Pour qui peut encore s’acheter une baraque, on trouve des prêts à taux d’intérêt fixe, et d’autres à taux variable. Ces derniers sont à très haut risque, reposant sur des indices financiers instables. Vantant une sécurisation qui s’avérera inexistante, le Crédit Foncier - filiale Caisse d’Epargne - a contracté 150 000 de ces subprimes français à grand coup d’escroquerie.
Octobre 2006. Le CF distille sa pub dans la Voix du Nord. Le directeur de l’agence de Lille racole : « Il [le crédit à taux variable] colle plus au marché et permet de bénéficier de la baisse des taux tout en limitant la hausse… En plus le prêt se rembourse sans frais » [1]. Deux ans après cette annonce spécieuse, l’UFC Que Choisir [2] porte plainte pour tromperie. Depuis, la Voix du Nord n’a pas relayé. La direction de communication du Crédit Foncier préfère la langue de bois : « Nous n’avons pas connaissance […] des éléments de la plainte déposée par UFC Que Choisir ». Toujours selon celle-ci, « le taux révisable démocratise l’accession à la propriété » [sic] !
Vous avez dit « sécurisé » ?
En finance les risques calculés sont une illusion, les prédictions, hypothétiques. Le monde est une spéculation aveugle. Certain.es l’apprennent encore à leurs dépens : dans une économie de marché, la stabilité est un leurre. Précarisation des salaires, inflation*, crise des subprimes, les taux fixes sont de plus en plus difficiles à obtenir, et les variables se répandent comme une traînée de poudre (dans un autre registre, les crédits à la consommation font également des ravages). Les risques sont énormes pour qui signerait un de ces prêts. C’est pourquoi les banques mettent en avant des « produits sécurisés » ; ou prétendument sécurisés, dans ce cas précis. Cela permet de continuer à vendre ces crédits, quitte à prendre le risque d’endetter les clients. Bon ou mauvais payeur, c’est toujours payant.
Le cap et les prêts
L’arnaque tient en cela, que les prêts ont été vendus par les conseiller.es comme ayant des taux d’intérêt plafonnés par un cap (Cf. lexique), alors qu’ils n’en avaient pas. Sans communication sur les risques réels, certifiant que les mensualités de remboursement seraient fixes, les conseiller.es rassurent : « au pire, si les taux montent, la durée du prêt augmentera de 20%, sans augmentation des mensualités. » Finalement, celles-ci augmentent rapidement, et mènent à l’amortissement négatif *. Les client.es se retrouvent avec un vrai taux variable, s’endettent. Certain.es revendent leur bien, et c’est comme s’ils avaient payé un loyer exorbitant pour ne pas devenir propriétaires. Des événements qui s’apparentent à la crise sociale et financière des subprimes venue des Etats-Unis.
Un « tiens » ne vaut pas mieux que deux « tu l’auras »
Novembre 2007. Un collectif [3] voit le jour à l’initiative de client.es dupés. Il demande réparation et regroupe à ce jour plus d’un millier de personnes (nombre en augmentation) dont des foyers dans le Nord-Pas-de-Calais. Le recensement est faible par rapport à l’ampleur nationale du préjudice, car c’est seulement à la date de révision du contrat, quand arrive un nouvel échéancier, que la supercherie éclate. On peut présumer qu’une majorité de signataires ne savent pas ce qui les attend. Les témoignages mettent en évidence l’ignorance ou la malveillance des conseiller.es et des responsables, les similitudes de la technique de vente… L’appel du foncier fait le reste. Ont-ils été naïfs ? Le collectif s’en défend : « les prêts on été soumis à des professionnels (banquiers, juristes) qui n’ont pas compris eux-mêmes la signification des contrats ».
Et le gagnant est…
Avec un bénéfice en hausse de 211 millions d’euros et un triplement des crédits à 40 milliards, 2007 est une bonne année pour le CF. Il faut dire qu’en faisant signer ces contrats à un moment où les taux étaient historiquement bas, ça ne pouvait que rapporter gros. A l’instar de leurs consœurs américaines, les banques du CF ont pensé prendre un minimum de risque, pour un maximum de profit. On verra les suites de la plainte…
* Cf. lexique :
Inflation : hausse généralisée et durable du niveau général des prix.
