Université de Lille : option occupation

Occupation Lille 3Le campus de Lille 3 regroupe les filières littéraires et sciences humaines et certain.es de ces étudiant.es se sont mobilisé.es en parallèle du mouvement contre la réforme des retraites. Pendant deux semaines, un bâtiment du campus de l’Université Pont de Bois appelé le « Théâtre des Passerelles » est occupé jour et nuit par des étudiant.es. On vous raconte ici comment on en est arrivé là.

Des blocages sont organisés, souvent les jours de grève nationale.  D’abord à Lille 2, le campus étant plus facile à bloquer. Puis à Lille 3 et même deux fois sur l’énorme campus de Lille 1 où des étudiant.es sont parvenu.es à empêcher l’accès à certains bâtiments. Il y a des tentatives variées de faire lien avec le monde ouvrier   : on parle de Verbaudet, d’Ilévia, des cheminots, certain.es participent à des blocages (port de Lille, périph’, lycées...), et on rejoint les manifestations de l’intersyndicale avec un cortège déter...  

Au bout de plusieurs manifestations, on sent la volonté faiblir, le nombre de manifestant.es diminue tandis que le cortège étudiant reste fourni et bruyant. Pour trouver un second souffle, certain.es étudiant.es envisagent une occupation à Lille 3. Une tentative avait déjà eu lieu à Lille 2 en février et s’était soldée par une expulsion le soir même par la police. On veut durcir le mouvement étudiant pour faire entendre les revendications spécifiques, redonner de la force à ceux qui se mobilisent contre la réforme des retraites.

Un « rapport de force » avec la présidence

C’est un lundi soir que ça a vraiment débuté. Une AG comme tant d’autres se déroule ce 27 mars après les cours, juste avant la fermeture de l’établissement. Pourtant, l’ambiance est différente, on discute moins et on s’agite plus.

Organisé.es en pétale (1), on dessine des plans, on va repérer des zones du campus, on prépare des sac à dos, on fait circuler des informations. Puis quelqu’un annonce que la sécurité est en train de fermer des portes. Les étudiant.es se lèvent et s’éparpillent dans l’établissement. La sécurité comprend ce qui se passe mais c’est déjà trop tard. Les étudiant.es rouvrent des portes, font rentrer des camarades par des issues de secours, bloquent des salles avec des tables. Puis enfin, ils s’installent et se réunissent pour s’organiser. L’occupation de Lille 3 a commencé   !

Deux semaines durant, des étudiant.es se relaient pour occuper les lieux, la journée mais surtout la nuit. Voilà un sacré caillou dans la chaussure de la présidence, qui avouera qu’elle craint des dégradations et des accidents. C’est un «   rapport de force   » qui s’installe. Les étudiants savent que dans le contexte actuel, les faire dégager par la police abîmerait la précieuse réputation que le président Régis Bordet souhaite entretenir. Alors il est obligé de venir négocier. S’il cherche à faire venir une délégation au siège de la fac, les étudiant.es refusent  l’entretien aux conditions posées par la présidence. Ils posent les leurs et forcent le président à se déplacer sur le campus qu’il est censé diriger. Si le cadre du normal et du légal a été dépassé, c’est bien parce que l’occupation a changé la donne.

Plusieurs de ces rencontres ont lieu, les étudiants veulent faire entendre leurs revendications. Pour montrer leur bonne volonté, iels se gardent de dégrader les lieux, acceptent de couvrir les caméras la nuit plutôt que de les casser, laissent les cours se dérouler, y compris dans les parties occupées, abaissent leur demande de note palier de 15 à 10. Pourtant quand des élèves syndiqué.es parlent de la pression mise sur les étudiant.es, de la crainte des redoublements, des perturbations des partiels à venir et des cours manqués, la direction avance une prétendue incapacité à agir, tout en s’opposant aux propositions des étudiant.es en parlant de «   réputation de l’établissement   », du «   manque de mérite   » qu’auraient ces diplômes… «   Régis Bordet a utilisé tous ses talents d’orateurs pour nier ces problématiques réelles. Avec un discours mélodramatique sur son parcours, totalement hors-sujet   » écrivent-iels (2).

