Les articles de "La Voix" à propos du tag sont d’incroyables fourre-tout permettant parfois aux journalistes de placer leurs idées tristement sécuritaires. Le vandalisme, la délinquance, les banlieues, etc. : les amalgames sont récurrents dans le quotidien nordiste et font du tag un creuset de l’imaginaire « insécuritaire ».
Les journalistes ont du mal à décrire le tag. Pour La Voix du Nord, il prend la signification de graffiti au sens large. Ainsi, un quartier dégradé « par des tags » a été couvert « de badigeonnages, de couleurs diverses, [...] à coups de pinceaux », par « des "gribouilleurs" ». On nous explique que « les tags se résument généralement à de vulgaires et inesthétiques inscriptions » mais que tel magasin de la rue Gambetta a « fait décorer son volet avec des tags ».
Faciliter l’analyse
La tendance ces dernières années est d’inventer une distinction entre tag et « street art » (art de rue) : le tag c’est le vandalisme, c’est le mal, et le street art, c’est le bien, ce qui est joli. On parle ainsi d’« art du graffiti », d’« art de la rue », de « graph [sic] noble » ou encore de « beaux tags légaux ». Les journalistes appellent sans cesse à faire la distinction entre tag vil et graff que l’on pratique avec une « éthique de travail » : « [...] les jeunes ont appris à faire la différence entre tag et graff [...] », « entre le tag et le graff, il y a même différence qu’entre le bien et le mal ».
Le tag fait peur
Si le tag est le mal, il est alors permis de l’associer à tout ce qui fait peur ou ce qui dérange. En pensant aux tags, les journalistes sont renvoyés aux graffiti qui maculent les chiottes dégueulasses des bistrots dont ils usent les banquettes. Ainsi un magasin tagué se retrouve avec un « store calciné » ou « a failli être forcé », il est propice à la vidéosurveillance. La mairie de Lompret « a été recouverte de tags » qui s’apparentent à des « insultes contre le maire, des croix gammées », on parle de « tagages récurents », « saccages et vols », « vandalisme » pour justifier l’installation de « caméras de surveillance ». Le tag fait donc peur aux journalistes qui n’hésitent pas à l’associer aux pires exactions : une mosquée peut-elle être ainsi « couverte de tags nazis [...] (croix gammées et celtiques, insignes SS...) ».
La propagande de l’insécurité
Le journal se sent investi d’une sainte obligation et rentre dans la bataille : « le tag tu combattras », « la guerre des tags continue », « combat contre les tags », « c’est la guerre »... Pour qualifier les nettoyeurs, on peut lire : « une petite armée lave, frotte [...] », « une machine mène la guerre »... Le quotidien lillois constitue un organe de propagande.
L’insécurité existe en partie à cause des tags : une « gare blanche paraît bien paisible, à première vue. Certes, elle est mouchetée ça et là de quelques tags », la rue Gambetta après son nettoyage total « a retrouvé [...] son côté paisible », « [...] ce genre d’incivilités peut vite draper une rue, un quartier, dans un climat d’insécurité [...]. Ainsi le tag n’est-il plus l’apanage des banlieues chaudes [...] ». L’usage du mot tag dans les colonnes de La Voix du Nord participe de l’invention « insécuritaire » et ne relève aucunement de faits établis, mais juste de leur volonté d’« endiguer ce fléau urbain » instauré par de « jeunes lascars ». Rien d’étonnant du reste à ce que le journal appelle à la délation en glissant les pseudos des tagueurs incriminés dans le cadre d’une enquête : « Les policiers lancent un appel à victime : toute personne, dont un élément de façade porte l’inscription « Sabar », « Szr », « Jakass », « Jaks » ou « Sos », est priée de contacter la Sûreté urbaine de Lille : 03 20 12 51 32. » [1]. Entre la police et La Voix du Nord, c’est une grande histoire d’amour.
Voir « Graffiti sauvages ? ».
[1] Les citations sont extraites d’une revue de presse allant du 05/04 au 07/08.