Martine Aubry voulait son casino, c’est désormais chose faite. Les arguments mis en avant sont les mêmes qui nous seraient servis pour l’installation d’une usine polluante : des recettes municipales supplémentaires et la création d’emplois. Cependant, l’installation d’un casino à Lille ne polluera pas l’environnement mais la population elle-même.
« Lille, ville de la solidarité ! ». Tel est le slogan de Martine Aubry depuis quelques temps. On demeure alors perplexe devant la volonté de la maire de Lille d’installer un super-casino en plein centre. Solidarité et jeux d’argent... une bien étrange association. « Ce n’est pas sa tasse de thé », clame-t-elle dans les colonnes de la Voix du Nord. C’est pourtant bien elle et son équipe municipale qui ont décidé d’installer ce temple du jeu d’argent à Lille. Ils ont négocié les autorisations nécessaires avec le ministère de l’intérieur et ont acheté le terrain qui sera mis à disposition du casinotier. La décision a été prise en 2003, grâce à l’obtention récente du label « ville touristique ». Socialistes et communistes ont voté pour. On savait l’adaptation de ces partis à l’économie de marché. On savait moins leur attachement à l’industrie du luxe et des jeux de hasard.
Le groupe Barrière (cf. encadré), empire du luxe et du jeu, a remporté l’appel d’offre municipal. Il exercera ses activités dans le cadre d’une délégation de service public (!). Il prévoit un chiffre d’affaire de 100 millions d’euros par an, sur lequel il promet 15 millions pour la mairie (soit 14 % des recettes fiscales de la ville). Barrière promet également l’embauche de 400 emplois : en partie des emplois précaires et des temps partiels, notamment pour le domaine de la surveillance et de l’entretien. Pour le reste des emplois, ils n’ont rien d’enviable (cf. interview du croupier)
« L’offre touristique » de la mairie...
Le casino ouvrira début 2009. Il compte devenir le deuxième casino de France en terme de recettes, avec plus de 350 machines à sous. D’une superficie de 40 000 m², le complexe comportera un casino, trois restaurants, cinq bars, une salle de spectacle et un hôtel de luxe. Pour la mairie de Lille, "ce complexe viendra enrichir notre offre touristique et conforter le développement international de notre agglomération". Nulle part la mairie n’évoque les conséquences négatives que pourraient engendrer ce futur casino. Les études des médecins et sociologues démontrent pourtant à l’unanimité l’impact extrêmement nocif de ces casinos sur la population, notamment lorsqu’ils s’installent dans le centre des grandes villes. Ils entraînent la création de milliers de dépendants du jeu, et la clientèle provient en majorité de la population locale. Mais la mairie ferme les yeux, sans scrupule.
Ce sont tout d’abord les franges les plus défavorisées de la population qui vont constituer la majeure partie de la clientèle. On constate en effet que 46 % des personnes qui jouent au casino sont « inactifs », chômeurs ou retraités [1]. Le sociologue Jean-Pierre Martignoni soutient que « les régions où le chômage est plus élevé que la moyenne jouent beaucoup et épargnent peu, et inversement. » [2]. Il démontre également qu’il existe un lien direct entre proximité géographique et fréquentation du casino. Cela se vérifie au nouveau casino lyonnais : « 80 % des joueurs de notre établissement ne jouaient pas auparavant. Ils se sont découvert un nouveau passe-temps », reconnaît Guy Benamou, le directeur de cet établissement [3]. C’est donc bien la population locale qui est visée. Dans son rapport annuel de 2004, le groupe Partouche démontrait la pertinence de s’installer à Lille : selon ses experts, 1.591.000 personnes seront à moins de 30 minutes du futur casino... et constitueront la future clientèle ! Le casino sera installé à proximité des gares et du centre Euralille. Mais il sera aussi à la sortie des quartiers populaires Fives et Caulier, favorisant ainsi la montée de la précarité et du surendettement parmi cette population.
Jeux d’argent et toxicomanie
Les casinos présentent aussi le risque d’une forte dépendance. Par rapport au PMU ou à la Française Des Jeux, les mises engagées sont en moyenne de 4 à 8 fois supérieures, et les adeptes y retournent plusieurs fois par semaine. Les études montrent en effet que les machines à sous induisent un effet addictif [4] particulièrement important par rapport aux autres formes de jeux d’argent, par l’accessibilité, la rapidité ou l’illusion d’adresse procurée aux joueurs. L’environnement d’un casino et le comportement du personnel est également conditionné pour inciter « à jouer » (cf. l’interview du croupier). Ces établissements sont donc considérés comme aliénants. Ils créent une dépendance psychologique et physique.