Pire, le président va avancer, sûr de lui, que la majorité des élèves ne souhaite pas cette note palier à 10, et qu’ils tiendraient à passer leurs examens pour une sorte de «   plaisir d’accomplissement   ». Le soir même, les élèves mobilisés organisent un sondage énorme qui obtient plus de 3 000 réponses en moins de 24 heures, avec une prévalence de 90   % de sondé.es favorables à cette note palier, montrant bien la totale déconnexion de la direction avec celleux qui subissent ces conditions d’études. Ce sondage sera encore une fois balayé d’un revers de la main par la présidence, qui n’en tiendra pas compte et s’efforcera de maintenir les examens sous leur forme initiale.

D’autres revendications ont été avancées, notamment une demande de moyens pour la rénovation des bâtiments, Lille 3 étant le campus le plus délabré des trois. Encore une fois, la présidence essaie de se déresponsabiliser et de dire qu’elle n’y peut rien. Pourtant, en 2022, l’établissement a été capable de débourser 250 000 € pour se doter d’un nouveau logo et d’une charte graphique qui répond bien aux critères d’une université libérale, plus start-up que lieu de recherche, de culture et de vie. Les mornes slogans «   Inspirons demain   » inscrits sur l’établissement sonnent creux...

Un lieu de vie alternatif éphémère

L’occupation n’est pas qu’un rapport de force, elle a aussi permis de créer un véritable lieu d’expérimentation et de vie. Les murs du bâtiment se couvrent de pancartes colorées (plutôt que des tags puisqu’il est convenu de ne pas dégrader) porteuses de slogans politiques, plus ou moins liés à la situation universitaire. On peut retrouver des « La retraite   ! On s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder ! », « SQUAT THE WORLD / SQUAT TA FAC », « Rendez-nous l’université publique », « Lille 3 Antifa », « Bordet Dégage », « Macron explosion », « Repas à 1€ pour tous » ou encore « Queer Black Bloc » et « ACAB ». Les plus visibles sont un grand « LILLE 3 OQP » ainsi qu’un immense drap noir symbole de l’anarchie ( il a disparu un beau jour, peut-être un trophée pour les droitards rageux de l’UNI (3) qui ont publié la veille une tribune anti-occupation).

Un info-kiosque fait son apparition, rempli de stickers anarchistes et queer-féministes divers, ainsi que des zines sur des sujets très larges, allant de la lutte anti-nucléaire au récit d’autres occupations à Lille, en passant par un manuel de sabotage. Des salles sont assignées pour servir de dortoir. Une cuisine est construite à partir de palettes, avec un réchaud et même un frigo. Un free shop est mis en place pour accueillir des dons de nourriture, de vêtements et de produits d’hygiène, disponibles pour les occupant.es et quiconque en aurait besoin. Et surtout, un tableau qui sert d’agenda pour organiser des activités.

Occupation de Lille 3

Transformée en un lieu fantôme par le Covid et sa gestion politique, vide de joie et juste bonne à être utilisée pour l’obtention d’un diplôme, l’université retrouve une existence, et jusque tard dans la nuit. Le but est aussi d’intéresser des étudiant.es peut-être moins politisé.es. Les amphithéâtres rendus grisâtres par d’interminables examens silencieux s’éclairent le temps d’une après-midi aux couleurs noir et rouge du film V pour Vendetta, pour une soirée jeux vidéo sur Worms ou avec les mots doux de Joey Glüten (4) en journée. Le midi, une cantine quotidienne végan à prix libre s’organise, faisant joyeusement concurrence au stand de pâtes du Crous. En fin de semaine, des concerts sont annoncés, des groupes de punks sont invités et des DJ sets s’organisent avec des sound systems. Malgré les suppliques de la présidence qui demandait leur annulation, mais sans rien lâcher dans les négociations, ils ont quand même lieu, les couloirs de la fac servant de caisse de résonance.

Des réveils sportifs pour les plus motivé.es, un cours de twerk, des ateliers pancartes, des discussions sur Sainte-Soline ou sur comment gérer des négociations, voilà le programme. Un rap est même écrit et enregistré, en réponse à celui fait lors de l’occupation précédente en 2018. Sur les réseaux sociaux, on partage  photos et informations (@LillePasserelle sur Twitter et Instagram). Si certaines activités paraissent plus politiques que d’autres, elles le sont toutes pour les occupant.es. Organiser soi-même ses loisirs plutôt que de les soustraiter à l’économie marchande est une forme de défiance et de libération éphémère d’un système oppressif. De même, on s’essaye à une organisation alternative et on réfléchit à la façon dont on pourrait vivre sans capitalisme.

