Spartak et foot non-mixte : la mairie n'est pas woke

illu spartak footLe 26 septembre dernier, le Spartak lillois s'est pris un tacle de Martine Aubry et son équipe d'élu·es zélé·es. Alors qu'était organisée pour la quatrième fois une séance de foot en non-mixité choisie sans homme cis, la municipalité a interdit le jour-même l'événement, au nom du principe de mixité. Une position lâche, qui refuse de prendre en compte la réalité à laquelle sont confrontées les femmes, personnes trans et non-binaires. Plus qu'une question d'accès au sport, il s'agit de lutte contre le patriarcat, sur tous les terrains.

Le 26 septembre dernier, le Spartak lillois s’est pris un tacle de Martine Aubry et son équipe d’élu·es zélé·es. Alors qu’était organisée pour la quatrième fois une séance de foot en non-mixité choisie sans homme cis, la municipalité a interdit le jour-même l’événement, au nom du principe de mixité. Une position lâche, qui refuse de prendre en compte la réalité à laquelle sont confrontées les femmes, personnes trans et non-binaires. Plus qu’une question d’accès au sport, il s’agit de lutte contre le patriarcat, sur tous les terrains.

Le football est le sport le plus pratiqué et le plus populaire au monde. Sans surprise, il reproduit et accentue les logiques de domination qui se jouent au sein de la société patriarcale : esprit de compétition, promotion de la virilité, joueuses professionnelles sous-payées et moins reconnues que leurs homologues masculins... En bref, la parité dans les stades n’est pas pour demain. Cette situation ne date pas d’hier et l’accès des femmes au ballon rond est le fruit d’une lutte toujours en cours (voir encadré). Rien que très récemment, au mois de mai, la Coupe du monde de foot féminine a eu toutes les peines à être diffusée en France. Et elle a mis en lumière les agissements de certaines raclures, comme Luis Rubiales, Président de la fédération espagnole de foot qui a embrassé de force la joueuse Jennifer Hermoso après la finale, ou l’entraîneur de l’équipe zambienne, Bruce Mwape, qui fait l’objet d’une plainte pour plusieurs agressions sexuelles...

Le décor est planté : les footballeuses se sont battues et luttent encore contre le patriarcat et pour une pratique égalitaire du football. À Lille, le Spartak a décidé de s’attaquer directement au sexisme en proposant des séances de foot non-mixtes.

 

Au Spartak, l’éducation populaire confrontée au sexisme ordinaire


Le Spartak1 est une association lilloise qui milite depuis treize ans pour l’accès au sport de tous·tes dans un esprit d’éducation populaire, sans aucun critère ni question de niveau. Pour un euro de cotisation mensuelle, il est possible de participer à pas moins de six ateliers sportifs hebdomadaires. Si tous les créneaux sont mixtes, le Spartak ne fait pas figure d’exception. En tant qu’association sportive, elle connaît bien les problèmes liés au sexisme et aux stéréotypes de genre. Conscient de ces écueils, le collectif tente de désamorcer les vieux mécanismes patriarcaux de ses membres par des actions concrètes. Le créneau « Fitness » boudé des hommes cis a été renommé « Cardio-renfo » pour les inciter à y participer. Le choix des mots, le poids de la testo…


Chaque sport peut renvoyer à des qualités qui sont pour certain·es connotées : par exemple la grâce et la souplesse sont associées à la « féminité »... La muscu, le football, le rugby, et les sports de combat sont prétendument masculins2. Elles sont opposées à l’esprit de compétition. Le chantier est de taille concernant les entraînements de foot. Au Spartak, c’est tous les mardis soirs qu’on met les crampons au stade Jean Baratte de Fives. Les femmes, les personnes trans et non binaires se font très rares sur le terrain. Lorsqu’iels participent une fois, c’est pour ne plus revenir tant les mécanismes mascu sont à l’œuvre.

