Tous les squats ont une histoire, souvent racontée de l’intérieur1. Si la pratique peut sembler aller de soi dans certains milieux, ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde, notamment pour leur voisinage. Nous avons donc choisi ici de donner la parole à des voisin.es d’un squat d’activités politiques et d’habitation - « la Récré.e » - qui, malgré son existence éphémère (ACAB cependant), a créé le débat dans le quartier2.
Fives, à quelques encablures de la place Degeyter. Dernier jour du mois d’octobre, à la tombée de la nuit, les rues se remplissent. Des jeunes et des moins jeunes, grimé.es en zombies et autres draculas, déambulent dans le quartier et frappent aux portes à la recherche de quelques gourmandises. Rue Malsence, le spectacle est semblable à celui des allées voisines. À un détail près : aux alentours de 20h, une partie de ces personnages se regroupe et frappe à la porte d’une bâtisse dont l’abandon est manifeste. Ce soir-là, comme par magie, la porte s’ouvre. Entrent alors les étranges visiteur.ses.
Journée portes ouvertes à l’école
Dans la rue, la nouvelle se répand rapidement. Certain.es habitant.es ouvrent leur fenêtre, intrigué.es par le bruit et la musique qui réanime ce lieu qu’on pensait muré pour toujours. D’autres s’étonnent de la coloration donnée à cette soirée par les gyrophares des voitures de police qui s’engouffrent à leur tour dans l’artère. Le lendemain, le lieu est toujours occupé, ses habitant.es semblent vouloir rester pour un moment. Entre voisin.es, ça discute. Certain.es ont vu des personnes masquées qui semblaient surveiller la rue depuis les fenêtres. Le mot est lâché : « Ça squatte dans l’ancienne école Georges Sand... ». Mais qui sont ces étranges personnages qui semblent venir troubler la quiétude de la rue ?
Léon3 est l’un de leurs voisin.es. Les squatteurs.es, il connaît. Propriétaire d’un bâtiment dont il loue les appartements, il s’est déjà retrouvé dans une situation où il a dû entreprendre une procédure d’expulsion contre l’une de ses locataires qui ne payait plus ses loyers. Autant dire qu’il ne voit pas ça d’un bon œil et que le squat de la bâtisse ne lui dit rien qui vaille. Un matin, on frappe à sa porte, il n’est pas là. Il retrouve le soir même dans sa boîte aux lettres un courrier que tou.tes ses voisin.es semblent avoir également reçu. Il y est question de réquisition des bâtiments abandonnés, de logement de personnes sans-abris et/ou sans-papiers et de volonté de recréer un lieu d’activités, ouvert, dans le quartier. Mais aussi d’une invitation à venir prendre un café et discuter.
Troublé par l’invitation, il décide d’y répondre. D’autant qu’il connaît bien le bâtiment : les Francas4 l’occupaient jusqu’il y a l'été dernier et la « Fête des voisins » y était organisée chaque année. Mais depuis plus rien. Alors, curieux, il frappe à la porte et vient partager un petit-déjeuner avec ses nouveaux.elles voisin.es. Il habite à Fives depuis plus de quinze ans, a vu le quartier évoluer, et s’asceptiser. Il est tout de même surpris par l’énergie qui se déploie autour de lui : travaux de remise en route du bâtiment, aménagement des espaces, écriture de textes. En repartant, il demande aux occupant.es s’iels ont besoin de quelque-chose : nourriture, outils, matériel de cuisine... Il est bientôt suivi par d’autres habitant.es qui arrivent les bras chargés de matériel en tout genre.
Réquisition collective contre
inaction publique
Quelques jours plus tard, une banderole flotte sur la façade de l’ancienne école : un.e écolier.e malicieux.se coiffé.e d’un bonnet d’âne y est dessiné.e, au dessus de ce qui semble être le nouveau nom donné au lieu par ses occupant.es : « la Récré.e ». En sortant de chez elle, Nadia s’en étonne. Pour elle, un squat c’est un endroit plutôt discret (conseil donné ?). Dans la rue, elle sait que les nouveaux.elles arrivant.es divisent. Elle-même ne sait pas trop quoi en penser. D’un côté, elle se réjouit de l’atmosphère nouvelle donnée par ce lieu et de la présence de nombreuses femmes pour y participer. Elle apprécie également les chants révolutionnaires et féministes qui résonnent dans le quartier lorsqu’un dimanche, les occupant.es organisent un goûter festif où tou.te.s les voisin.es sont convié.es.