La fin d’une occupation, pas de la mobilisation

Pendant que les étudiant.es de Lille 2 se torturent les méninges enfermé.es dans leur amphi, on chante sur les barricades de tables et de plots de chantier qui se sont montées tout autour du campus de Lille 3, à une dizaine d’arrêts de métro de là. Peu d’étudiant.es viennent, ou iels repartent rapidement, habitué.es par les quelques précédents blocages qui ont obligé la fac à fermer. En tout, ce sont trois jours consécutifs réservés aux partiels qui sont bloqués par les étudiant.es mobilisé.es. Ceux de Lille 1 essaient de faire de même et, devant l’immensité du campus, y parviennent tant bien que mal grâce à un coup de main de la CGT. «   Passer les partiels comme si de rien n’était après tout ça, c’est aberrant   » justifient-ils dans leur tract.

De nombreux cours n’ont pas eu lieu ce semestre et n’ont pas pu être rattrapés à cause des grèves de transports ou des blocages. Le caractère incertain de la fin d’année est une pression importante. De plus, les étudiant.es mobilisé.es se retrouvent pénalisé.es par rapport à leurs camarades. Aussi, face à la sourde oreille de la présidence, on fait le choix de bloquer les examens. Une partie des partiels passe en devoir à la maison et ce qui donne plus de temps aux étudiants pour les travailler.

Le mouvement étudiant lillois semble avoir eu du mal à se structurer, sans doute à cause des positions idéologiques assez marquées (communistes, trotskystes, anarchistes, autonomes…). Il y a une sorte de débat de fond théorique constant qui amène à s’éloigner des actions concrètes. Au grand étonnement des occupant.es qui se sont retrouvé.es peu nombreux.ses à tenir, les partis politiques et les syndicats ont snobé cette occupation, avançant un manque d’intérêt stratégique, qu’ils jugent trop peu visible et pas assez dans  inscrit dans le rapport de force . D’autres critiques plus floues, mais pas forcément directes, s’imposent. Pour certains, ce serait le manque de réglementation claire sur la consommation d’alcool ou le manque de contact avec le monde ouvrier. Globalement, c’est un manque d’investissement de la part des syndicats qui se fait sentir, et tout repose sur une poignée de jeunes militant.es, anarchistes et autonomes, rejoints par quelques étudiant.es intrigué.es. Attention cependant à ne pas conspuer tou.tes les syndiqué.es, certain.es  ont apporté un soutien appréciable, notamment pour la logistique et le confort (local à la fac, frigo, contacts…). Tout de même, il reste un goût amer, une incompréhension réciproque et un gouffre politique compliqué.

L’occupation s’est terminée durant son deuxième week-end d’existence, avec un étrange prétexte de fausse alerte à la bombe utilisé par la sécurité pour réinvestir les lieux. Les occupants ont pu récupérer leurs affaires. Pourtant les blocages du campus se sont poursuivi. Et si la direction de l’université a eu vite fait d’effacer les quelques tags et de retirer le maximum des traces de l’occupation, il n’en reste pas moins que l’occupation avait eu lieu et qu’un petit réseau de militant.es déterminé.es s’est consolidé. Si les notes paliers n’ont pas été obtenues pour toute l’Université (le 10 améliorable est mis en place à Lille 2 pour la filière Sciences Politique par exemple), une bande d’étudiant.es a connu une façon de vivre alternative, fondé sur l’auto-organisation et l’horizontalité entre les individus. Une promesse pour d’autres expériences politiques à venir, qu’on espère moins éphémères.

Texte par Arkange
Dessin par ¿tAbU? & Ange

1. L’organisation en pétale est une manière différente de faire une assemblée générale qui est apparue à Lille 3 pendant cette contestation. Il s’agit de former des plus petits groupes qui vont travailler sur un sujet précis avant de faire un retour de leurs réflexion au reste de l’assemblée. Le but est de gagner en efficacité et en temps, souvent pour une action.
2. Toutes les citations des étudiants proviennent d’un tract distribué a posteriori dans les manifestations ou dans les campus universitaires, intitulé « Bête d’occup, BD’occup ».
3. L’UNI est un syndicat étudiant qui se dit de droite mais qui reprend bien souvent des thématiques d’extrème-droite.
4. Joey Glüten est un chanteur punk anarchiste originaire du Nord de la France.


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