Euphémismes ou galvaudages, au royaume de Big Mother, on nous arrache des mots de la bouche pour nous en remettre d’autres - garantis sans saveurs. Les utiliser empêche toute pensée critique et élude les conflits, les rapports de force. Vade retro novlangue de coton !
Le mot de ce bi-mestre est : “médiation culturelle”
En consommant l’exposition Pinault au Tripostal, la présence de médiateurs culturels ne vous a sûrement pas échappée. Chargés d’offrir des clés de lecture aux analphabètes de l’art contemporain, ils assurent en quelque sorte le service après-vente de l’artiste. Or le terme médiation culturelle, est relativement récent et malgré ça, plutôt à la mode. En même temps que la culture se marchandise, les filières universitaires et écoles privées pullulent d’étudiant-e-s en médiation culturelle rêvant d’intégrer l’une ou l’autre des grandes industries culturelles.
Par des pratiques issues du marketing (plans com’, détermination de publics cibles...), des livrets explicatifs à destination des profs, des politiques tarifaires avantageuses selon les publics, les médiateurs démocratiseraient la culture (entendre la Grande Culture désignée comme telle par ceux qui en ont le pouvoir). Mais en souhaitant favoriser l’accès des un-e-s aux œuvres des autres, chacun est renvoyé à cette relation marchande « producteur / consommateur », tout en restant bien à sa place, dans une certaine passivité. Car derrière l’écran fumeux de la médiation et de la démocratisation, se cache la vente de biens culturels (expos, spectacles...) – au plus grand nombre, forcément. Pour faire un raccourci bien gras on pourrait dire que la médiation culturelle est à la « culture » ce qu’un certain humanitaire est à l’indépendance des hommes et des femmes du tiers monde. C’est à dire qu’elle est le fait des puissants qui, enorgueillis de leur bon sens charitable, savent mieux que quiconque comment doivent se développer les êtres inférieurs, sans remettre en question les causes profondes des injustices. « La charité ne fait pas de politique » disait Val jadis dans un de ses éditos.
A l’opposé, les militant-e-s actuels et historiques de l’éducation populaire œuvraient et œuvrent à l’émancipation des classes populaires, à cette idée du « penser par soi-même », à la construction collective d’un gai savoir libéré des jougs de l’Etat et du patron dont la portée essentielle réside dans la transformation sociale. Car le savoir est une arme à s’approprier, les ouvriers et ouvrières de la fin du XIX° organisaient des cours du soir dans les bourses du travail en pleine conscience que face à l’école républicaine bourgeoise, ils et elles devaient défendre leur culture ouvrière. Alors que les révolutionnaires luttaient pour l’égalité par l’abolition des classes, les médiateurs culturels sont chargés par les grandes industries de l’art et du spectacle à ce que leurs savants se fassent bien comprendre de ces incultes.
Bref, le terme de médiation culturelle, vu comme un temps de communication unidirectionnelle tourné vers la consommation, représente parfaitement ce refus du conflit et la défaite à vouloir changer ou neutraliser les rapports de force. tomjo