Réforme de l'assurance chômage : des coups de bâtons pour se faire carotter

Théâtre Sébastopol OccupéLa réforme de l'assurance chômage était dans les cartons de La République en Marche depuis le départ. Objectif affiché : remettre au travail celles et ceux qui coûtent « un pognon de dingue ». Ça paraît compliqué dans un pays qui a vu un million de chômeur.ses supplémentaires sur l'année 2020, sur 30 millions de personnes actives. Objectif dissimulé : saper le système de solidarité à un moment où celui-ci est pourtant particulièrement utile à l’économie et à la team Macron. Contre tout discernement, la réforme a bel et bien lieu (1).

 

Dès 2017, Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, annonce en fanfare : diminution de 150 000 demandeur.ses d’emploi d’ici 2021. Ça ne signifie absolument pas des emplois créés à la clef. On taille simplement dans le nombre de personnes indemnisées. Une réforme de l’assurance chômage est donc à l’ordre du jour. On apprend avec fracas dans la presse bourgeoise que le gouvernement tend à inciter les entreprises à moins recourir aux contrats courts – soit plus d’un mois (2). Serait-ce une mesure de gauche ? N’en croyez rien, voici la logique du « en même temps » à l’œuvre.

Vieille rhétorique

Derrière la réforme décrétée en 2019 sous le nom « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » (sic) se cache un tour de passe-passe de la Macronie. L’État demande aux « partenaires sociaux » de s’entendre sur une « lettre de cadrage » impossible à tenir : les négociations échouent. Les patrons ne veulent pas être pénalisés s’ils recourent trop aux contrats précaires, les salarié.es refusent quant à elles et eux de réaliser 1,3 milliard d’euros d’économies supplémentaires par an pour éponger les dettes de l’Unédic (association qui gère les allocations chômage).

Cette dette est héritée du désengagement du même État dans le financement de Pôle emploi à charge de l’Unédic, depuis 2008, merci Sarkozy. L’État, qu’il soit sous Sarkozy, Hollande ou Macron, organise également des exonérations de « charges sociales » au nom de la « compétitivité » pour « créer » de l’emploi. Or, ce sont autant de fonds qui n’entrent plus dans la caisse d’assurance chômage. Drôle de jeu de rôle où l’État est à la fois bourreau et de l’infirmier.

Dans une prétendue impasse, Macron s’octroie le titre de faux sauveur au détour d’une de ses petites phrases légendaires : « Chaque jour, dans le pays, on dit : "Corps intermédiaires ! Démocratie territoriale ! Démocratie sociale ! Laissez-nous faire !" Et quand nous donnons la main : "Bon, monsieur, c’est dur, reprenez-la" » (3). Du grand art rhétorique grimé en bon sens. Et l’État impose autoritairement son projet à la barbe des organisations syndicales et patronales, c’est une « prise en otage » (comme il est coutume de dire) de la Caisse de l’assurance chômage. Ceci étant rendu possible car une large majorité de la population ne connaît pas ou peu les mécanismes de solidarité liés à l’emploi.

Centralisation et recadrage…

Les mains libres, l’État opère une reprise en main du financement de l’assurance chômage et modifie ses conditions de financement, seul. Dès lors, les salarié.es ne cotisent plus un pourcentage de leurs revenus pour l’assurance chômage. La cotisation est remplacée par l’augmentation de l’impôt sur la Contribution sociale généralisée (CSG) dont les taux sont fixés par l’État lui-même.

Issu de la force de travail, cet argent, jusqu’alors fléché directement vers une caisse au profit des travailleur.ses « privé.es d’emplois », passe à un impôt qui va tout droit dans le budget global de l’État avec la fin de la gestion paritaire de la caisse. Pour augmenter l’effet d’aubaine : la « simplification » de la fiche de paye et le prélèvement à la source des impôts n’aident pas à la bonne perception de l’entourloupe.

Pour la faire courte, c’est comme si le ministère de la santé touchait directement et administrait lui-même la sécurité sociale du pays… sauf que là, c’est pour le travail.

Premières mesures réactionnaires…

L’application de ce décret a été totalement chamboulée par la crise Covid. Néanmoins, grâce aux recours massifs au chômage partiel, on constate en 2020 une diminution des faillites d’entreprises (-38 % par rapport à 2019 ). C’est donc que malgré tous les bidouillages, le système de solidarité fonctionne, permet de mieux tenir et est utile à l’économie. Que se passera-t-il vraiment quand les aides cesseront ?

imagereforme1Qu’importe, la Macronie organise le mal, les conditions d’accès à l’assurance chômage sont durcies dans ces aléas covidiens. Sentence directe :

  • Il faudra avoir travaillé 6 mois (contre 4 mois) sur les 24 derniers mois (contre 28 mois) pour percevoir une allocation de retour à l’emploi.
  • Le rechargement ou l’ouverture des indemnités est repoussé à 6 mois (contre 1 auparavant).
  • Les règles de calcul de l’indemnisation du chômage changent : la formule de calcul du salaire journalier de référence modifie le montant à la baisse de l’allocation journalière.

reforme

S’ajoute à cela le fait qu’une personne pourra être privée de ses droits et radiée de Pôle emploi si elle refuse 2 offres « raisonnables » d’emploi. On peut commencer à compter les pauvres et les futur.es pauvres et espérer qu’une prochaine réforme ne s’occupe pas du RSA (dont le montant, 560 €, est comparable aux indemnités chômage perçues dans certaines situations avec la réforme). S’attaquer à l’assurance chômage au moment où on en a le plus besoin, il fallait oser.

Picsou est ami avec les Rapetou

Vous comprenez bien qu’on n’effiloche pas l’assurance chômage en un jour et aussi brutalement. Mais la magie avec laquelle les droites s’acharnent est absolument renversante. Qui a vu ou compris la disparition des cotisations à l’assurance chômage sur les fiches de paie au profit d’une augmentation de la CSG ? Qui a compris le sens profond lorsqu’une cotisation devient un impôt, lorsqu’un bien commun devient une arme aux mains d’un état ultra-libéral ? Qui a vu en conséquence la disparition d’une caisse de solidarité des travailleur.ses financée par eux-mêmes et les patrons au profit du budget de l’État ? Si vous ne devez retenir qu’une seule chose, c’est leur credo depuis le début : privatisation des profits, mutualisation des pertes. Et à ce jeu-là, la mutualisation des pertes tant liées aux crises économiques antérieures qu’à l’actuelle sera, nous vous l’assurons, pour nos gueules.

L.M., Sacha Peurh & Harry Cover

 1. Lire l'entretien avec Jean Gadrey, économiste, dans La Brique, n°62 « Indéboulonnables » (été 2020).

 2. Le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) de moins d’un mois a augmenté de 250% en 10 ans, alors que l’activité n’a augmenté que de 15%.

 3. En marge d’un dîner avec les président.es de Départements, le 21 février 2019.

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