En voulant sauver les animaux, on finit par être mis en cage. C'est le cas de deux militant.es antispécistes mis.es en détention provisoire le 8 février 2019 après 48h de garde à vue avec deux autres militant.es placé.es sous contrôle judiciaire. Cette répression d'une lutte politique s'inscrit dans la lignée de plusieurs procès contre des personnes soupçonnées d'avoir commis des dégradations et incendies sur des boucheries, poissonneries et restaurants entre avril 2017 et janvier 2019. La Brique s'est penchée sur le sujet et vous retrace leurs histoires.
L’antispécisme est un courant de pensée théorisé dans les années 1970 qui combat le spécisme, une conception du monde hiérarchisant les epèces entre elles en plaçant les humain.es au sommet. Depuis mars 2017, la lutte antispéciste européenne est en train d’évoluer dans son discours et ses actions. Dans la lignée du mouvement Animal Liberation Front en 1976 en Angleterre, on peut voir de plus en plus de militant.es critiquer les modes de contestations institutionnelles et multiplier les actions directes offensives visant le système économique.
Le cas lillois luit nationalement
Avril 2017 marque le début de cette transformation stratégique à Lille : sept boucheries sont recouvertes de faux sang. À partir de mai 2018, des attaques ont lieu une à plusieurs fois par mois contre des restaurants et boucheries. Cette fois, ce sont des caillassages qui visent les vitrines, accompagnés de l'inscription « Stop Spécisme ». Ces militant.es antispécistes se définissent autrement que comme de simples « anti-viande », puisqu'ils et elles remettent en question plus largement le système de production basé sur l'exploitation animales.
Bien que principalement centrées à Lille, des actions ont lieu dans toute la France, faisant monter la pression politique et médiatique. La presse titre : « Slogans radicaux et méthodes musclées : les vegans vont-ils trop loin ? » ou encore « À Lille, des commandos vegans attaquent des boucheries et des poissonneries ». C'est bien l'utilisation stratégique de la violence qui est pointée : les médias font front commun pour la dénoncer et diviser la population, parlant même d' « extrémisme vegan ».
Les boucher.ères contre-attaquent !
Face aux actions répétées des antispécistes, les boucher.ères s'organisent et envoient fin juin une lettre au Premier ministre pour demander une protection policière devant leurs magasins. Stratégie gagnante puisqu’ils et elles vont être reçu.es au Ministère de l’Intérieur la semaine suivante. Fin août, le festival vegan de Calais est interdit par la mairie, suite aux menaces des boucher.ères et chasseur.ses de la région. Finalement, cette décision est annulée par le tribunal administratif et le festival se maintient¹.
De novembre à janvier 2019 des attaques continuent plusieurs fois par mois dont trois tentatives d’incendie. Fin septembre, de peur de voir arriver de nouvelles attaques, les boucher.ères de Lille embauchent des vigiles pour surveiller leurs établissements pendant tout un week-end. On n’avait encore jamais vu en France une mobilisation directe des professionnel.les de la viande contre les activistes antispécistes : jusqu'alors, c'est tout juste si le grand public connaissait leur existence.
Les antispécistes, ennemis publics
La répression ne se fait pas attendre. Une première vague de perquisitions a lieu en septembre 2018 contre six activistes, présumé.es auteur.ices des attaques de boucheries à Lille. Deux sont poursuivi.es pour dégradations volontaires en réunion et placé.es en contrôle judiciaire. Leur procès est prévu le 14 décembre 2018 mais, face à la pression politique et médiatique, il est reporté au 2 mai pour se tenir avec trois juges au lieux d’un.e. Les deux personnes inculpé.es sont maintenu.es en contrôle judiciaire jusqu’au procès.
Le 6 février, la police perquisitionne les habitations de militant.es antispécistes. Elle en interpelle quatre dans la métropole lilloise et le Pas-de-Calais. Après être resté.es jusqu’à 48h en garde à vue, les quatre passent en comparution immédiate le 8 février.
