C'est désormais la petite coutume à La Brique, une rubrique « Culture », pour parler des choses issues de la culture qu'on aime bien ou qu'on a découvert récemment. Séries, feuilletons, théâtre, films, musiques, bouquins… La plume et le masque, nommés ou décrits dans votre canard préféré. C'est une page qui est marquée par des avis personnels, à la différence du reste du journal qui est écrit de manière plus collective (on essaie).
TV shows, feuilletons et séries The loudest voice. The morning show. Hindafing. Mytho. Our boys. Peepoodo & the super fuck friends. (la série has been de la saison) Bertoni, pour 43000 stéradians |
Petites histoires de chants de lutte
Hegoak : lutte des classes et lutte d’indépendance au Pays basque « Hegoak ebaki banizkio, neuria izango zen. Es zuen aldegingo. » « Si je lui avais coupé les aiiiiiiles, il aurait été à moi… il ne serait pas partiii » : Hegoak, hymne du Pays Basque, simple poème sur les impasses d’un amour par trop possessif ? Ode gentillette à la liberté ? Tsss tsss… resituons le contexte : en 68, alors que le franquisme fait des campagnes de débasquisation et interdit l’usage de la langue (en France, la colonisation intérieure républicaine avait usé des mêmes armes), le poème, écrit sur un coin de nappe par Joean Artxe, devient un signe de résistance. Quelle est en effet la situation ? Le Pays basque fut une éphémère République autonome en 36, statut politique évidemment perdu avec le coup d’État. Sous Franco, le Pays basque, première région industrialisée d’Espagne, subit un véritable pillage fiscal : les richesses produites par les travailleur.ses basques financent le développement du désert castillan. Cette exploitation n’a pas que des motifs pragmatiques : elle naît aussi du racisme de l’État central, qui voit les Basques comme autres que les Espagnol.es. Pillage, déculturation, racisme : tous les ingrédients sont réunis pour faire du Pays basque une région colonisée. Otxoa Manuonvatexerxexetoa
Kalliolle kukkulalle Oui, oui, on connaît El pueblo unido, La Semaine sanglante et autres Get Lucky. Mais parmi les chants de lutte, connaît-on suffisamment Kalliolle kukkulalle ? Cette mise à l’écart de la culture finnoise est insupportable : faisons cesser cette injustice. La chanson, comme de nombreux chants folkloriques, remonte au début du XXe siècle. Elle est composée par Väinö Varmanen, un instituteur des faubourgs ouvriers d’Asikkala. Son propos semble simple : la chanson parle de la nostalgie qui étreint le narrateur à l’évocation de sa cabane dans les bois où l’eau est claire et la forêt sombre. Le narrateur explique que le couvert sera toujours dressé pour le.la visiteur.se de passage, qu’ensemble iels partageront chaud mais aussi froid (la scène se passe en Finlande), et que le visage de l’inconnu.e restera gravé dans sa mémoire, comme on dit. Derrière le propos simple et bucolique, on le voit, c’est une profonde philosophie qui se dégage : luttons contre la conception restrictive et égoïste de la propriété privée qui nous dresse les un.es contre les autres (mais pas tout contre, malheureusement), revalorisons l’amitié et l’hospitalité comme lien politique*. Les membres du mythique groupe Oktoberklub, qui furent un peu les Beach Boys de RDA (République démocratique allemande), ne s’y sont pas trompé.es : leur version de la chanson, sous le titre Helle Wasser, Dunkle Wälder, a bercé plus d’une jeunesse berlinoise. La musique chorale, en Allemagne de l’Est, n’était pas séparée de la vie et, en particulier, était associée à la natation : dans les quartiers ouvriers, les immeubles regroupant salle de concert, bibliothèque, piscine et bar, tout accolés, étaient monnaie courante. Boire son demi(-litre) à la sortie de l’usine entre les camarades qui nagent et celleux qui chantent. Aujourd’hui cet idéal communautaire n’a été remplacé : l’Allemagne de l’est est grise et blafarde. (*) Sur la valeur politique de l’amitié, nous renvoyons à l’œuvre intégrale d’Agamben. Andreas Schoenbeck |
Parlons poésie La sirène de Satan La lutte a besoin des artistes, des créateur.rices, quelles que soient les cordes à leur arc. Le mouvement social actuel à cet égard est sans précédent : danseurs.ses, musicien.nes, plasticien.nes, personnels de la culture sont uni.es sur le front des protestations. En temps d’affrontements la poésie est plus que nécessaire, faire sans serait une erreur. La maison d’édition Hourra a célébré sa naissance le 10 décembre 2019 après la seconde manifestation de la mobilisation contre la réforme des retraites, ce qui est loin d’être un hasard. Le premier texte, Et la rue (publié en première instance sur Lundi Matin), nous ramène en 2016, la loi travail, Nuit debout : moment de mobilisation sociale dont le souvenir reste vivace. Il nous promène dehors, d’une rue à l’autre, d’une pensée à l’autre, de fatigue en révolte, de déambulation en manifestation. Le second, La sirène de Satan, débute un quinze août pour revenir jusqu’à nous. Dépeint sans concessions, tant dans les trop-pleins que dans les creux, ce qui précède aujourd’hui. Un Paysage prophétique devant lequel nombreux.ses d’entre nous ne se voilent plus la face. je dois te dire que désormais Il est donc possible de créer, de puiser une substance qui deviendra Beau, dans toute la fatigue et la joie de la révolte, autant que dans la brutalité et l’ignominie du camp adverse. Cette poésie-là, célébrons-la, car elle ne finira jamais de nous raconter et nous inventer. Outre un texte qui mène lui aussi un combat, on peut également estimer le soin porté à l’objet dans lequel rien n’a été laissé au hasard. Chaque contribution à l’ouvrage est remerciée et signifiée. Les éditions Hourra sont jeunes, déterminées et prévoient de publier bientôt Organt de Louis Antoine de Saint-Just, ainsi que de John Berger. Longue vie à elles ! Ouvrage disponible en commande sur internet et dans les librairies lilloises. Sacha Peurh |