En réaction, le collectif décide au mois de juin 2023 d’organiser deux séances en non-mixité choisie, sans mec cis. La non-mixité permet d’organiser des rassemblements réservés aux personnes appartenant à un ou plusieurs groupes sociaux considérés comme opprimés ou discriminés, en excluant la participation de personnes appartenant à d’autres groupes potentiellement discriminants ou oppressifs. Ce mode d’action, utile et nécessaire, est un des outils de la lutte. Ce n’est pas une finalité en soi mais un espace safe, vecteur d’émancipation. Il est d’autant plus précieux pour les personnes non binaires ou transgenres, largement invisibilisées et culpabilisées.

Au Spartak, ces premiers essais rencontrent un franc succès. Une trentaine de personnes investissent le terrain dans la bonne humeur, sous le regard surpris des habituels spectateurs des entraînements qui lâchent des réflexions sur les « filles qui font du foot ». S’il y a encore du boulot, le terrain est investi et cela marque les esprits. Les mardis suivants, quelques personnes reviennent sur ce créneau qui est, d’habitude, complètement masculin.

Premier coup de pression officieux du service des sports

Cette réussite du Spartak n’est pas du goût de la municipalité. Le jour-même du premier créneau non-mixte, une bénévole reçoit un coup de téléphone de la mairie. On lui explique que « c’est problématique, excluant et discriminant » car la communication mentionne un créneau « réservé » aux femmes, personnes trans et non binaires. À la hâte et sous la pression, le visuel est changé et présente une séance « à destination » de ces mêmes personnes. Lorsque le deuxième créneau en non-mixité s’organise au mois de juin, la communication reste la même et la mairie demeure, pour cette fois, silencieuse.

L’incident semble donc clos et le Spartak se fait relancer par les footballeuses·rs du mois de juin : à quand la prochaine ? Une fois l’été passé, deux nouveaux créneaux non mixtes sont annoncés publiquement les 19 et 26 septembre. Lors du premier créneau de la rentrée, la mairie tente encore un coup de pression téléphonique. Cette fois, le ton est plus ferme : la séance n’est « pas conforme à la charte d’occupation des terrains municipaux » et la municipalité menace d’interdire l’événement. Le Spartak insiste sur la nécessité d’avoir un écrit clair au vu du court délai et propose un rendez-vous. Dans la semaine, un entretien est fixé au 27 septembre avec Arnaud Deslandes (premier adjoint de Martine). Il semble donc acquis que des échanges auront lieu et que le créneau non-mixte du 26 est maintenu comme prévu.

Coup d’arrêt brutal pour l’initiative inclusive du Spartakillu spartak elu

Pourtant, le 26 septembre, jour de la quatrième séance en non-mixité, le Spartak apprend par le gardien du stade Baratte que la mairie va interdire l’accès au terrain le soir-même. En milieu d’après-midi, un arrêté municipal d’interdiction tombe, au motif du non-respect du principe de mixité contenu dans la Charte des associations lilloises. Les membres du Spartak sont sidéré·es par ces méthodes brutales et répressives. La mairie n’hésite pas à utiliser la force et l’intimidation : à 19h30, les condés sont envoyés sur le gazon pour y disperser, pendant plus d’une heure, les quelques personnes réunies sur le terrain. C’est donc là la politique de la ville de Lille : s’assurer, par la force s’il le faut, de la non-tenue d’un événement favorisant la pratique du sport pour certaines catégories sociales de personnes… Et si la séance avait été maintenue, y aurait il eu des gardes-à-vues pour pratique non-mixte du sport sur terrain public ?

Le Spartak, sous le choc, se pointe en force le lendemain à la mairie pour rencontrer Arnaud Deslandes. Il est en retard, finalement indisponible... Au pied levé, c’est le 24ème (!) adjoint préposé à la lutte contre les discriminations qui sera dépêché : Jérôme Pianezza. Avocat de profession, il débarque avec son assistant. Habitué des plaidoiries, il commence par enchaîner le Spartak sur un ton paternaliste : « Bon, ça va pas là ! Ce que vous faites, c’est de la provoc’ ! On vous avait prévenus et vous le refaites ! », accusant le collectif de discrimination et d’exclusion des pauvres petits mecs cis... Il ose même : « C’est comme si vous faisiez un créneau réservé aux noir·es et aux arabes ». Puis il endosse sa robe de baveux et brandit les textes : la mairie n’a rien contre le Spartak et peut même l’aider, à grand renfort de petits prospectus municipaux vantant les méthodes de lutte contre les discriminations.