Le retour du grand méchant terrorisme vert
Le juge annonce dès le début que le procès va être reporté puis enchaîne avec un grand classique des tribunaux, le mépris de classe. Généralement, la lecture des « biographies » de chaque inculpé.es sert à vérifier si elles et ils rentrent dans la norme, leur rappeler de faire des études ou de traverser la rue pour trouver un travail plutôt que de se retrouver au tribunal. Cette fois-ci, ce rituel semble perturber le juge : « vous n’avez pas le profil habituel des personnes qui se retrouvent là » ou encore « vous êtes comme votre coprévenu, vous avez un bon niveau ». Damien Legrand, l’avocat de la Fédération des bouchers, charcutiers, traiteurs des Hauts de France dont le président Laurent Rigaud est là, exhorte le juge à faire preuve de fermeté : « Le nombre restreint de personnes interpellées ne limite pas la gravité des faits. Cela détruit certaines vies personnelles, professionnelles, les dégâts sont estimés à plus de cent mille euros, certains ne se relèveront pas. ». N’étaient-ils pas assuré.es ? La presse cite d’ailleurs un boucher ciblé par un caillassage qui dit que sa clientèle a augmenté suite à cette « publicité ».
Les condamner pour l'exemple L'avocat continue en demandant la fermeté maximum : « J'adresse mes félicitations au travail policier. Je rappelle que ce n'est pas le premier procès de ce genre, et du fait de la légèreté de la réponse, les faits se sont poursuivis. » et finit par : « Chaque décision porte un symbole ». Pour lui, il faut que ces activistes soient condamné.es pour l'exemple.
Le procureur axe tout son réquisitoire sur l'utilisation de la violence et insiste sur les incendies : « L'incendie est historiquement considéré comme l'un des crimes les plus atroces. On agit par haine et par vengeance. ». Mettant de côté la dimension politique des actions, il continue en donnant un cours d’histoire : « En 1666 un incendie a détruit Londres. […] La France est un pays libre, on ne peut pas utiliser la violence, l'incendiecommemoyen pour faire avancer ses idées. » Pour lui, les antispécistes sont des « écoterroristes », contre qui il demande dix ans de prison ferme.
En prison sans passer par la case maison
Le procès est finalement reporté au 19 mars 2019 pour ce qui sera le premier débat sur l’antispécisme dans un tribunal français. En attendant, les activistes seront surveillé.es de près : contrôle judiciaire pour Eden et Sacha2 qui doivent quitter leur département avec l’interdiction de se contacter avec couvre-feu de 21h à 6h. Alix et Lou2 sont préventivement incarcéré.es à la prison de Sequedin.
En déposant des lettres à la prison de Sequedin pour soutenir les deux inculpé.es emprisonné.es, des membres du comité de soutien aux activistes antispécistes apprennent que tous les courriers qui leur sont envoyés seront d’abord lus par le magistrat pour rechercher d’éventuels indices supplémentaires. Les visites, même de leurs familles, leur sont interdites. Une action de plus pour les isoler et essayer de réduire en cendre le mouvement.
Alors que l’exploitation animale est attaquée depuis plusieurs décennies, comme toujours, l’État ne connaît que la répression. Pourtant, les actions directes des antispécistes incitent à la réflexion sur nos modes de vies et dominations. Ça amène aussi à questionner la répression policière et judiciaire. Les cages, c'est pour personne tout être vivant confondu !
D'ailleurs, à l'heure où nous terminons l'écriture de ces lignes, un vice de procédure a fait sortir les activistes de leur cage d'acier, après 33 jours d'enfermement.
Sutter Cane
Une date à retenir Le 2 mai, les deux militant.es accusé.es d’avoir commis des « dégradations volontaires en réunion » sur plusieurs commerces à Lille passent en procès. Le même jour, deux militant.es comparaissent pour refus de donner le code pour déverrouiller leur téléphone lors des perquisitions et garde à vue de septembre 2018. Vous pouvez trouver plus d’informations sur le site : csaa.noblogs.org Une cagnotte est disponible en ligne à l’adresse : cotizup.com/antispeciste |
1. Sur ce sujet relire, « La guerre du steak n’aura pas lieu » dans La Brique n°56, « Interdit au public » et petit erratum sur la chronologie des actions et le nombre d’accusé.es au procès de décembre.
2. Les prénoms ont été modifiés