D’un autre côté, elle n’est pas sûre d’être convaincue par la méthode : oui il y a urgence à loger des personnes à la rue, mais elle pense que cela devrait pouvoir se faire en frappant à la porte de la mairie, malgré la lourdeur administrative de ces démarches. Elle a aussi entendu que le lieu n’était pas aux normes. Des bruits confirmés par un courrier envoyé par la mairie dans les boites aux lettres du quartier. Qualifiant les occupant.es « d’activistes », la lettre annonce que les lieux seront rapidement évacués pour éviter toute « forme de dérive » et pour des raisons de sécurité.
La question de la légalité reste un frein pour de nombreux.ses voisin.es. Et ce malgré leur soutien à la démarche. Léon a ressenti « cette tension entre le droit et le devoir ». Mais quand la question de l’expulsion arrive sur la table, personne n’est surpris. Même si certains arguments peuvent prêter à rire : « Ils disent qu’ils veulent faire des travaux pour refaire une école, mais personne n’y croit ici ». « Ça fait des années qu’ils disent ça alors je vois pas pourquoi il y aurait urgence maintenant ! ». La municipalité étonne par sa réactivité et en prend pour son grade : « franchement, ne même pas laisser la trêve hivernale, c’est juste dégueulasse... »
Mais tous.tes n’adoptent pas le même point de vue. Malgré plusieurs tentatives de discussions, l’un des voisins ne se gêne d’ailleurs pas pour filmer les entrées et sorties de celleux qui viennent frapper à la porte du lieu, menacer les occupant.es et rigoler avec les flics lorsques ceux-ci rappliquent. Ambiance... D’autres ne veulent simplement pas se mêler de ça car iels savent que leurs voisin.es ne sont pas d’accord, même s'iels n’y voient personnellement aucun inconvénient.
Expulsion, rumeurs
et calomnies
Tôt ce matin, Nadia est réveillée par des bruits sourds provenant de « la Récré.e ». En jetant un regard par la fenêtre, elle observe d’étranges lasers rouges se déplaçant dans la cour de l’école. Puis des cris. C’est le RAID qui frappe à la porte à sa manière. Choquée, elle décide de descendre dans la rue voir ce qui s’y passe mais se fait refouler par des agents. Léon, de son côté, suit la scène depuis sa fenêtre. Révolté par l’ampleur du dispositif, son seul sas de décompression sera d’avoir pu assister à l’échec de l’ouverture de la porte d’entrée malgré l’utilisation de sangles arrimées à un 4x4 blindé. Quelques instants plus tard, ce sont bien les habitant.es qu’il voit sortir encadré.es de policiers cagoulés et armés de fusils d’assaut.
Le quartier se réveille et la rue s’active tandis que les premier.es ouvrier.es s’affairent déjà à effacer les traces de la présence des occupant.es de « la Récré.e ». Les événements de la nuit animent les discussions de voisinage. Des rumeurs se propagent, notamment parmi celleux qui voyaient le lieu d’un mauvais oeil : « il paraît qu’ils faisaient pousser de l’herbe à l’intérieur... », « ils ont tout dégradé ! ». Inutile de préciser qu’aucune de ces personnes n’est entrée dans les lieux certifier ces dires. C’est un conseiller de quartier qui le confirme : « M. Duhem nous a montré des photos ! Il y avait même des bonbonnes de gaz installées autour de la chaudière ! C’est n’importe quoi !5 ».
Entre des dangereux.ses activistes-dealers- teufeurs-squatteurs et un groupe de personnes qui avait décidé d’occuper un lieu ouvert au quartier et aux personnes désireuses d’avoir un toit sur la tête, difficile de dépatouiller le vrai du faux dans toute cette histoire. Rapidement, le sujet s’efface, laissant à nouveau place aux discussions de voisinage habituelles.
Pourtant, pour certain.es, il laissera une trace. Nadia revient sur l’enthousiasme de ses enfants et la façon dont ils ont été accueillis par les ancien.nes occupant.es. Et si la vérité sort de la bouche des enfants, on ne peut que les croire, surtout quand il est question de récré.
1. Voir à ce propos et entre autres papiers et pour les plus récents, les n°52, 56 et 59 de votre canard favori.
2. Pour plus d’infos sur le lieu et ce qui s’y est passé, voir notamment « [La récré.e ] Ce n’est qu’un au-revoir » disponible sur le site Indymedia Lille.
3. Les prénoms ont été modifiés dans cet article.
4. Mouvement d’éducation populaire en faveur de la jeunesse.
5. Maire de quartier et premier flic de Fives, Sébastien Duhem cumule également les activités de gentrifieur en chef du quartier et de chasseur de crottes de chien à ses heures perdues (et donc fin utilisateur de photoshop).