Capé : La hausse du taux peut être limitée à 1,5, 2 ou 3 points par rapport au taux initial. Exemple : si le taux de départ est de 4,7 % avec un cap à 2 points, le taux ne peut franchir 6,7 %.
33% d’endettement : En France, le seuil théorique de capacité d’endettement est fixé à 33 % des revenus. Au-delà, c’est le surendettement.
Amortissement négatif : Lorsque les mensualités d’un prêt ne suffisent pas à rembourser la part d’intérêts et que l’engagement s’accroît. Les versements ne couvrent pas le coût de l’emprunt, la « dette » augmente.
Témoignage
Guillaume Lebon, client de l’agence lilloise du Crédit Foncier nous rapporte son expérience : « En juin 2005, nous cherchions avec mon épouse un crédit immobilier en vue d’acheter une maison. Nous nous présentons au Crédit Foncier de Lille et expliquons à la conseillère que nous cherchons un prêt à taux fixe. Elle déclare alors pouvoir nous faire une offre : un prêt à taux variable, au taux de 3,1%, « capé 1,5 ». Ce qui signifie, explique-t-elle, que si les taux augmentent, un cap de 1,5 est appliqué. Le taux d’intérêt de notre crédit ne pourra être supérieur à 4,6 %. La durée de remboursement de notre crédit est fixée à 30 ans, le montant des mensualités de remboursement est déclaré fixe. Une hausse des taux d’intérêt ne peut impacter les conditions de remboursement de notre crédit que sur la durée, limitée à 36 ans. Avant de signer, nous nous faisons confirmer par la « conseillère » que le taux d’intérêt maximum pouvant être appliqué à notre crédit est de 4,6%. Nous paraphons le contrat.
Au mois de novembre 2007 le CF nous envoie un courrier de révision de notre prêt : le taux appliqué à notre crédit est désormais de 5,7%. En réalité, la phrase « Taux maximum de calcul des échéances : 4,6% » ne signifie pas que le taux d’intérêt maximum pouvant être appliqué à notre crédit était de 4,6%, elle signifie que le montant de nos mensualités sont susceptible d’augmenter de 4,6% par an en cas de hausse des taux ; soit doubler ou tripler sur 36 ans. Nous découvrons également qu’aucun « cap » n’est appliqué au taux d’intérêt de notre crédit, et que nous avons signé un vrai crédit à taux variable ! Aujourd’hui, nous sommes à un taux de 6,1 %. Sur 36 ans, c’est une différence de plus de 75 000 euros ! Cela fait 18 mois que nous remboursons des mensualités, et nous devons aujourd’hui au CF plus d’argent que nous n’en avions initialement emprunté. Ce crédit peut avoir un coût exorbitant, que nous ne serons jamais certains de pouvoir assumer. Nous vivons avec le risque permanent de devoir vendre notre maison. »
Caisse d’épargne
La Caisse d’Epargne, en rachetant des filiales telles que le CF, s’est ouverte à de nouvelles pratiques commerciales, devenant un établissement bancaire à part entière, bien loin de son histoire mutualiste. Devant « la marginalisation des missions d’intérêt général […] une politique commerciale agressive de vente au détriment du conseil, et le tri de la clientèle selon sa rentabilité » la CGT réclame le départ des dirigeants et demande la mise en place d’une « nouvelle orientation économique pour le groupe renouant avec sa raison d’être historique, […] en le soustrayant aux appétits des marchés et en l’intégrant dans un véritable service public bancaire, de l’épargne et du crédit ». Vrai que la réalité d’aujourd’hui est bien mercantile : une banque, c’est une banque, on est perdant au départ comme à l’arrivée...
[1] www.lavoixdunord.fr Des taux légèrement en hausse mais qui restent intéressants 26/10/2006
[2] Union Fédérale des Consommateurs.