Métro, Boulots, Bulle d'O

DEAD FISHE

Plongez la tête la première dans la scène : un quotidien rythmé minutieusement par l’allumage clignotant des néons, seule source de lumière de la journée qui permet à l’oeil terne d’admirer inlassablement le même carrelage, les mêmes faux blocs de pierre en plastique, les mêmes vitres, les mêmes atteintes à la liberté de penser que sont les publicités, tout ça recouvert d’une couche de poussière.


 

Les heures entières de silence sont entrecoupées par les bruits stridents des rames de métro et les bips incessants des portiques faisant banalement leur terrifiant travail quotidien de ségrégation économique. Outre la nourriture insipide et tous les jours identique, les contacts sociaux sont rares, inexistants presque en dehors de quelques moqueries et quelques visages d ‘enfants collés à la vitre. Non, il ne s’agit pas de la morne routine du contrôleur Ilévia. Lui rajoute à tout ça cette fâcheuse tendance à sanctionner celleux qui ont du faire le choix entre un ticket et un repas. La différence réside aussi dans le fait que elleux n’ont pas choisi d’être là : ce sont les poissons de Montebello.

 

L’enfer en question se passe dans l’une des plus petites stations de la ligne 2 du métro de Lille, arrêt Montebello, bien mal agencée soi-dit en passant. Quant à l’outil de torture, il s’agit de quatre modestes aquariums emplis d’eau, encastrés dans les murs du métro, destinés à amuser le regard de l’impatient.e dont la vie est dirigée par la grande aiguille; jusqu’à lui faire oublier que l’œuvre qu’il regarde est vivante, elle aussi. Pourtant, ce qui semble faire tâche au milieu des panneaux publicitaires n’en est finalement qu’une autre. Celui qui se prend à regarder dans cette eau trouble, par pitié ou par indifférence, remarquera dans chaque coin un écriteau blanc bien visible avec les lettres bleues OXYFISH.FR gravées dessus.

 

Et oui, les guppys, poissons-chats, platys et autres cichlidés, sans oublier quelques crevettes, subissent enfermement et maltraitance uniquement dans le but de promouvoir le magasin local d’aquariophilie, autrement dit de torture d’animal aquatique, situé prêt de Pérenchies. Allié avec Ilévia dans cette sordide décoration qui utilise le vivant comme simple apparat publicitaire, on peut aussi questionner le soin apporté aux poissons qui semble principalement être le remplacement des cadavres inesthétiques, ce qui arrive relativement souvent au vu des conditions de vies de ceux-ci. Eut-il fallut que cela soit des chiots plutôt pour attiser l’indignation des usager.ère.s ?

 

Pire, si l’on peut dire, quand on comprend que ces belles couleurs, ces nageoires onduleuses et ces yeux globuleux n’ont pas lieu d’être naturellement. Ces espèces, bien que ça ne concernent pas que les poissons loin de là, sont « produites », souvent par hybridation pour mettre en avant des caractéristiques physiques que leur acquéreur apprécierait assez pour vouloir les posséder. Le bien-être n’est pas mis au premier plan assurément. Encore, si elles avaient le choix, mais leur volonté ne semble pas non plus être prise en compte. Il y a une artificialisation du vivant au profit de notre confort qui est dramatique. Les poulets naissent en cage et en surpoids pour finir dévorés. Les poissons naissent en aquarium et s’y font chier jusqu’à y mourir.

 

On espère un matin, en allant en cours, au travail ou remplir ces foutus papiers que demande France Travail, découvrir la station sinistrée, les caméras explosées, les prisons de verres éventrées, des tags et des tracts signés ALF1pandus partout. Et libéré.e.s, les poissons de Montebello…

 

Pour l’instant malheureusement, on se contentera d’un groupe Facebook qui parodie les réflexions antispécistes sous forme de mèmes et de blagues2, ou d’un article de Lille Actu qui félicite l’originalité de cette station-zoo de métro. Un coup de pub de plus sur le dos des poissons qui rapidement finissent par flotter le ventre à l’air. On aurait préféré un coup de marteau dans la vitre.3

 

Arrêtons de noyer le poisson, libérons-le

 

Arkange

1 ALF est l’acronyme d’Animal Liberation Front, un mouvement anarchiste international qui pratique depuis plus de 50 ans l’action directe pour l’abolition de toute forme d’exploitation animale

2 Intitulé « Front de Libération des Poissons de Montebello », le groupe de plus de 1500 membres est désormais privé

3 Il existe cependant une pétition un peu plus sérieuse sur change.org fait par @laciedesorques, trouvable sur Instagram


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