Dans le numéro précédent, on évoquait la répression subie par le mouvement antispéciste lillois1. Elle vient de passer une étape supplémentaire avec le verdict du procès des quatre antispécistes accusé.es de tentatives d’incendies. L’occasion pour les boucher.es de se gaver encore un peu plus au-delà de leurs commerces prédateurs.
Procès fleuve de six heures pendant lequel la juge à charge ne laisse passer aucune erreur de la part des accusé.es. Elle parvient à convaincre la salle que les attaques contre les boucheries « Henri Boucher » sont des attaques personnelles contre le personnage éponyme. Plusieurs ont été caillassées et l’une d’entre elle s’est faite taguer « T’as pas compris Henri ? ». Mais rassurez-vous, cette personne n’existe que dans la tête de la juge et les seules familles en deuils sont celles des vitrines, puisqu’Henri Boucher.. n'existe pas. Pourtant, la juge s'acharne et va jusqu'à remettre en question l’état de la santé mentale des accusé.es, leur demandant s’iels tiennent à leur vie et celles des autres. Nouveau sous entendu cherchant à inventer un terrorisme antispéciste, utilisé par la justice bourgeoise, les médias et pion.nes de l’État pour engloutir la contestation, la décrédibiliser et intensifier la répression.
Le procureur n’a pas grand-chose à ajouter après la juge, il profite de son tour pour évincer toute portée politique aux actes des militants : « Ce n’est pas le procès du spécisme […], nous sommes dans une démocratie et les délits doivent être sanctionnés ».
Face à cette volonté prévisible de dépolitiser le procès (Voire entretien avec V.Codaccioni page 4), les accusé.es ont pu faire venir à la barre deux témoins pour recentrer le débat sur l’antispécisme et les raisons de leurs actions. Thomas Lepeltier explique à la salle que dans notre système spéciste, le sort d’un animal dépend de son espèce. Les antispécistes, rappelle-t-il, s’opposent à cet arbitraire, en refusant de faire de l’espèce un critère de discrimination morale. Virginia Markus rappelle que les suffragettes ont dû elles aussi en venir à caillasser des vitrines et incendier des commerces pour faire avancer les droits des femmes et reconnaître la légitimité de leur lutte.
Choqué.es, on note l'invitation au suicide lancée par un des avocats des boucher.es et restaurateur.rices aux prévenu.es : « Si on respecte les autres et qu’on a tellement peu de respect pour soi-même, on s’immole sur la place publique : il faut aller jusqu’au bout de ses convictions ! ».
Au final, Lou2 à été condamnée à 6 mois d’emprisonnement ferme, 9 mois avec sursis et 3 ans de mise à l’épreuve. Alix, à 10 mois ferme, 8 mois avec sursis et 3 ans de mise à l’épreuve. Eden et Sacha, 6 mois de sursis. Iels ont également écopé de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende pénale. Les intérêts à verser aux parties civiles seront exprimés lors d’une prochaine audience le 4 décembre 2019.
Le procès des trois autres antispécistes accusé.es de dégradations de vitrines et de refus de donner les codes de leur téléphone devait avoir lieu le 2 mai, mais est encore reporté, cette fois ci pour le 14 novembre 2019.
« Terrorisme alimentaire » contre commerce prédateur
Tout cela intervient dans un contexte particulier : des représentants du gouvernement expriment régulièrement leur soutien aux boucher.es. Dernier exemple en date : mai 2019, 130 député.es et sénateur.rices signent une tribune dans le Parisien qui condamne ce qu’iels appellent un « terrorisme alimentaire », et ajoutent : « S’agissant de la liberté de choisir son alimentation, [...] nous affirmons que cela relève d’une liberté fondamentale et d’un choix individuel. ». Que l’on soit d’accord ou non avec les antispécistes, ce discours de la part de représentants d’une société capitaliste n’est pas étonnant ; parler de choix individuels pour des problèmes collectifs et occulter l’impact sur notre société de l’agriculture spéciste sert leurs intérêts. En effet l’élevage est responsable de 85 % de la déforestation en Amazonie et pollue plus que tous les transports réunis (avions, trains, bateaux, voitures, motos). Son poids dans le réchauffement climatique, la destruction de la planète et à terme notre propre destruction est indéniable.
La répression est au rendez-vous, prête à ajouter de nouvelles têtes au long tableau de chasse de l’État. La justice sert des peines exemplaires dans le but de faire peur pour que nul ne suive leur voie. La prison ne change en rien les choses, c’est un outil qui cherche à briser : les humiliations, la violence et la persécution y sont constantes.
Malgré la répression contre les antispécistes et le soutien de l’État aux représentant.es de l’industrie, les activistes continuent d’agir de façon offensive. Que ce soit en libérant des animaux de pièges de chasseur.ses dans l’Aube, en brûlant un local de chasseur.ses dans les Côtes d’Armor ou en attaquant les véhicules de l’Office national des forêts dans l’Oise, ces derniers mois, les actions antispécistes se multiplient.
Graf Orlok
1. Voir « La chasse aux antispécistes est ouverte » dans La Brique numéro 58 « Lacrymocratie »
2. Les quatre prénoms ont été changés