En plein « Lille 3000 », la maison d’édition Les lumières de Lille remet à jour la plaidoirie de Vincent Leleux, imprimeur, libraire et journaliste lillois, jugé en 1823. Il avait dénoncé dans son journal L’Echo du Nord, les grandes dépenses engagées par la mairie de Lille à l’occasion des fêtes de la ville. Liberté d’expression en ballotage, mascarades festives, chômage. Les histoires se répètent.
Lille, 1823. Texte incriminé : « La fête communale, la kermesse, ou pour parler plus noblement, la procession de Lille, a été célébrée cette année avec une pompe exceptionnelle : il n’y a manqué qu’une distribution de comestibles, pour rendre cette fête en tout semblable à celle du 25 août. Nous devons savoir gré à l’administration de sa sollicitude à faire oublier, par des jeux et des plaisirs, à cette multitude innombrables d’ouvriers sans travail, la situation malheureuse où les ont placés les premiers effets d’une guerre funeste, qui tarit tout à coup les sources de l’industrie.
Sous le cardinal Mazarin, quand le peuple était malheureux, on l’amusait par des chansons ; aujourd’hui, on le distrait de sa misère par l’appât de fêtes publiques ; c’est le même principe, si ce n’est pas le même moyen. Reste à savoir lequel des deux aura le meilleur résultat. Quoiqu’il en soit, il y avait sur l’Esplanade une foule immense, qui prenait part aux diverses récréations préparées par les soins de la mairie, et une foule plus considérable encore y assistait comme spectatrice »
« Une multitude innombrable d’ouvriers sans travail »
Extraits de la plaidoirie de Vincent Leleux lors de son procès : « Il est évident, a dit M. le procureur du roi dans son réquisitoire, qu’en supposant, contrairement à la vérité, qu’il existe une multitude innombrable d’ouvriers sans travail par suite de la guerre, l’éditeur a voulu exciter à la haine et au mépris du gouvernement, auteur de cette guerre ; et, partant ce point, il a conclu contre moi à l’application d’une peine portée par la loi du 25 mars 1822. Tous les efforts du ministère public ont eu pour but de démontrer qu’effectivement cette supposition était fausse ; tous les miens doivent tendre à établir qu’elle est réelle. […]
Une idée domine dans l’ensemble, une seule : c’est la critique de l’administration municipale. Cette critique, il est vrai, est assez vive ; mais il faut croire qu’elle soit permise, puisque le ministère public n’en fait pas un corps de délit, et on sait que le ministère public, au temps présent, ne se pique guère d’indulgence envers les écrivains de l’opposition. Oui, Messieurs, le seul but de l’article, son seul objet a été la critique d’un acte administratif, que peut-être j’aurai loué dans une autre circonstance ; mais que j’ai cru devoir blâmer dans la conjoncture actuelle. Ce but est évident, quoique l’accusation ait employé tous ses moyens pour le nier.
En effet, de quoi traite l’article ? De la fête de Lille. À quelle époque a-t-il paru ? Pendant la fête de Lille. Quel motif y a donné lieu ? La fête de Lille. Voilà du réel, du positif : je n’ai pas besoin, pour établir ce fait, de recourir à des suppositions, de torturer les phrases, de détourner le sens des mots. Oui, Messieurs, mon seul dessein en écrivant ces lignes, a été de déverser le blâme sur une mesure administrative dont certainement on pouvait contester l’utilité ».
NB : Gardons, comme toujours, notre esprit critique aux aguets. Mr Leleux définit la ligne éditoriale de son journal ainsi : « Il se tiendra constamment dans les rangs des amis du Roi ». Monarchiste et libéral, il défend la liberté d’expression à son époque...