu’ils te donnent, montrer les factures. Tu dois te justifier dans tes démarches de réinsertion ou ils te donnent pas les bons ».

Nous rencontrons Audrey et Maria dans l’hôtel dans lequel elles vivent. Elles nous parlent tandis que d’autres femmes se préparent. Il est bientôt 17 heures, elles vont bientôt aller travailler.

Audrey et Maria, sont équatoriennes et transsexuelles. Arrivées en France depuis une dizaine d’années, elles s’organisent et se protègent au sein de leur communauté, sans proxénète. Cela reste très dangereux : « Tous les jours, tu ne sais pas avec qui tu vas monter ni même si tu vas descendre de la voiture  ». En témoigne le décès récent d’une des leurs, retrouvée le long de l’autoroute. Audrey entre tout de suite dans le vif du sujet : «  Notre vie est très dure pour rester debout ; les humiliations, la douleur, la société ne nous accepte pas, les gens ne nous connaissent pas. » C’est un boulot « comme un autre » disent-elles. Mais c’est aussi «  l’argent de l’humiliation et de la douleur. Ce n’est pas une vie la vie que nous avons  ». Elles sont indignées par les humiliations répétées de la police à cause de leur transsexualité. Elles racontent comment elles ont déjà été forcés à montrer leurs attributs. Les flics qui les appellent «  Monsieur » et tancent les clients : «  vous savez que vous faites monter un homme ? » Alors, disent-elles que la plupart savent très bien qu’elles sont transsexuelles mais jouent sur l’ignorance pour éviter d’assumer socialement leur homosexualité... Des remarques particulièrement efficaces pour les « faire fuir ».

Elles voudraient arrêter, disent « mal vivre pour mal mourir  ». Mais financièrement, aucune économie n’est possible, ne pouvant ni mettre leur argent en sécurité chez elles, ni le déposer sur un compte en banque. Et puis certaines « ressemblent à des hommes », alors pour trouver un boulot ou un logement...

NB : D’autres témoignages existent. Notamment des anciennes prostitutées qui insistent au contraire de ceux présentés ici sur l’absence de choix, et l’illusion de liberté qui permet de « tenir » dans cette forme d’esclavage moderne qu’est la prostitution.

Notes

[1tous les prénoms ont été modifiés

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