Si la mairie interdit l’événement du Spartak, c’est pour son bien, car « on n’aimerait pas que des personnes portent plainte contre vous ». Quand l’hypocrisie se déguise en bienveillance... Pianezza extirpe alors d’un dossier l’intégralité des communications et visuels du Spartak relatifs aux événements non-mixtes. À peine fliqué, le collectif !

 Une position de principe contre les événements non-mixtes

Pourquoi donc la mairie s’acharne-t-elle sur le Spartak ? Elle se targue pourtant, dans sa communication officielle, de valoriser la pratique du « sport féminin » et de développer les « sections féminines » de trois clubs de foot lillois (ES Louvière, OS Fives, US Lille Moulins Carrel). En effet, il existe partout des sections 100 % féminines ou masculines dans les équipes de foot amateur·ices. De nombreux clubs affiliés à la Fédération Française de Football (FFF) en « Loisir » (qui consiste à jouer sans classement) sont organisés en équipes féminines et masculines, comme c’est le cas de l’AS Lille. Mais le Spartak n’est pas un club classique affilié à la FFF, bien que certain·es de ses membres soient licencié·es en « Loisir ». Il a le statut d’association, c’est pourquoi le collectif a signé la fameuse « Charte des associations lilloises »… qui impose le respect de la mixité. Une aubaine pour la mairie, qui n’a visiblement pas supporté la communication publique de la non-mixité des créneaux.

C’est que la municipalité marche sur des œufs après avoir essuyé de vives critiques suite à l’ouverture de créneaux non-mixtes à la piscine de Lille Sud. En 2000, le centre social Lazare-Garreau y demande un horaire réservé aux femmes, dans le cadre d’un programme de lutte contre l’obésité, pour que celles qui n’osaient s’y rendre puissent s’y retrouver. Le créneau est adopté par la municipalité de Pierre Mauroy et Martine Aubry le pérennise de 2003 à 2012. Elle explique alors sa position par une volonté de permettre aux femmes leur émancipation.

Mais face aux positions islamophobes des droitard·es et à la désolidarisation de membres de son propre parti, l’élue fait machine arrière et n’assume plus sa position initiale. Des années plus tard, cette « affaire » permet à Sarkozy de lui envoyer une pique pendant un meeting présidentiel… Les réactionnaires crient au communautarisme et Aubry flique toute initiative susceptible de la mettre en difficulté. La décision d’interdire au Spartak d’organiser publiquement un événement en non-mixité choisie semble directement liée à cette arlésienne ressortie à intervalles réguliers à la maire de Lille. Rien de plus qu’une opération de politicarde, la boussole bien pointée sur le nombril.

Plutôt que de saluer l’initiative et son succès, les séances ont été réprimées manu militari, à coup d’arrêté municipal et de lâcher de condés. La mairie, ultra-conformiste, ne veut pas sortir du cadre, au risque de s’attirer les foudres d’une partie de l’opinion publique. Ne pas faire de vague et, comme d’habitude, manquer de courage. Heureusement que certains collectifs, comme le Spartak, sont déterminés. Contactée par La Brique, la mairie s’est refusée à donner toute explication concernant l’interdiction.

Texte par La Brique
Dessin par Michou

 

1. Le choix de ce nom est un hommage au légendaire Futbolny klub Spartak
de Moscou, populaire et ouvrier, et aussi à Spartacus, gladiateur à l’origine
de la plus importante révolte d’esclaves contre la république romaine.

2. En 2014, près d’une personne sur deux adhère à l’idée selon laquelle
« certains sports conviennent mieux aux filles qu’aux garçons » 63 % estiment
que cela est dû au fait qu’elles n’y sont pas autant encouragées (Étude de la
DRESS publiée le 6 mars 2015).

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