Le bruit et l'odeur de l'industrie

dossier indus

L'été 2020 avec La Brique, on a fait un tour de la région pour observer ceux qu’on assimilait au monde d’avant : les ouvrier.es ! On ne finit pas de les enterrer et pourtant ils existent. Baladez-vous le long de L’Aa, la Lys, la Deûle, la Scarpe, l’Escaut (dans cet ordre-là), pour faire un grand tour de l’industrie du Nord. Vous croiserez peut-être, dans l’ordre, Lesieur, Astra Zeneca, Arcelor Mittal, la brasserie Goudale, la Cartonnerie de Gondardenne, Clarebout, Lesaffre, Thalès, Cargill, Bridgestone, PSA, Amazon, Nestlé, GSK, Ascoval, Toyota, encore PSA, SKF, Tereos, Stoelzle, Royal Canin… autant d’entreprises implantées très stratégiquement en bord de rivière, car l’eau est une denrée précieuse pour l’industrie.

 

D’une certaine façon, le monde ouvrier déçoit. On peine à le faire entrer dans la start-up nation. Mais Emmanuel Macron fait tout ce qu’il faut. En janvier 2020, il prononce un discours sur l’attractivité de la France à Dunkerque, sur le site de l’usine pharmacologique AstraZeneca (qui doit sa récente notoriété à la fabrication du vaccin contre le coronavirus). Il dévoile un vaste programme, intitulé « Choose France » (Choisir la France), qui promet aux entreprises internationales de pouvoir s’implanter plus souplement sur des sites « clés-en-main ». 

Mais en parcourant le Nord-Pas-de-Calais, on est tombé.es sur les habitant.es d’un village en plein milieu des Flandres qui se mobilisent contre l’implantation d’une usine de frites par le géant belge Clarebout Potatoes : deux fois plus longue que le bourg avoisinant, elle devrait créer 320 emplois. C’en est trop pour les habitant.es qui doivent déjà supporter la présence d’une centrale nucléaire (Gravelines) et d’une aciérie (Arcelor Mittal). Même si toute ta famille y travaille, t’as quand même le droit de dire que ça fait pas rêver, hein ! Du côté de Steenwerck, une ferme-usine de poulets souhaite s’agrandir, pour accueillir 800.000 volailles à l’année. Du délire ! Les habitant.es se sont constitué.es récemment en collectif, outre l’aspect non-écologique du projet et la question du bien-être animal, ils souhaitent préserver un peu de cet air que l’industrialisation n’a pas encore rendu irrespirable.

C’est vrai que le travail des ouvrier.es est crasseux mais tout le monde n’a pas la chance de travailler dans les sites d’excellence de la Métropole (Euratech, Eurasanté, Euramoncul) où les cadres dynamiques peuvent se draper de leurs considérations écologiques totalement subjectives. Pour beaucoup, travailler n’est ni un choix, ni une vocation, c’est une manière de faire chauffer la marmite. On reproche aussi au monde ouvrier de n’avoir toujours pas gagné la lutte des classes. Dans l’histoire récente du mouvement ouvrier, les défaites se succèdent alors l’idée d’une victoire semble s’éloigner toujours plus.

Dans ce numéro, on vous parle d’un plan de licenciement qui dure depuis plus d’un an ; dans une usine à Haubourdin qui appartient au numéro 1 mondial de l’agro-alimentaire : Cargill. Son chiffre d’affaire annuel avoisine les 125 milliards. À titre de comparaison, Bayer-Monsanto c’est 45 milliards. On essaye de vous montrer dans cet article que le rapport de force instauré par le géant ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre aux ouvrier.es pour défendre leurs intérêts. Ce n’est pourtant pas faute de montrer leur détermination, dans l'usine ou les luttes sociales en cours.

La « crise » actuelle est l’une des pires de l’histoire, il paraît. On peut remettre facilement en question cette affirmation : c’est loin d’être la pire année pour le capitalisme. Elle n’enraye pas les industries polluantes, elle les favorise au contraire, en même temps qu’elle précarise l’emploi.

Les ouvrier.es ne sont pas assez écologistes, dit-on ? Ils seraient trop attaché.es à des emplois qui polluent et qui n’ont pas de sens, harnaché.es au « productivisme à la papa ». Écologie et social dans l’industrie sont intiment liés. La marge bénéficiaire de ces groupes industriels est directement prélevée du carnage social et prise sur la dette écologique. La crise ne fait finalement que reproduire des absurdités que les ouvrier.es eux-mêmes ne cessent de dénoncer : tâches répétitives, absence de considération pour l’environnement et les personnes, vision à court terme de la production et de l’aménagement. Les métiers disparaissent comme ceux liés aux canaux emportant avec eux leur savoir unique que même une machine ne pourra jamais remplacer. Mais le secteur ne disparaît pas pour autant. Qui a plus de valeur entre l’humanité et l’industrie ?

Dans ce dossier, on parcourt l’actualité des luttes de la région, qu’elles soient ouvrières ou écologiques, elles posent toutes la question du devenir de l’industrie et de sa capacité à s’adapter aux enjeux sociaux et économiques qui agitent notre époque. De l’agro-alimentaire à la métallurgie, la crise exacerbe les tensions sans remettre en cause les postulats précédents en matière de production ou de respect des travailleur.ses…

 

- AU PROGRAMME DE CE DOSSIER « INDUSTRIE » -

1. Cartographie de l’industrie locale
2. Clarebout, un belge qui sent mauvais
3. L’augmentation de la population aviaire à Steenwerck
4. Cargill Haubourdin : un an de lutte
5. Mineurs marocains dans le Nord : histoire du mépris
6. Quelques brèves en vrac

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