Suite de notre formidable enquête sur l’eau (cf. La Brique n° 4), vous savez déjà que le business d’eau potable donne lieu à d’étranges magouillages. Un rapport d’audit indépendant que nous nous sommes procuré le confirme avec force.
L’audit en question a été récemment commandé par LMCU ( [1]). Il porte sur les pratiques de la Société des Eaux du Nord (SEN) sur la période 2001-2005. Très sévère, le rapport souligne nombre de dysfonctionnements et insiste sur le manque de transparence qui permet à la SEN de multiplier les sources de profit de façon abusive, voire illégale.
Un contrat bancal
Le rapport constate un « manque de lisibilité » du contrat, notamment sur « le régime des travaux à la charge du délégataire. » De plus : « Aucun inventaire des biens n’est présent au contrat ». Beaucoup des infrastructures gérées par la SEN sont la propriété de LMCU. Or cette dernière n’a aucune idée de ce qu’elle possède, et comment ces possessions sont entretenues par la SEN ; et ce depuis 1986...
« L e dispositif de pénalité [...] est insuffisant. Il en résulte que LMCU n’a pas de pouvoir coercitif, ni dissuasif [sur la SEN] ». Si LMCU constate que la SEN ne remplit pas ses obligations, elle ne peut que rouspéter gentiment.
Des travaux louches
« Le délégataire ne remplit pas l’ensemble des missions de maîtrise d’ouvrage et d’oeuvre et ne procède à aucune mise en concurrence bien que l’état du droit l’y oblige. La grande majorité des chantiers est d’ailleurs confiée à des filiales des deux maisons mères [Suez et Véolia (ex-Vivendi)] » Nous dénoncions nous aussi cette sous-traitance « maison » faussant la concurrence et pouvant conduire à des surfacturations. Nous pensions que ces pratiques étaient légales. Or, elles ne le sont pas. Sur la période considérée (2001-2005), le rapport estime que ce procédé permet à la SEN de dégager une marge abusive de 9 %. Vu les sommes en jeu, ça fait un paquet de pognon.
« Le programme de renouvellement des ouvrages [autres que les cannalisations : réservoirs, stations de pompage...] est insuffisant, tandis que celui des bâtiments n’est pas communiqué par le délégataire. » La SEN n’investit pas les sommes suffisantes pour l’entretien des installations ; tandis qu’au niveau des bâtiments, on n’en sait rien !
Une finance occulte
« Les produits financiers ne sont pas pris en compte. » La SEN fait “ travailler ” l’argent qui provient des factures d’eau que nous payons. La loi et le contrat voudraient qu’elle intégre ces gains dans les documents comptables, l’argent qu’elle manipule étant de l’argent public. Mais apparement, la loi est une donnée relative.
Le rapport indique aussi que « d’importants produits financiers réalisés antérieurement à la période de l’audit n’ont pas été pris en compte. » Dans la bouche de ces spécialistes habitués à manipuler les nombres à six chiffres, le mot « important » est tout de même inquiétant.
Ajoutez à cela trois ou quatre combines dénichées par le cabinet d’audit et vous avez une idée de l’affaire.
Une belle anarque
« L’ensemble de ces considérations conduit à minimiser le résultat de la délégation et par conséquent le niveau de rémunération réel du délégataire qui se révèle être très supérieur à celui affiché dans les comptes rendus financiers de la délégation ». En termes clairs : les rapports financiers que la SEN fournit à LMCU sont bidons. Une partie de l’argent collecté grâce aux paiements des factures d’eau arrive directement dans la poche de l’entreprise qui peut le placer au chaud, on ne sait où, dans la plus grande discrétion : version polie et distinguée d’un capitalisme “ présentable ”.
S’agissant de la fameuse provision de 160 000 millions d’euros légèrement détournée par la SEN (2) dans les années 90, le rapport précise :
« Les différents accords [...] permettent, dans la pratique, la récupération sur la durée du contrat, des fonds correspondants ». Problème : « Il demeure néanmoins une absence de formalisation contractuelle et comptable de la ré-affectation de cette provision ». Ce qui signifie : on n’a aucune trace de la restitution de cette somme. On ferait donc confiance à la SEN ?
Quand la justice s’en mêle
À ce propos, il semblerait que l’association Eau Secours soit sur le point de traîner LMCU en justice pour abus de bien sociaux. Philippe Dupraz, PDG de la SEN, se défend de l’accusation en affirmant que des investissements sont réalisés « pour rendre un réseau peu vétuste en 2015 [fin du contrat de délégation] ». (3) On notera au passage l’ambiguë « peu vétuste ». De plus, le rapport d’audit tout comme Eric Darques (4) font remarquer que la SEN n’a pas été capable de fournir une quelconque preuve du reversement de ces 160 000 millions. L’association souligne avec justesse que l’investissement fait partie des missions de la SEN et ne constitue en aucun cas un service susceptible d’annuler une ancienne dette. Affaire à suivre...
1 : Lille Métropole Communauté Urbaine
2 : cf. Dossier sur l’eau
3 : 20 minutes, édition du 15/11/07.
4 : Eric Darques est président de l’association Eau Secours LMCU.
NB : rapport d’audit complet sur le site internet de la Brique.
La mite