Les répercussions sociales et sanitaires sont alors dévastatrices. D’après le psychiatre Marc Valleur, le fait « que le jeu de hasard et d’argent puisse devenir passion dévorante, obsédante, envahissante, au détriment de tous les investissements affectifs et sociaux, est un fait socialement reconnu. Les milieux scientifiques le considèrent aujourd’hui comme une forme majeure de toxicomanie sans drogue » [5] La revue Neuron a publié une importante recherche sur le sujet : celle-ci démontre que ce sont les même zones et régions du cerveau qui sont impliquées dans la consommation de cocaïne ! [6]
Le nombre de ces personnes dépendantes est loin d’être négligeable. Le Figaro estime qu’il sont entre 300 000 et 500 000 en France , c’est à dire autant, si ce n’est plus, que le nombre de toxicomanes. Jean-Pierre Papart montre que « le syndrome de sevrage présente beaucoup de similitudes avec ceux rencontrés dans les toxicomanies (irritabilité, douleurs abdominales, tremblements, etc), et demeure à l’origine d’importantes conséquences personnelles ou sociales (divorce, dettes, dépression, suicide, échec professionnel ou scolaire, etc.) » [7]
Mais la mairie a tout prévu, en imposant au groupe Barrière de mettre en place un dispositif d’aide aux joueurs compulsifs. On croit rêver ! En suivant le même raisonnement absurde, pourquoi la mairie ne confierait-elle pas des actions de lutte contre l’alcoolisme aux sociétés Kronenbourg ou Jeanlain.
Opposition des Verts
Au conseil municipal, seuls les Verts se sont opposés au projet. Le PS, le PC, l’UMP et l’UDF ont fait front commun. Le FN s’est abstenu. Dominique Plancke, conseiller municipal pour les Verts semble désabusé. Selon lui, plutôt que des recettes pour la mairie, “on paiera d’abord l’augmentation des dépenses du CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) ! ” Il ne comprend pas que “pour des raisons de fiscalité locale, on soit obliger de pomper un casino !” Il juge la position du parti communiste très décevante :”J’ai eu un débat avec Eric Renault, premier adjoint communiste de Saint-Amand (qui possède un casino). Il affirmait qu’un casino, c’est une offre de loisir et qu’il n’y a pas de raison pour que les pauvres n’aient pas accès à un casino. J’étais sur le cul !”. A Lille, selon lui, “il n’y a pas eu de discussion possible avec les communistes sur ce sujet. Ils répétent également que les pauvres ont le droit de jouer au casino ”.
Malgré ces déclarations, le groupe des Verts a participé à l’élaboration du cahier des charges pour le futur casino. Ils entendaient faire pression afin que le bâtiment se fasse selon les normes écologiques HQE (“Haute Qualité Environementale”)... ou quand le “développement durable” passe avant une opposition ferme au casino. A quoi D.Plancke répond : “on préfère que ce soit le moins pire possible, et on lance cette boutade : on espère que le casino soit vite fermé ! ” Oui mais... la mairie de Lille a voté une concession au casino pour 18 ans ! Les Verts se sont-ils posés la question de quitter la majorité municipale devant une décision si scandaleuse à leurs yeux, puisqu’ils parlent “d’un projet ringard d’un autre siècle ” ? “Non, on verra quand ce sera fait. De toute facon, si on devait partir à chaque fois qu’on s’oppose à une décision des socialistes et des communistes...”. Une déclaration du parti écologiste posait cette question : “Faut-il sacrifier tous les principes au nom de l’argent roi ? A l’heure où la gauche dénonce les excés du libéralisme, la majeure partie de cette gauche accepte sans broncher ce casino ! »... Les Verts ont beau jeu de railler ainsi : ils font partie de cette majorité de gauche qui gère la ville.
Les communistes, sans regrets !
Du côté de Michel Cucheval, président du groupe PCF à Lille, on assume pleinement. Selon lui, « il était clair qu’un casino allait s’installer dans les environs, puisqu’il n’existe pas de casino dans l’agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing,(...) donc autant que cela se fasse à Lille et que cela rapporte ». Selon lui, « on ne peut pas cracher dans la soupe quand une telle opportunité se présente ».
Interrogé sur les conséquences sociales, il répond que « s’il y a des incidences négatives, il faudra probablement s’en préoccuper. Si c’est la catastrophe, il faudra prendre des mesures ».
Concernant la position des Verts, il rétorque de façon étonnante que « c’est un petit peu surréaliste, je crois que c’est un problème moral : il y a des relents de catholicisme. Pour ma part, je n’aime pas trop qu’on fasse la morale aux gens. C’est un peu une tendance permanente chez les verts. Ils font la morale aux automobilistes, à ceux qui ne prennent pas le train, ceux qui ne font pas de vélo, etc. ». M.Cucheval soutient qu’il « se voyait mal aller dans un quartier où il y a 20 à 25 % de chômage, et expliquer que je refusais ce projet qui doit engendrer 400 emplois. Je me voyais mal expliquer que « ce n’est pas bien ». On doit considérer nos concitoyens comme des adultes. » Un peu facile... Pourquoi alors n’installe-t-on pas des marchands d’armes à feu à chaque coin de rue, sous prétexte des emplois crées et en supposant la population suffisamment responsable pour ne pas y toucher ? Sans sourciller, le conseiller communiste affirme, à propos des engagements pris par Barrière sur le traitement des « joueurs compulsifs » : « les garanties étant prises, ne reste plus que les apports que ce casino va ramener à la Ville ». D’une main, la mairie installe le virus du jeu à Lille, de l’autre elle impose la création d’une association de prévention : belle anticipation !
