Le 15 septembre était organisé un « forum ouvert » pour changer « d’ère à l’Union ». Ne reculant pas devant l’aberration d’ouvrir un « forum » dans une zone dépeuplée, l’éco-citoyenneté ne conçoit pas de rejeter l’« ère de l’Union ». Juste la changer, en un idéal petit bourgeois. Nous avons eu envie de revenir à l’Union, relire notre dossier publié en 2009, histoire de voir le changement. Le 29 septembre, dans les locaux de l’asso roubaisienne Chez Rita, une discussion s’est lancée entre gens du coin, curieux et notre estimé invité Jean-Pierre Garnier.
« Je veux dire que les méthodes utilisées sur la zone de l’Union sont pas claires, c’est tout. Ce sont des méthodes guerrières. » Échange pris au hasard de la discussion, significatif. On ne peut pas dire que la transformation de l’Union emballe la quarantaine de personnes qui se sont rencontrées Chez Rita pour parler, entre autres, des « territoires soumis à l’économie et aux opérations citoyennes ». Et pourquoi ce serait différent ? L’Union, c’est avant tout l’histoire d’une destruction. Autour de la conversation, exposés sur les murs, vingt ans de clichés photographiques le rappelaient. Une lente dévastation, avec son lot d’expulsions, de rues rasées et de paysages désolés.
La nouvelle ville
« On est dans une période de transition, entre le moment où on a laissé crever un quartier et le moment où on va le faire revivre ». En 2009, le projet de reconstruction de l’Union, issu d’un partenariat public-privé, n’était pas encore concrétisé. Il restait à raser. « Aujourd’hui les bâtiments commencent à se lever et on a un nouveau quartier. On sait pas du tout ce que ça va donner, certains craignent le flop… Mais on veut pas s’intéresser à ça, c’est pas la question. Même si ça réussit, ça réussit à qui ? Avec qui ? Pour qui ? » La réussite d’un tel projet, d’un éco-quartier, de l’implantation d’une multinationale, de l’investissement dans les nouvelles technologies, etc., cette réussite est à questionner. Car la « ville durable » n’en est pas moins profitable à ceux qui la dessinent, avec l’aide de fidèles urbanistes et architectes qui n’ont qu’à lever le doigt pour planter un phallus métallique de trois cents mètres là où ça leur chante.
Faire du blé ici et ailleurs
« Vous avez deviné que ce qui se passe dans la Zone de l’Union, et en général dans l’agglomération lilloise, se passe ailleurs. » Comme l’a rappelé Jean-Pierre Garnier, l’histoire de l’Union est à mettre en perspective. « On assiste à un processus de recyclage des anciens quartiers populaires en nouveaux quartiers. Recyclage, c’est quoi ? Pour la collaboration de classes entre les oligarchies politiques locales d’un côté et les puissances économiques et financières de l’autre — aujourd’hui ça s’appelle "partenariat public-privé", autrefois on appelait ça "collaboration de classes" —, l’objectif est le suivant : faire du blé sur les friches, soit en les transformant en quartiers pour classes aisées ou soit en y faisant venir des activités dites de pointe. » Un processus découlant d’un autre, plus large, « dit de métropolisation » et qui consiste à « donner la priorité au développement des grandes villes dans le cadre du principe de la concurrence libre et non faussée appliqué entre elles ».
Accepter ou rejeter
De quoi douter de nos forces face à ces oukases urbains. Dans la discussion, certains ont relevé à ce propos « l’incapacité qu’on a à mettre un nom sur les responsables ». La gouvernance prétend comprendre tous les acteurs, certes, mais ils sont peu nombreux à décider. « Il faut désigner ceux qui ont pris des décisions. Ceux-là on les connaît, c’est la communauté urbaine, les villes, et les investisseurs, les mêmes depuis un siècle, les Mulliez par exemple. » Seulement face à ces ennemis, des divisions existent. Certains acceptent et rendent acceptables les décisions à condition qu’elles obéissent aux canons du sacro-saint développement durable. D’autres les rejettent, luttent, s’exilent, se brisent l’échine, et n’ont plus qu’à dresser froidement le bilan.