Malheureusement, on doit ici relever la position pour le moins pertinente de Philippe Bernard, président du groupe Front National : « La vie n’est pas une loterie ! RMI et autres allocations engloutis dans ces lieux viendront alléger d’autant les finances municipales bien mal en point. A défaut de pain pour tous, les Lillois auront des jeux ! » [8]. Qu’on ne s’y trompe pas, ce discours fleure bon le populisme et la démagogie, les conseillers FN s’étant abstenu lors du vote concernant la venue de ce casino, qu’ils s’acharnent désormais à critiquer.
Consultation des habitants et habitantes ? Trop risqué !
Concernant ce projet de casino, la mairie met la solidarité de côté ; elle fait de même pour la « démocratie participative » qu’elle prétend mettre en oeuvre sur Lille. En 2002, Aubry relance l’idée d’un casino « indispensable à l’évolution d’une ville internationale ». Elle se dispense pourtant de l’inscrire dans son programme électoral et de demander l’avis des lillois : aucune consultation de la population n’a été entreprise, que ce soit sur le principe d’un casino ou sur le lieu d’implantation. M.Cucheval avoue « qu’il aurait sans doute fallu faire mieux. Mais cela, il faut le dire à Mme Aubry… » [9]. Mais pour ne pas risquer de perdre des voix en vue des prochaines municipales, il semble que « la mairie a pour objectif de faire traîner les travaux pour ne pas commencer avant les élections », selon D.Plancke. En attendant, un casino provisoire ouvrira ses portes en novembre 2007 en face d’Euralille. Il s’implantera dans le bâtiment qui abritait le service contentieux d’EDF.
Devant un projet si méprisant envers la population, il est surprenant qu’aucune mobilisation ne se soit encore mise en place. Les Verts crient au loup, sans s’être donné la peine de faire une réunion publique d’information sur les conséquences de l’installation d’un casino à Lille. Mais il reste du temps, la décision a été prise récemment et le casino définitif ne verra le jour que dans plus de deux ans... D’une poule aux oeufs d’or, ce casino se transformera-t-il en boulet de plomb pour la « gauche plurielle » aux prochaines élections ?
Les jeux dans le Nord-pas-de-calais :
La région Nord-pas-de-calais est déjà celle qui se donne le plus aux jeux d’argent : 31 % des ménages qui jouent au casino, au PMU ou à la Française des jeux résident dans la région ; 300 600 “nordises” se sont rendus dans un casino ces 12 derniers mois. Un tiers y ont dépensé entre 30 et plus de 500 euros. On compte sept casinos, pour un produit brut des jeux de 130 millions d’euros. Parmi les maires responsables de l’installation de ces casinos, on peut noter M. Boquet (PC) à St Amand, J. Henin (PC) à Calais, L. Deprez (UMP) à Béthune, et bientôt Me.Aubry (PS) à Lille et G. Delcourt (PS) à Lens. Source : La Voix du Nord
Le Groupe Barrière :
Le groupe est détenu à 51 % par Barrière, et à 49% par Accor et le fond de pension Colony Capital. L’empire Barrière est colossal : 39 casinos en France et en Europe, des hôtels de luxe à Marrakech, Paris, etc, etc. Il réalise un chiffre d’affaires annuel de 1,1 milliards d’euros. Son PDG, M.Desseigne, héritier de l’empire, a déjà eu quelques démélés judiciaires. Des actionnaires minoritaires ont porté plainte contre lui pour complicité d’abus de biens sociaux dans une affaire qui remonte à 1991. Le jugement n’a eu lieu qu’en 1995 et Desseigne a donc eu droit à ...la prescription bien sûr ! Pour le futur casino de Lille, le président du directoire du groupe, M.Boinet entend attirer une clientèle nationale et internationale :« ce n’est pas seulement le casino qu’on leur vend, mais Lille dans son entier ».
Les Machines à sous :
Les chances d’être frappé par la foudre sont de 1 sur 240 000. Les chances de gagner le plus gros montant aux machines à sous varient entre 1 chance sur 4 096 et 1 chance sur 33 554 000. Autrement dit, il y a près de 10 fois plus de "chance" d’être frappé par la foudre que de gagner le jackpot aux machines à sous...
Source : British Columbia Partnership for Responsible Gaming
[1] "Les jeux d’argent misent sur la crise", Aline Chambras, Politis, 20/05/04.
[2] Interview dans la Voix du Nord du 28/12/05.
[3] "Les nouveaux drogués du jeu", Le Point ( n°1554).
[4] Comportement addictif : état de besoin vis à vis d’une drogue ou d’une pratique
[5] Dr Marc Valleur, Psychiatre-addictologue, « Le jeu pathologique », PUF, 1997.
[6] Functional Imaging of Neural Responses to Expectancy and Experience of Monetary Gains and Losses, Revue Neuron, mai 2001.
[7] Docteur JP Papart, Université de Genève, le jeu pathologique, juillet 2000.
[8] Lille Magazine n°37, octobre 2006
[9] Nous n’avons pu joindre un élu PS. Pierre de Saintignon, n°2 de la mairie s’est dit trop occupé.